Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 18 Janvier 2024
L'année 2024 devrait être très importante pour les éditions Mana Books, celles-ci comptant diversifier considérablement leur offre manga (alors qu'avant, elle s'intéressaient quasiment uniquement à des mangas en rapport avec l'univers du jeu vidéo) via le lancement de cinq collection thématiques: PIXEL pour les adeptes des mondes virtuels et des licences de jeux vidéo, EPIC pour les récits d'aventure et les isekai, LMAO pour les comédies, CRYPT pour les oeuvres horrifiques, et XOXO pour les romances et les tranches de vie. C'est cette dernière collection qui est mise à l'honneur avec la première nouveauté de l'éditeur en ce premier mois de l'année: How to Make Delicious Coffee.
De son nom original "Oishii Coffee no Irekata" (dont le titre international/anglais est une traduction littérale, cette série en 12 tomes et entièrement en couleurs fut prépubliée au Japon entre 2019 et 2022 dans le magazine numérique Shônen Jump+ des éditions Shûeisha, un dérivé du célèbre Shônen Jump qui est bien connu pour ses shônen un petit peu plus matures ou sortant un petit peu de la norme par rapport au réputé magazine papier, et où l'on peut notamment trouver les mangas Dandadan, KAIJU N°8 ou encore Spy x Family.
Pas moins de quatre noms s'affichent sur la jaquette. En effet, cette oeuvre est, à l'origine, un roman illustré par Yu (artiste suivant aussi une carrière de mangaka mais jusqu'à présent inédite en France) et, surtout, écrit par Yuka Murayama, une romancière ayant une assez solide notoriété au Japon en ayant signé quelques best sellers (en tête Angel Egg, qui fut lui aussi adapté en manga en 2006 par Ricaco Iketani, talentueuse autrice de Six Half et Lollipop), et étant notamment connue pour régulièrement explorer le désir, la sexualité et certains de leurs tabous. A ce jour, un seul de ses romans a été traduit et publié en français: Hanayoi, la chambre des kimonos, sorti au Japon en 2012 et en France en mars 2015 aux éditions Presses de la Cité. La partie dessin de l'adaptation manga a été confiée à Yuki Aonuma, un(e) ancien(ne) assistant(e) de Tadatoshi Fujimaki (Kuroko's Basket) dont ce fut la toute première (et à ce jour unique) série, tandis que la mise en page est l'oeuvre d'Ao Suzumemura qui, là aussi, signait alors sont tout premier travail sur un manga.
L'oeuvre nous immisce auprès de Katsutoshi Izumi, lycéen tokyoïte de 17 ans qui est sportif, qui a un certain succès avec les filles, qui a déjà eu une copine autrefois et qui, jusque-là, vivait seul avec son père depuis la mort de sa mère dix ans auparavant. Mais à l'heure où il doit vivre son entrée en année de terminale, sa vie prend un tournant surprenant: son père ayant été muté dans une autre ville du pays, pour ne pas quitter Tôkyô il se retrouve à devoir aller vivre chez ses cousins Joe et Karen Hanamura, ces deux derniers ayant eu-même un père muté à l'étranger. Seul hic, cela faisait des années qu'il n'avait plus de contact avec Joe, un tout petit peu plus jeune que lui, et Karen, légèrement plus âgée, et ça provoque en lui quelques tourments qu'il n'hésite pas à expliquer à Hiroaki Fujitani, le gérant du café où il a ses habitudes. Tout va-t-il, alors, bien se passer dans cette nouvelle cohabitation à trois ? Pas de souci dans le cas de Joe, avec qu'il il s'entend très vite, a certains goûts en commun (notamment pour l'athlétisme, si bien qu'ils s'inscrivent dans le même club d'athlé au lycée), et qui le voit comme un grand frère. En revanche, après quelques jours dans ce nouveau cadre de vie, le mystère reste entier concernant Karen: elle ne s'est toujours pas montrée à la maison. Katsutoshi n'en fait pas forcément grand cas, d'autant plus qu'il se souvient de Karen juste comme d'une enfant garçon manqué. Mais quand celle-ci rentre enfin à la maison, le petit coeur de notre héros s'en retrouve chamboulé: Karen est devenue une jeune femme à la beauté resplendissante, une de ces filles dont le physique attire irrémédiablement tous les regards. Et si, d'emblée, Katsutoshi ressent comme un petit béguin, il n'a encore aucune idée des mystères et des zones d'ombre que cache cette sublime femme, ni de la manière dont elle va chambouler son existence.
Suite à cette présentation, il y a deux choses qu'il semble nécessaire de préciser immédiatement.
