Irene Vol.1 - Actualité manga
Irene Vol.1 - Manga

Irene Vol.1 : Critiques

Itoshi no Irene

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 17 Décembre 2021

Véritable enfant terrible du manga, Hideki Arai est un auteur dont la carrière dure depuis déjà plus de 30 ans, et dont les (trop) rares incursions en France ont assurément marqué en profondeur une bonne partie du lectorat lui ayant laissé sa chance. Ainsi, sa première publication en France en 2003 sonna d'emblée comme une déflagration avec, aux éditions Akata/Delcourt, Ki-Itchi!!, récit social qui, à travers son très jeune héros guidé par son instinct, mettait le doigt (enfin, tapait du poing) sans détours sur un paquet de maux et d'inégalités de notre société. Tandis que sa suite, Ki-Itchi VS, lancée en France en 2012 chez le même éditeur, adoptait une tonalité un brin différente mais tout aussi incisive pour poursuivre le propos très engagé de l'auteur. Parallèlement à ces publications, on put également découvrir aux éditions Sakka/Casterman, à partir de 2005, The World is Mine, récit particulièrement controversé tant il est jusqu'au boutiste dans sa violence (une violence jamais gratuite chez Arai, car l'auteur l'utilise toujours pour porter viscéralement et avec choc et impact ses idées), et qui nous offrit une conclusion parmi les plus nihilistes qu'on ait pu voir concernant l'état de l'espèce humaine. Malheureusement, ces trois séries emblématiques de l'auteur sont aujourd'hui en arrêt de commercialisation dans notre pays, si bien que le moyen le plus simple de lire du Arai ces dernières années était de se pencher sur La vie devant toi, son épais one-shot sorti en 2019 aux éditions Akata (le même Akata qui nous fit découvrir le mangaka via Ki-Itchi!!), où l'on découvre un Hideki Arai plus apaisé dans son ton, mais toujours aussi mû par des idées sociales et humaines.

Bref, vous aurez compris qu'il y avait un gros manque en France concernant ce mangaka pas comme les autres... et ça, les éditions Black Box l'ont bien compris, en annonçant en novembre 2020 l'arrivée, dans leur catalogue, d'une collection entièrement dédiée à Hideki Arai, visiblement en collaboration directe avec l'auteur. A terme, Black Box devrait éditer 6 séries d'Arai au rythme de deux par an, dont la première est donc Itoshi no Irene (Irene of Love), confirmée dès décembre 2020 pour un projet participatif qui devait initialement être lancé début 2021 mais qui a finalement vu le jour cet automne après quelques reports. C'est finalement en cette deuxième quinzaine de décembre que le retour-événement de Hideki Arai dans notre langue a lieu avec la publication des 3 premiers tomes de la série. Et en attendant cette publication prévue aux alentours du 27 décembre (l'auteur de cette chronique a d'ailleurs hâte de recevoir ses tomes, après avoir participé au projet participatif), de notre côté nous avons la chance de pouvoir vous proposer nos chroniques des débuts en avant-première, l'éditeur ayant accepté de nous faire parvenir des exemplaires numériques.

Itoshi no Irene fut, au Japon, la troisième série de Hideki Arai, après le court récit de rugby 8-gatsu no Hikari (1989-1990, bouclé en un tome, et lauréat du Grand Prix Quatre Saisons de l'été 1989) et Miyamoto kara Kimi e (1991-1994, achevé en 12 tomes, un récit déjà assez engagé et violent, adapté en film live, et lauréat en 1993 du Prix Shôgakukan catégorie générale). Longue de 6 volumes dans son édition japonais initiale, et elle aussi adaptée en live, l'oeuvre fut d'abord prépubliée en 1995-1996 dans le magazine Big Comic Spirits de Shôgakukan. Elle a ensuite eu droit à deux rééditions en deux épais volumes, en 2003 aux éditions Daitosha, puis en 2010-2011 chez Ohta Shuppan sous le titre Irene of Love Revisited (une version revue, donc). L'édition française de Black Box, elle, porte simplement le nom d'Irene, et se base sur la toute première édition japonaise en 6 tomes.

La série nous immisce dans un petit bourg de la campagne profonde du Japon de l'époque, et plus précisément auprès d'Iwao Shishido, un modeste employé d'une salle de pachinko qui, bien que quarantenaire, est toujours célibataire et vit toujours chez ses parents. A la maison, son principal passe-temps semble être de se faire plaisir sur du porno, quand il ne doit pas composer avec son père sénile qui semble de plus en plus souvent perdre les pédales, et sa mère bougonne et vieillissante qui le tanne pour qu'il se trouve enfin une épouse. Et au travail, il doit faire avec des collègues un brin condescendants, notamment la femme mûre Yoshie qui semble vouloir satisfaire ses désirs avec lui, et le dénommé Saitô qui passe son temps à se vanter de ses exploits sexuels où il saute quasiment sur toutes les femmes qui lui plaisent un peu. Bref, une vie dans une ruralité reculée où il semble y avoir bien peu d'échappatoire pour Iwao. Pourtant, il y a bien Aïko Yoshioka, cette collègue de 23 ans, jeune et jolie mère divorcée élevant seule son enfant de deux ans, qui lui plaît beaucoup avec sa gentillesse et sa douceur, et à qui il semble lui-même plaire...

Dans ce premier volume de plus de 210 pages, l'objectif de Hideki Arai est vraiment clair: prendre son temps. Prendre le temps de dépeindre quelques vie dans un milieu rural reculé, que l'on peut deviner un peu désoeuvré, et dont il semble bien difficile de s'extirper. Il y a l'exemple, bien sûr, d'Aïko, revenue sans doute de force dans sa campagne natale avec son enfant après un mariage raté à Tokyo. Ainsi que celui de Yoshie en espèce de cougar voulant attirer Iwao dans ses filets, ou le détestable Saitô en sorte de prédateur sexuel voyant les femmes comme de simples conquêtes à baiser et ayant des techniques de drague très lourdes et insistantes. Mais il y a, surtout, tout ce qui est véhiculé du côté d'Iwao et de ses parents. Côté travail, on ne peut pas dire que le pachinko soit quelque chose de palpitant. Et côté famille, il doit non seulement gérer un père sénile qui na pas d'aide et qui perd ses repères en agaçant involontairement épouse et fils au quotidien (il crie tous les jours pour avoir un journal qui n'est pas encore arrivé, scie machinalement des bouts de bois sans que ça semble avoir un but...), mais aussi subir les invectives d'une mère très intrusive et qui veut à tout pris lui trouver une épouse qu'elle estimera convenable pour son fils (quitte à aller suivre à la trace Aïko pour la juger "digne" ou non de son fils, vous voyez le topo). Iwao est lui-même loin d'être tout blanc, entre son addiction au porno, et peut-être sa vision d'une Aïko qui ne peut être l'espèce d'ange pur qu'il s'imagine.

Sous tous les angles, Hideki Arai nous dépeint une ruralité marquée par la misère humaine, par la misère sociale, voire par les idées/comportements arriérés quand on voit la vision des femmes de Saitô ou la manière dont Tsuru (la mère d'Iwao) agit ou voit les choses parfois. Pourtant, dans ce casting, Arai sait apporter des nuances, car tous ses personnages ne sont pas des gens profondément détestable, et sont peut-être en partie conditionnés par leur cadre de vie rural, reculé, marginal. Par exemple, Tsuru a beau être une mère très intrusive et irascible, elle aime son fils et s'inquiète vraiment pour lui une fois qu'elle ne sera plus là, c'est un fait. Quant à ce père si sénile qui agace si souvent les siens, est-il vraiment si sénile que ça, quand on finit par comprendre la raison de tout le bois qu'il coupait, ou le souvenir de sa lune de miel avec son épouse qui reste gravé en lui malgré tout ? En fait, tout en dépeignant cette ruralité et ses habitants avec un réalisme et une minutie quasiment dignes des écrivains naturalistes à la Zola, Arai croque également des personnages qui, malgré des facettes détestables, ont également des facettes plus touchantes qui les rendent plus humains pour certains, ce qui ne fait que renforcer aussi l'aspect social de tout ce portrait. Et c'est donc dans ce cadre que, pour des raisons que l'on vous laisse découvrir, va débouler celle qui donne son nom à la série, seulement à la toute fin du tome. Une jeune fille philippine, à la peau bronzée, ne parlant quasiment pas la langue, affichant un large sourire, un côté enjoué, une fraîcheur qui contrastent totalement avec le cadre (plus encore au vu du drame qui a lieu pile quand elle débarque). On devine bien qu'il n'y a pas que là-dessus qu'elle va contraster...

A l'arrivée, la mission est très bien remplie par ce premier volume où Hideki Arai, avant d'entrer dans le vif à partir du prochain tome, dépeint avec une minutie d'orfèvre le cadre rural où se déroulera l'oeuvre, et avec lui ses tares, sa misère et ses habitants. Un début particulièrement juste, immersif, réussi, pour une série qui ne fera que monter en puissance par la suite.

Enfin, bien que la lecture en numérique ne puisse nous permettre de donner un avis sur la qualité de l'objet livre, on peut tout de même souligner le lettrage soigné, la traduction appliquée d'Alexandre Goy (en particulier pour faire ressortir un parler rural chez les personnages, quitte à faire volontairement dans un peu de caricature), et certaines bonnes idées pour le sous-titrage des onomatopées (vouloir éviter de surcharger le dessin en ne traduisant qu'une seule fois au tout début les sons de la salle de pachinko, c'est plutôt bien vu).
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs