Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 26 Janvier 2009
"Pour parler clairement ... Tu nous trompais donc tous les deux et en même temps ..."
Mannequin totalement fauché, Sae découvre du jour au lendemain qu’il doit quitter son appartement et retourner à une vie de bohème qu’il semble bien connaître … Les nuits à la belle étoile ne lui font plus peur, mais au moment où il allait s’y résigner, voilà qu’une charmante jeune femme l’accoste pour lui proposer de cohabiter avec elle. Elle, qui s’avère être il. En effet, cet(te) inconnu(e) croisé(e) par hasard et répondant au nom de Naoyuki (mais Nao si vous voulez survivre …), est un travesti. Pourtant, cette étrange situation ne semble pas dissuader Sae, qui décide d’accepter sa proposition. Apparemment, tout se passe bien pour les deux jeunes gens, qui semblent bien s’entendre. Mais tout bascule lorsqu’un deuxième mannequin fait son apparition : Kazuki, ancien colloc’ de Sae et ami d’enfance disparu de Nao, est invité à prendre la dernière chambre de libre. Pourtant Nao ne l’entend pas de cette oreille, et met rapidement dehors cet ami d’enfance bien encombrant. Qu'adviendra t'il de ce trio si disparate ?
Ce premier tome peut tout d’abord s’imposer comme une comédie romantique classique … On croit apercevoir le couple phare dans l’entente Sae / Nao, et le personnage spectateur en Kazuki … Pourtant KIKI, l’auteur, bouleverse les stéréotypes de ce genre de mangas. En effet, les relations entre les personnages ne sont pas si simples, et les jeunes adultes ne tombent pas dans les bras l’un de l’autre à la première occasion pour ne plus se quitter … Les liens entre eux sont ici compliqués, toujours survolés sans de grandes déclarations amoureuses de tous les côtés … On ne sait plus bien qui intéresse qui, et qui veut plaire à qui … Au-delà de simples relations homosexuelles, KIKI refuse de se focaliser sur des liens basiques et romanesques, pour raconter simplement comment des hommes, des femmes, peuvent se plaire, se désirer ou tout simplement s’amuser. Love me tender est donc une comédie romantique pleine de gaieté faisant preuve d’une grande maturité et d’une originalité très appréciée.
C’est comme si chaque personnage n’était même plus homme ou femme (ce qui est bien mis en avant par les travestissements perpétuels dans un sens comme dans l’autre), mais simplement des humains. Ainsi, Sae, qui semble être le plus convoité, entretient diverses relations passées ou présentes, de la plus évidente à la plus étonnante. Sa bisexualité lui permet d’apprécier Nao dès le début, même s’il reste très flegmatique et évasif, ainsi que son meilleur ami qu’il aime taquiner. En plus de cela, on apprend qu’il a eu une relation avec le patron du café où il se rend souvent, ainsi qu'avec la femme de ce même homme. Et pour parfaire le tout, leur fille unique aime tout particulièrement la compagnie de ce mannequin aux cheveux d’or. De son côté, Naoyuki joue avec Sae, et s’éprend d’une fille. Homme, femme, que penser de Nao ? C’est là toute la subtilité de l’auteur et l’intérêt de la série. Il n’y a plus de réelle différence entre les sexes. D’ailleurs, il semblerait que dans la VO, Nao parle de lui au masculin et au féminin. Par commodité, cela a été supprimé dans l’édition française, bien que cela aurait pu être fort intéressant, en ajoutant un sentiment de décontenance du lectorat …
De plus, même si le scénario au jour le jour n’est là que pour mettre en avant des triangles amoureux les plus improbables, la narration est dynamique et la lecture savoureuse. L’humour de la mangaka et le détachement dont elle fait preuve face au sens commun y est pour beaucoup : cela réussit à faire de Love me tender une série réellement rafraîchissante et passionnante, autant par le rire que par le questionnement, car bien chanceux celui qui pourra deviner qui finira avec qui … A aucun moment les relations ne sont dramatisées, les personnages vivent au quotidien des relations qu’eux seuls comprennent, avec leurs problèmes que l’on découvre au fur et à mesure avec délice … Les caractères, posés et matures, sont relevés d’un soupçon d’humour, le tout agrémenté d’un graphisme vraiment esthétique. Les yeux sont dessinés avec beaucoup de soins, ce qui permet de faire ressortir les expressions des protagonistes. De plus, les erreurs de graphisme sont minimes, souvent inexistantes, et on conserve la douceur d’un trait de shojo sans pour autant tomber dans les grands yeux brillants et les coupes de cheveux classiques.
Bref, tant au niveau du graphisme qu’à celui du scénario, Love me tender est un petit bijou d’originalité et de réussite. Même le manque de décor, habituellement préjudiciable, ne fait que mettre en avant la « complexe simplicité » des personnages. Ce josei est un grand bol d’air frais au milieu des tonnes de shojo et shonen peu mystérieux, où le seul but est de deviner comment ils vont finir ensemble ou gagner une bataille … Enfin, merci à Taifu Comics qui a fait un bon travail de traduction, ainsi qu’un choix de format agréable, ce qui justifie le prix par rapport aux autres séries qu’ils ont pu sortir. Voilà une progression de l’édition qui fait plaisir à voir !