Tout d'abord, la place de la thématique du café dans ce début de série: contrairement à ce que pourrait un peu laisser penser le titre, il n'est pas vraiment question d'approfondir le sujet du café. Le breuvage semble même très secondaire pour l'instant, hormis sur une page nous faisant comprendre qu'il va plutôt servir de liant relationnel entre les principaux personnages (on n'en dira pas plus).
Ensuite, le premier avis un peu faussé sur différents gros clichés semblant s'installer dès le départ: la traditionnelle cohabitation fortuite qui pourrait donner un paquet de situations délicates, une première page à base de première rencontre maladroite avec scène de nudité très légère (on ne voit rien, concrètement, mais c'est un tel poncif), une possible relation amoureuse entre cousin et cousine (une différence culturel entre Japon et France qui peut toujours décontenancer un peu une part du lectorat)... Et pourtant, petit à petit, ces différents poncifs sont voués à bien se gommer pour laisser place à d'autres choses, ne serait-ce qu'autour de notre héros qui n'est pas un énième ado impopulaire et timide quand on en voit dans beaucoup de shônen romcom, et surtout au sujet du fameux cousinage entre lui et Karen où les auteurs déjoueront déjà quelques pronostics.
Dans tout ceci, c'est évidemment la figure de Karen qui intéresse le plus, car au-delà de sa beauté pouvant faire craquer en un clin d'oeil (ce ne sont pas les garçons du lycée qui prétendront le contraire) et du début de béguin de Katsutoshi pour elle, on sent vite qu'il y a bien d'autres choses vouées à être développées. En premier lieu, il y a un certain plaisir à découvrir sa façon d'être à travers les yeux de notre héros, et cela en positif comme en moins positif: la nullité de la jeune femme dans les tâches ménagères, son travail qui va forcément poser plus d'une situation délicate au lycée pour Katsutoshi, certaines de ses petites habitudes l'enrichissant doucement au-delà de la simple apparence... Et même si tout ça crée quelques grosses ficelles (par exemple Katsutoshi veut cacher son lien avec Karen au lycée, et pourtant il rentre avec elle et se montre plus d'une fois en sa compagnie, avouons qu'il y a plus discret), il y a, derrière, une envie de cerner toujours plus cette jeune femme, et en particulier les choses qu'elle cache à son entourage. En effet, Karen est régulièrement absente de la maison pendant plusieurs jours de suite sans dire précisément ce qu'elle fait, elle revient avec de gros tas d'argiles et d'herbes pour ses teintures et céramiques, elle a souvent de grosses cernes sous les yeux comme si elle pleurait et ne parvenait pas à dormir, sa relation avec une certaine autre personne reste floue... et quand notre héros essaie de lui poser des questions dans l'espoir de l'épauler s'il le faut, elle n'hésite pas à feindre l'ignorance voire à mentir. Il y a alors, tout naturellement, une certaine aura énigmatique qui se crée autour d'elle, jusqu'à ce que les dernières pages esquissent de premiers débuts de révélations pas foncièrement originaux mais faisant bien le job pour entretenir la curiosité.
Pour appuyer ce début d'intrigue, la patte visuelle est assez adéquate, sa principale originalité étant bien sûre d'être entièrement en couleurs, cette colorisation jouant sur des teintes assez douces et chaleureuses qui collent bien à l'atmosphère que dégage le récit. A part ça, les designs sont à la fois classiques et assez expressifs, les décors sont bien présents et immersifs même si l'on sent vraiment trop que les extérieurs sont tirés de photos, et les choix de découpages et d'angles de vue sont souvent bons selon la volonté de mettre en valeur les personnages avant tout ou certains cadres dans lesquels ils évoluent (comme la maison ou le café).
On se retrouve alors avec un début de série encourageant. Derrière la crainte de gros poncifs initiaux qui semblent voués à être suffisamment déjoués, les auteurs devraient nous raconter bien d'autres choses sur la longueur, surtout au vu de ce que l'on commence déjà à cerner sur Karen. Une chose est sûre: la curiosité est suffisamment présente une fois la dernière page tournée, et on attendra donc le volume 2 avec un certain intérêt.
Côté édition, la copie proposée par Mana Books est satisfaisante dans l'ensemble. A l'extérieur, la jaquette reste proche de l'originale japonaise tout en s'offrant un logo-titre soigné et plutôt bien pensé ainsi qu'un petit vernis sélectif sur celui-ci. Et à l'intérieur, la colorisation est assez correctement rendue par une impression convenable sur un papier épais et bien opaque, le lettrage de MAKMA est convaincant, et la traduction d'Amira Zegrour est suffisamment claire et vivante.