Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 29 Octobre 2024

Souvent désireuses d'explorer et de faire découvrir la bibliographie de mangakas à la forte identité (quitte à dérouter parfois), les éditions IMHO nous proposent, en ce mois d'octobre et avec le recueil de près de 240 pages Magicien A, d'entrevoir les spécificités et le talent de Natsuko Ishitsuyo, une artiste jusque-là inédite dans notre langue. Passionnée de dessin depuis qu’elle est enfant, celle-ci a choisi un nom d'artiste assez parlant, puisque "Natsuko Ishitsuyo" signifie littéralement "Natsuko à la volonté inébranlable". S’intéressant d’abord à la sculpture au lycée puis à l’université, elle abandonne toutefois ses études à la Nihon University College of Art afin de partir à Prague et d'intégrer en 2007 l’Académie des beaux-arts dont elle sort diplômée en 2012. Elle fait ses débuts en 2014 avec Megami qu’elle publie sur internet. Puis c’est en 2017 que sort au Japon son premier recueil, qui n'est autre que l'ouvrage dont il est question dans cette modeste chronique, et qui réunit six histoires courtes initialement prépubliées sur le très bon site Torch des éditions Leed, site connu pour la forte identité de ses auteurs et dont proviennent aussi des oeuvres comme Tokyo Blues, Panda Detective Agency ou encore Millenium Darling.

Arisa est une lycéenne bien intégrée et entretenant des amitiés somme toute factices avec ses copines, du moins jusqu'au jour où, dans un magasin elle surprend dans le coin réservé aux adultes Megu, une fille de son âge qui va lui faire découvrir plus en profondeur la masturbation et la sortir de son confort où elle est "comme tout le monde". Erina, elle, est souvent incomprise par ses copines, mais ne semble pas en faire grand cas, et évacue volontiers ce qu'elle a à dire auprès de l'homme avec qui elle entretient une relation tarifée, chose qu'elle assume. Kanna, de son côté, est une adolescente qui a le sentiment de ne pas trouver sa place, et qui trouve peu à peu du réconfort et de la confiance en elle auprès de mademoiselle Mako, sa nouvelle prof de peinture. Quant à Maria, pour sortir du lot et garder sa souplesse d'esprit face à des copines qui se moquent un peu d'elle, elle trouve refuge auprès d'un étrange homme et de ses services d'"assouplissement" particuliers. Kisora Hama, elle, est une femme qui cherche sa voie dans la "magie" en vendant ses conseils et autres tours de passe-passe à une clientèle peut-être crédule. Enfin, Ayumi est une jeune fille qui, justement, a récemment déménagé pour suivre des études en magie et trouver sa voie, quitte à vivre avec son petit ami une relation à distance qui ne tiendra peut-être pas.

Au fil de ces six histoires parfois connectées par des personnages récurrents (coucou Megu), la mangaka dresse des portraits de femmes (généralement lycéennes ou étudiantes, mais pas que) au fil desquels elle brise nombre de tabous (en tête la masturbation, la jouissance et le sexe tarifé) de manière très directe et éventuellement salvatrice, tout en évitant d'être inutilement voyeuriste: s'il est en permanence question de sexe et autres choses qu'il reste rare d'aborder ouvertement, Ishitsuyo trouve le bon équilibre dans ses représentations graphiques, pour montrer frontalement ses sujets sans trop en montrer, le résultat étant assez impactant, et potentiellement déstabilisant. Mais tout ceci semble être là pour aborder avec d'autant plus de force le désir naturel de toutes ces figures féminines de s'émanciper, de s'affirmer et de trouver leur voie. Pour cela, l'autrice évoque un paquet de sujets à travers ses héroïnes. On pense à l'idée d'être comme tout le monde, au sentiment d'être incomprise ou de ne pas être aimée, au manque de confiance en soi, à la peur d'échouer (notamment aux examens)... et c'est à partir de là que les rencontres qu'elles font dans chaque histoire, tantôt salvatrices tantôt plus compliquées (car parfois, les gens ne sont pas ce qu'ils semblent être, et ce sont aussi ces désillusions-là ça qui font mûrir) mais toujours riches de sens, les poussent à vouloir avancer, que ce soit en sortant des sentiers battus ou en voulant croire à fond en l'amour par exemple, quitte à parfois faire des erreurs.

Aussi déroutant que captivant, Magicien A voit Natsuko Ishitsuyo nous déstabiliser volontiers pour mieux briser tout tabou et proposer des portraits féminins intéressants dans tout ce qu'ils peuvent impliquer. Ce recueil est une vraie curiosité, pas forcément facile d'accès mais ayant pas mal de chose à dire, et qui vaut assurément le coup d'oeil.

Côté édition, la copie d'IMHO est satisfaisante: le grand format sans jaquette ni rabats est typique de l'éditeur, le papier est assez épais, souple et satisfaisant malgré une légère transparence par moments, et la traduction d'Aurélien Estager est très claire en retranscrivant bien le ressenti des héroïnes.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction