Kisshô Tennyo Vol.1 - Actualité manga

Kisshô Tennyo Vol.1 : Critiques

Kisshō Tennyo

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 27 Octobre 2025

Pour notre plus grande joie, les éditions Panini continuent d'explorer la bibliographie de l'immense Akimi Yoshida en proposant, en ce mois d'octobre, l'intégralité de Kisshô Tennyo, une oeuvre dont le nom est une référence à la déesse de la beauté et de la fortune Kisshôten dans la mythologie japonaise (elle la retrouve aussi sous le nom de Lakshmi dans l'Hindouisme). Cette série devient, à l'heure où ces lignes sont écrites, la plus ancienne oeuvre de l'autrice à être publiée en France, puisqu'elle a vu le jour au Japon en 1983-1984 dans le magazine Betsucomi des éditions Shôgakukan. L'année 1983 est, par ailleurs, particulièrement prolifique pour l'autrice puisque, après avoir achevé sa toute première série California Monogatari, elle lance coup sur coup plusieurs récits dans des ambiances assez différentes.

Riche de quatre tomes dans son édition nippone initiale, Kisshô Tennyo connaît en 1995 une nouvelle édition en 2 gros volumes là-bas et reste l'un des incontournables de la carrière de Yoshida, en lui ayant permis de remporter le Prix Shôgakukan catégorie shôjo l'année de sa publication, et en ayant même connu bien des années plus tard, en 2007, une adaptation en film live. La version française se compose elle aussi de deux gros tomes, d'environ 350 pages chacun, le tout dans l'habituel format "perfect" que l'éditeur a adopté pour les séries de Yoshida. Un grand format qui, ici, est bien servi par une bonne qualité de papier et d'impression, des jaquettes aussi envoûtantes qu'inquiétantes (à l'image du personnage central de l'oeuvre) et rehaussées d'éléments en vernis sélectif, une première page en couleurs sur papier glacé, une brève présentation de la mangaka des préfaces signées Ariane Even contextualisant assez bien la série, une petite présentation des personnages principaux, une traduction très soignée d'Akiko Indei et Pierre Fernande, et un lettrage assez propre de la part de Lara Iacucci. Qui plus est, les fans peuvent aussi acheter l'oeuvre sous la forme d'un très beau coffret en carton bien rigide qui, en plus des deux tomes, contient également un bel ex-libris exclusif représentant Sayoko vêtue d'une tenue de Tennyo, le tout pour un prix de 33,98€, soit exactement le même tarif que l'achat des deux volumes à l'unité). Panini fait décidément bien les choses pour les mangas de cette grande artiste, et on ne peut que remercier l'éditeur !

Ce premier pavé commence par nous faire suivre une adolescente comme les autres: Yuiko Asai, lycéenne pas spécialement motivée par les cours, réputée indécise et assez passe-partout, et affichant également un certain dégoût pour les garçons... surtout quand elle voit le comportement de son camarade de classe Ryô Tôno, un dragueur invétéré qu'elle évite autant que possible d'approcher, d'autant qu'il sort actuellement avec Hisako Imai, une fille à la mauvaise réputation. Bref, Yuiko se contente de vivoter à l'école avec ses bonnes amies telles que Mari, jeune fille pétillante et secrètement amoureuse de Ryô. Et tout pourrait s'arrêtait là si, un beau jour, une nouvelle élève ne débarquait pas dans sa classe. Elle s'appelle Sayoko Kano, et sa beauté irréelle, son élégance envoûtante et son comportement énigmatique sont tels qu'elle attire systématiquement tous les regards, suscitant autant l'amour et l'admiration que la jalousie et la méfiance... Mais dans le fond, qui est cette jeune fille semblant cacher une part d'ombre ?

C'est là la question centrale qu'Akimi Yoshida s'applique à poser au fil de toute la première partie de son récit qui, alors qu'on pourrait croire au premier abord à une énième romance scolaire sur fond de rivalités, révèle petit à petit bien d'autres choses. Et si dans, un premier temps, c'est vraiment une aura de mystère captivante qui imprègne les pages autour de Sayoko, tout est subtilement fait pour faire monter petit à petit une sorte d'inquiétude plus glaciale autour de cette fille dont on ne suit quasiment jamais les pensées, les seuls instants introspectifs sur elle étant là pour souligner son statut vraiment à-part (elle-même ne se qualifie jamais de "fille normale" ) et pour intriguer sur ses motivations exactes... Mais nous allons éviter d'en dire beaucoup plus pour ne pas spoiler, et simplement évoquer le fait que, aussi bien au sein du microcosme scolaire que dans un contexte familial nébuleux et délicat, elle ne compte aucunement se laisser dicter sa vie par son entourage, sa naissance et sa situation... quitte à provoquer le pire, la dernière partie de ce premier gros tome étant vraiment vouée à pousser l'histoire vers une noirceur qui risque fortement d'aller encore crescendo dans le deuxième et dernier opus.

Pour une série qui a au premier abord des allures de romance scolaire classique, Kisshô Tennyo va alors peu à peu se tourner vers un contenu plus dur, plus psychologique, non seulement grâce à cette insaisissable figure de Sayoko, mais aussi à travers son entourage parmi lequel elle ne laisse absolument personne indifférent... jusqu'à même, avec sa langue bien pendue et son charisme, parvenir à percer petit à petit les gens qui l'entourent pour commencer à révéler leur vrai fond, à l'image d'un Ryô qui cache peut-être un bon fond derrière ses allures de dragueur pas fiable pour un sou. L'un des intérêt premiers du récit est sûrement là: démasquer les faux-semblants, souligner nombre d'hypocrisies dans des relations où pas mal de monde cherche avant tout son intérêt, et par la même occasion évoquer un petit paquet de sujets délicats comme les plus sombres émotions humaines, le suicide, le viol et autres formes d'agressions, l'homosexualité, la sexualité de manière générale (souvent présente dans les oeuvres de l'autrice), ou encore la condition des femmes face à un tas de choses (et sur ce dernier plan, Sayoko fascine aussi, dans sa manière de ne jamais se laisser faire et de toujours s'en sortir sans forcément avoir besoin d'aide).

Tout ceci, Yoshida le met en scène très soigneusement: ses découpages sont assez sobres comme pour mieux faire ressortir les élans de malaise dans un cadre "normal", les non-dits sont assez nombreux afin de toujours souligner les incertitudes autour de Sayoko (par exemple, que s'est-il vraiment passer avec Nezu ? Et certains de ses actes semblent faire appel à une force surnaturelle, mais est-ce vraiment le cas ?), l'autrice aime suggérer la plupart du temps mais ose aussi montrer certains moments-chocs de façon frontale (en tête ce qui arrive dans les dernières pages), et dans l'ensemble il se dégage de ses planches une certaine froideur qui dérange et met mal à l'aise.

Mission réussie, alors, pour cette première moitié de série déjà riche en sujets, marquante dans son mélange de tonalités captivantes, mystérieuses et sombres, et assez impressionnante dans ses choix narratifs et visuels (d'autant plus quand on a conscience qu'il s'agissait là d'une des toutes premières séries de la carrière de la mangaka).


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction