Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 25 Septembre 2013
Après le très bon Comment ne pas t'aimer, la mangaka Masako Yoshi revient aux éditions Black Box avec deux autres titres : Du haut de mon monde et Manabu. Là où le premier est un one-shot, le deuxième, dont il est question dans cette chronique, est sorti au Japon dans les années 80 sous la forme de 4 volumes regroupés en 2 pavés par l'éditeur français.
Dans Manabu, exit le milieu estudiantin de Comment ne pas t'aimer pour revenir dans un milieu plus classique du shôjo, celui du lycée. On découvre Musubu Ishimaru, surnommée Boo à cause de son prénom. Délaissée par des parents partis vivre à l'étranger, elle a emménagé chez sa grande soeur Tsugumi et son mari Kei-ichi, qui est aussi son ancien professeur particulier.
Musubu poursuit ses études dans un lycée pour filles, accompagnée de sa meilleure amie Tomoko et de ses autres camarades de classe. Mais une fois rentrée à la maison, elle a toutes les peines du monde à se sentir bien aux côtés de sa soeur et de Kei-ichi, non seulement parce qu'avec leur bébé de quelques mois ils forment une jolie petite famille dont elle se sent exclue, mais aussi parce qu'elle a toujours été secrètement amoureuse du mari de sa soeur...
Sa vie est destinée à basculer quand elle rencontre Manabu, lycéen dans un autre établissement de la ville et élève de Kei-ichi. Très entreprenant, Manabu montre un vif intérêt pour Musubu, mais l'intérêt n'est pas réciproque, d'autant que Manabu a une fâcheuse réputation de coureur de jupons. De fil en aiguille, et tandis que sa situation chez sa soeur se dégrade, elle va pourtant devoir composer avec la présence de ce jeune garçon vif et enjoué, qui pourrait bien l'aider à s'émanciper un peu plus.
Ce premier tome tire sa principale richesse de la situation familiale de Musubu, délaissée par ses parents et ne se sentant pas du tout à l'aise chez sa soeur, à tel point qu'elle pense même que sa nièce de seulement quelques mois ne l'aime pas. Soulignant habilement le malaise d'une adolescente à qui il manque la présence parentale, le récit met également beaucoup en avant les tourments amoureux de la jeune fille liés à Kei-ichi, et la situation permet également d'extrapoler la grande timidité qui l'a toujours habitée.
Il s'en suit alors de nombreux événements mettant en avant ce malaise : petites crises intérieures de jalousie, doutes, fugue chez Tomoko... La jeune fille a bien du mal à trouver sa place, et doit à tout prix apprendre à s'émanciper, et à être plus franche avec elle-même et avec ses proches.
C'est précisément là qu'intervient Manabu, jeune garçon étrange, tantôt irritant tantôt amusant, mais toujours en pleine forme et d'une franchise incroyable, si bien qu'il en arrive à facilement percer les pages, encore plus quand il se met dans des situations saugrenues et osées, par exemple en criant son amour là où il ne faut pas. Il s'intéresse à Musubu au point de la gêner, de la rendre rouge comme une tomate, et de provoquer plusieurs situations délicates contraignant notre héroïne à une lente prise de conscience et à une plus grande franchise arrivant peu à peu.
Le tome 1 de Manabu, c'est donc en premier lieu le récit d'une émancipation, celle d'une adolescente mal dans sa peau, qui devra apprendre à plus se lâcher, à être plus franche pour progresser, et pour tout ça elle pourra compter sur Manabu qui est un peu son exact opposé niveau caractère, mais aussi sur toute une palette de personnages vivants, comme Tomoko ou les amis de Manabu, et plutôt bienveillants, comme Kei-ichi.
Il faut toutefois signaler que si ce propos est intéressant, Manabu n'évite pas pour autant un bon paquet de petits clichés et de grosses ficelles qui peuvent parfois agacer.
Evidemment, Musubu étant une adolescente timide et mal à l'aise, elle a souvent des comportements dignes des habituelles héroïnes de shôjo un peu cruchottes. Elle passe son temps à rougir dès qu'une situation est un petit peu embarrassante (et avec Manabu à ses côtés, il y en a forcément un paquet), se contredit sans cesse dans ses sentiments en se disant à plusieurs reprises qu'elle aime Manabu avant de crier le contraire de façon parfois très horripilante (il suffit de voir en fin de tome toutes les méchancetés qu'elle sort subitement au jeune garçon sans vraiment de raison, ce qui sent le gros rebondissement facile)... Mais globalement, la pilule passe bien, car le contexte dans lequel vit Musubu explique en partie ce caractère.
De même on n'évite pas des gros classiques comme la petite crise de jalousie de la meilleure amie qui heureusement ne s'étire pas et est utile et assez bien tournée. De même, on a droit à d'énormes clichés beaucoup trop dilués, comme le coup du billet de loterie qui s'étire sur près d'une cinquantaine de pages et qui tourne un peu trop en rond dans son humour et dans sa mise en avant du "je t'aime moi non plus" de nos deux héros.
En fait, avec tout ça, il y a de manière générale la sensation que les choses tournent en rond au niveau de l'histoire d'amour de nos deux héros, surtout dans la dernière partie du tome. Heureusement que la palette de personnages est vivante et attachante, et que l'émancipation de Manabu, elle, se ressent bien, même si elle donne régulièrement l'impression de reculer... pour mieux sauter ?
Côté dessins, on est dans la continuité de Comment ne pas t'aimer : c'est simple, frais, très expressif.
Avec ce premier tome, on tient donc une lecture globalement convaincante, portée par des personnages bien vivants (Manabu en tête) et dressant joliment la lente émancipation de son héroïne, et cela malgré un aspect sentimental un peu longuet. Affaire à suivre avec la suite et fin.
Au niveau de l'édition, Black Box offre une copie de meilleure qualité que pour Comment ne pas t'aimer. L'impression parfois floue de Comment ne pas t'aimer laisse sa place à une qualité d'impression nettement meilleure, et les marges blanches paraissent ici beaucoup moins envahissantes. Quant à la traduction, elle est très agréable.