Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 26 Septembre 2023
"On me prive de moi-même..."
Dans le restaurant de Guen où il a ses habitudes, Kudô a emmené pour la première fois Reiko, qui est ravie par les lieux et y profite même de l'un de ses fameux instant de pastèque+cigarette, permettant au jeune homme de découvrir encore un détail supplémentaire sur sa collègue. Guen le remarque lui-même: alors qu'il n'avait aucune envie de venir travailler à Kowloon au départ, Kudô s'est mis à beaucoup en apprécier la nourriture, la diversité... Et s'il est tombé amoureux de Kowloon, c'est sans aucun doute par qu'il est également amoureux de celle qui lui en a fait découvrir le charme. Mais tout ceci est désormais bien loin: cette belle scène ouvrant ce 5e volume est évidemment un songe qui se rappelle à la mémoire de notre homme pendant son sommeil, car la Reiko d'origine, Reiko B, n'est plus là.
A la place, il y a la Reiko actuelle notre héroïne, celle qui a le sentiment d'être une sorte de clone de Reiko B, et qui est alors bien décidée à enquêter pour en apprendre davantage sur la Reiko d'origine, sur Kudô et surtout sur elle-même pour, peut-être, devenir un jour la version absolue d'elle-même et ne plus avoir le sentiment d'être possiblement une "remplaçante" sans identité propre. Mais le chemin pour que Reiko ne se sente plus en quelque sorte "dépossédée" d'elle-même est encore long. Et si son enquête avance peu dans ce tome, Jun Mayuzuki captive pourtant toujours en nous faisant sans cesse sentir qu'elle sait où elle va, et cela passe par plusieurs éléments à commencer par, justement, cette notion de dépossession de soi-même qui est approfondie à travers deux autres personnages: d'un côté Miyuki Hebinuma dont on découvre un peu plus le "maître" sans trop de surprise et qui se voit contraint de prendre une décision dure concernant son amant Guen, et de l'autre côté Yômei, l'amie chère de Reiko, qui cache elle aussi une part de douleur liée à un passé dont elle peine encore à s'extrait. Dans les deux cas, il est question, grosso modo, de l'impact parental, entre le statut d'héritier lourd à porter pour Miyuki, et le destin tout tracé que la mère de Yômei a voulu offrir à sa fille. Ces deux-là ont-ils, alors, vraiment choisi leur vie ?
Une chose est sûre: Reiko, elle, semble vouloir choisir la vie qu'elle souhaite mener, mais pour ça il lui faut d'abord perce les secret sur qui était Reiko B et sur qui elle est elle-même. En filigranes, on la voit commencer à nourrir certaines envies comme celle de découvrir le monde au-delà de Kowloon, chose faisant forcément un peu réagir un Kudô chez qui perdure toujours le souvenir de celle qu'il aimait, Reiko B, femme pour qui Kowloon était visiblement tout au point qu'elle a fait aimer ce lieu à notre héros. Mayuzuki se montre toujours aussi douée pour signifier visuellement tous les petits instants de trouble chez les personnages et, par la même occasion, chez le lectorat, que ce soit à travers ses dessins décortiquant toujours habilement les émotions à travers un regard ou une parole (par exemple, le regard inexpressif de Yômei face à l'affiche du film que Reiko va voir, ce qui nous fait sentir d'emblée que quelque chose vient de troubler l'amie de notre héroïne), ou via différents petits éléments à la forte symbolique comme le poisson rouge. L'écriture reste, elle aussi, d'une justesse infinie, avec des moments comme la chanson chantée par Kudô et visant clairement Reiko, ou tous les petits instants où l'on continue de se faire une image de Reiko B à travers les songes des gens qui l'ont connue (Kudô, Guen).
Egalement, bien sûr, la lecture brille toujours autant pour son immersion dans une Kowloon que l'on entrevoit sous différentes coutures selon les regards, et dont on parcourt avec immersion des recoins comme la librairie où le club Maanlei. Et enfin, c'est au beau milieu de tout ça que Jun Mayuzuki glisse divers petits événements étranges qui, tout naturellement, titillent la curiosité: un tremblement de terre que les gens semblent avoir ressenti différemment, un livre étrange que Reiko ne peut lire car composé de caractère indéchiffrables, la disparition soudaine de M. Chan comme s'il avait déménagé précipitamment, des flous entre rêve et réalité... tout ceci nous faisant sentir que la mystérieuse Kowloon a encore bien des secrets à dévoiler.
Est-il nécessaire de dire que Kowloon Generic Romance est une lecture toujours aussi captivante dans ce 5e volume ? En plus de rester parfaitement maîtresse de son histoire aux différentes embouchures et aux fascinantes zones de mystère, Jun Mayuzuki brille toujours autant par sa narration visuelle, par son dessin en lui-même, par l'écriture de ses personnages... C'est un régal à lire, une nouvelle fois.