Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 07 Juillet 2023
Kouji Mori est un auteur qui a peut-être plus que jamais le vent en poupe. Grand ami du regretté Kentarô Miura, qu'il connaissait depuis le lycée et dont il fut l'assistant à une époque, il a été choisi il y a quelques mois pour prendre la relève sur le scénario de Berserk, en suivant soigneusement les écrits laissés par Miura. Pourtant, Mori est un auteur dont la carrière de mangaka a démarré tardivement, après avoir notamment été mûrie suite à son accident de moto, à l'âge de 25 ans, où il faillit perdre la vie et qui l'a poussé à prendre un nouveau départ. Sa carrière professionnelle dans le manga compte à ce jour une petite poignée de séries dont étaient parvenues en France avant ce mois de juillet: Suicide Island, série en 17 tomes publiée entre 2011 et 2017 par Kazé Manga et qui, malgré de grosses rallonges et répétitions, développait tout un propos assez philosophique et profond autour de la vie, et plus récemment Genesis, oeuvre lancée dans notre langue par les éditions Vega-Dupuis l'année dernière, étant toujours en cours à l'heure où ces lignes sont écrites, et où l'auteur poursuit ses réflexions sur la vie à travers les péripéties d'un groupe d'étudiants transportés en pleine Préhistoire. La bibliographie de Kouji Mori, avec ces réflexions sur la vie, semble suivre une véritable cohérence au fil des oeuvres, si bien qu'il semblait indispensable d'avoir un jour dans notre langue la toute première oeuvre de la carrière de l'auteur, celle qui a forgé ces réflexions: Holyland.
Bien qu'elle ait débuté en 2000 dans le magazine Young Animal des éditions Hakusensha (le magazine de Berserk et de Suicide Island aussi, en passant) pour s'y achever 8 ans plus tard après 18 volumes (ce qui en fait toujours, à ce jour, la plus longue série de la carrière de Mori), Holyland est un projet que l'auteur avait en réalité déjà commencé à écrire depuis quelques années, en étant nourri par son nouveau rapport à la vie suite à l'accident de moto qui avait failli le tuer.
L'auteur nous plonge ici dans le quartier de Shimokita, un quartier à la vie nocturne très vivante et parfois violente au vu des bandes de yankees qui y sévissent. N'obéissant qu'à leurs propres règles, ces loubards comment toutefois à être mis à mal par la rumeur de l'existence d'un jeune garçon qu'i a été surnommée "le chasseur de yankees" après avoir mis K.O., toujours seul, quelques redoutables voyous ces dernières semaines avec ses techniques de boxe. Que ce soit par désir de vengeance ou par curiosité, plusieurs groupes de yankees commencent alors à rechercher activement ce fameux chasseur vraiment particulier puisque, selon les dires, il est chétif, n'a rien de spécial physiquement, et semble même très faible quand on le voit. Personne ne sait encore que l'objet de leurs recherches est Yû Kamishiro, un simple lycéen malingre et très effacé, qui était surtout connu jusque-là pour avoir fait l'objet de très violentes brimades à l'époque du collège...
En nous offrant des premières pages centrées sur certains loubards intrigués par ce soi-disant chasseur de yankees, Kouji Mori nous offre une entrée en matière immersive car il y suscite très facilement la curiosité et les interrogations. D'où vient ce chasseur ? Qui est-il ? Quel est son but ? Comment peut-il être a priori si fort s'il a une allure aussi chétive qu'on le dit ? C'est là que l'on découvre petit à petit une partie des réponses, dès lors que le mangaka se focalise ensuite sur Yû, et plus précisément sur ses nombreuses pensées, via une narration introspective qui se démarque de beaucoup de mangas du genre (les furyo purs et durs en tête) pour vraiment nous plonger dans la psychologie de ce jeune garçon à l'apparence si banale et qui, il y a encore peu de temps, n'était qu'un souffre-douleur. On entrevoit alors déjà très bien comment Yû en est arrivé là, pourquoi il se bat, et ces raisons se raccrochent directement à ce qui sera ensuite encore abordé sous différents angles dans Suicide Island et Genesis: ce garçon veut simplement trouver sa place et se sentir en vie, dans un monde où il s'est toujours senti en trop et où il n'avait rien à faire. Mais si les premiers pas de Yû dans le monde nocturne de la rue (un monde n'obéissant qu'à ses propres règles) sont forcément prometteurs au vu de ses particularités et de ses talents pour asséner des coups de boxe dévastateurs, Mori nous fait bien sentir que son parcours ne fait que commencer et qu'il a énormément à apprendre, ne serait que pour contrôler sa peur face à des gars bien plus baraqués que lui, ou pour mieux exploiter ses dons (par exemple, il devra forcément améliorer son jeu de jambes actuellement tout tremblotant et très peu mobile). Et peut-être là que l'auteur brille le plus: son jeune héros a totalement le trac, ne sait pas dans quoi il s'engage, mais ressent dans tout ça une exaltation qui le fait se sentir en vie et lui permet d'espérer enfin trouver sa place.
Enfin, si ce début de série est prometteur, c'est aussi pour la précision que Mori cherche à apporter dans son abord du combat. Certes, son style visuel est toujours aussi moyen dans l'ensemble: avec ses designs un peu inégaux et lisses entre autres, les oeuvres de Mori ne sont jamais réputées pour être des claques graphiques, mais plutôt pour être visuellement fonctionnelles afin de porter les propos voulus par le mangaka. Et forcément, vu que Holyland est la première série de sa carrière, ces petites lacunes entrevues dans Suicide Island et Genesis se ressentent encore plus ici. Et pourtant, le charme opère, car le travail graphique de l'auteur est vraiment au service de son scénario. Non seulement, Mori fait très bien ressortir les particularités et les incertitudes de Yû dans son physique et ses expressions. mais en plus, le mangaka accorde une grande importance aux détails des moments d'action: les petites techniques de combat sont bien rendues pour ensuite mieux rendre intéressantes les diverses explications techniques sur l'art de se bastonner selon les règles de la rue, d'autant que celles-ci s'élargissent déjà pas mal entre les coups de boxe, le judo, et les différences entre ces arts martiaux quand ils sont encadrés et quand ils ont lieu dans la rue.
"Si je ne me bats pas, je ne trouverai jamais ma place dans ce monde."
En définitive, on a droit à une très bonne entrée en matière pour Holyland, comme espéré au vu de la bonne réputation de la série et des bases qu'elles sont vouées à poser dans la très cohérente carrière de l'auteur. A travers les débuts du parcours d'un jeune garçon autrefois faible et effacé pour trouver sa place, Mori promet d'aborder sous un angle psychologique intéressant la volonté de se sentir en vie dans un monde souvent violent.
Concernant l'édition française, c'est satisfaisant. pas de fioriture pour la jaquette qui reste sobre et proche de l'originale japonaise, tout en bénéficiant d'un logo-titre sympathique avec sa silhouette de boxeur dans la lettre "O". Et à l'intérieur: on est sur du pur Vega-Dupuis: le papier souple permet une honnête qualité d'impression malgré une légère transparence parfois, le lettrage de Blackstudio est très propre, et la traduction de François Boulanger est très soignée, surtout quand il s'agit de souligner les pensées et la psychologie du personnage principal.