Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 13 Mars 2025
De nos jours, sur l’île de la Réunion, la psychose est sur le point de ressurgir. Après avoir trouvé un bien célèbre livre d’occulte local, plusieurs jeunes sont portés disparus. Selon un survivant, le groupe a été attaqué par un homme-coq. L’affaire, médiatisée, ramène Camille près de trente ans en arrière, quand elle-même a subi un traumatisme lié à cette créature. Cette fois-ci, elle ne compte pas laisser le monstre s’en sortir et décide d’enquêter à son sujet.
Derrière ce pitch se cache Lom-Kok, un one-shot signé Fenix, aka Kevin Payet, un auteur originaire de l’île de la Réunion qui a aussi bien été marqué par Akira que par l’histoire de l’homme-coq, une légende urbaine de la Réunion née à la toute fin des années 80 et qui semble avoir suffisamment marqué les esprits pour faire frissonner encore aujourd’hui. Fenix entame son parcours d’auteur chez l’éditeur réunionnais Des bulles dans l’océan, notamment via la série Géko qui s’inspirait déjà des légendes locales. Lom-Kok paraît du côté d’Omaké Manga à la fin du mois de janvier 2025 et s’avère être un one-shot réussi au global, peut-être déstabilisant dans son approche horrifique, et qui nous présente un artiste au style déjà maîtrisé.
Car Lom-Kok, dans son concept, a tout de l’histoire horrifique qui nous place en terrain connu. Au programme, un monstre sanguinaire qui n’est pas inconnu à Camille, l’héroïne qui va se mettre en chasse de la bête. Les récits de croque-mitaine aux protagonistes féminins forts, le cinéma d’horreur nous en a présenté des dizaines, ce qui nous situe d’emblée dans une sorte de zone de confort. Mais peu à peu, Fenix développe une approche plus métaphysique qui tend à faire basculer le récit dans un registre fantastique, voire avec un zeste de science-fiction. Étonnant, certes, mais cela nous donne un récit qui, au-delà de sa dimension horrifique, a une histoire à narrer autour de son héroïne tandis que se déploient certaines thématiques fortes tels que les traumas, le deuil ainsi qu’un autre sujet très sensible lié à la parentalité, mais dont révéler la nature serait déjà un spoil immense. De page en page, Lom-Kok revêt presque de thriller fantastique, un peu à l’image de certaines œuvres de Stephen King, avec une finalité qui pourra en déconcerter plus d’un et qui semble appeler d’autres histoires dans un univers commun. Si l’intrigue en elle-même se conclut dignement avec l’ouvrage, des questions allant au-delà de cette simple histoire nous restent en tête en refermant le volume.
Alors, peut-on dire que le one-shot réussit dans sa dimension horrifique ? Indéniablement, le design de la créature est convaincant en qualité de croque-mitaine tandis que le développement de l’histoire propose un autre type d’horreur, plus cauchemardesque au sens littéral du terme. La lecture n’effraie peut-être pas comme on pouvait s’y attendre, mais elle propose un climat inquiétant somme toute réussi dès lors que le lecteur et l’héroïne ont conscience que le danger peut s’installer à tout moment, au rythme de la fragilisation de notre perception entre la réalité de Camille et ses songes. On apprécie aussi le côté très localisé de l’histoire, non pas forcément par les décors, mais plutôt par les mythes et folklores qui apportent un environnement différent de ce à quoi nous sommes habitués dans les mangas horrifiques. La lecture est une démonstration de légendes urbaines qui peuvent exister sur l’île de la Réunion, ce qui tend à piquer notre curiosité pour ce territoire d’outre-mer qui existe assez peu à travers la culture et la fiction proposée en France métropolitaine, et encore plus à travers le manga.
Au final, Lom-Kok est un one-shot globalement prenant et convaincant, certes déstabilisant dans son approche qui n’est peut-être pas celle à laquelle on s’attendait, mais qui reste rondement mené par ses idées et son déroulé en plus de nous présenter un auteur au style très vif et expressif, et par conséquent idéal dans un registre horrifique. On espère revoir Fenix être publié, pourquoi pas dans un nouveau manga d’effroi qui exploiterait une autre facette du folklore réunionnais ?