Hirayasumi Vol.1 - Actualité manga
Hirayasumi Vol.1 - Manga

Hirayasumi Vol.1 : Critiques

Hirayasumi

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 10 Mars 2023

Après le tout premier recueil de sa carrière Le Jour du Typhon, c'est la toute dernière série en date de Keigo Shinzo qui arrive chez Le Lézard Noir en ce mois de mars. Véritable figure phare du catalogue de l'éditeur poitevin depuis la publication de Tokyo Alien Bros. en 2017, l'auteur de grand talent revient avec Hirayasumi, une série qu'il a lancée au Japon en 2021 dans le magazine Big Comic Spirits de Shogakukan, et qui arrive dans notre pays avec une belle réputation en ayant été nommée il y a à peine quelques jours pour le Prix Culturel Osamu Tezuka 2023, mais aussi en ayant été recommandée par le cinéaste culte Hirokazu Kore-eda, l'un des maîtres japonais actuels de la tranche de vie au cinéma.

Dans Hirayasumi, tout commence par la découverte d'un jeune adulte qui ne se fait pas trop de bile: Hiroto Ikuta, 29 ans, célibataire, fan de takoyaki, freeter dans un stand de pêche, et aimant particulièrement se la couler douce. Capable de se réjouir d'un rien (comme quand il retrouve une pièce de 500 yens dans son studio tokyoïte du quartier d'Asagaya), il est très à l'aise avec les mamies qui étrangement l'abordent souvent (peut-être parce qu'il a l'air avenant), mais bloque complètement quand il faut parler avec des jeunes femmes qui lui plaisent, si bien qu'il n'a jamais connu le grand amour même s'il a déjà eu des copines il y a longtemps, et qu'il n'a pas su percer quand il a quitté sa campagne natale de Yamagata pour devenir comédien, vu qu'il perdait souvent ses moyens devant de jolies actrices. Ca ne l'empêche aucunement de vivre dans l'insouciance, jusqu'à avoir même fortement sympathisé avec Hanae Wada, une retraitée de 83 ans chez qui il est invité à manger deux fois par semaine, et qui s'étonne parfois qu'un jeune homme aussi avenant prennent du plaisir à venir voir une vieille dame comme elle. Ces deux-là passent donc des moments simples et heureux ensemble... du moins, jusqu'à ce que Madame Hanae décède soudainement, emportée par un infarctus du myocarde. Et étonnamment, sans doute pour le remercie d'avoir fait attention à une vieille dame comme elle sans la moindre arrière-pensée, Hanae, sans famille, a choisi de léguer en héritage à Hiroto sa maison, un plein-pied quelque peu délabré mais encore riche des souvenirs des moments qu'ils y ont passé tous les deux. Et le jeune homme a à peine le temps de s'y installer que, trois mois pus tard, il se retrouve avec une colocataire: Natsumi Kobayashi, sa cousine de 18 ans avec qui il passait pas mal de temps avant de déménager à Tokyo, et qui arrive à son tour dans la capitale pour y suivre des études en fac de Beaux-Arts section peinture. Au sein de cette vieille maison démarre alors une cohabitation un peu à part...

Les habitués de Keigo Shinzo le savent: dans les oeuvres de l'auteur, tout est très souvent question de duos un peu à part voire mal assortis, et qui pourtant se lient fortement. C'est à nouveau le cas ici, qui plus est via deux binômes qui se succèdent.
L'un, composé de Hiroto et de Hanae avant que cette dernière ne décède, régale par sa manière toute simple de briser l'écart générationnel, de nous présenter un lien affectif à travers les âges comme il en manque tant parfois, ce qui permet aussi de nous présenter en Hiroto un jeune homme particulièrement détaché des clichés. Et à ce titre, bien d'autres exemples le montreront encore, comme quand il fait ses courses à la supérette en tenant son livre de cuisine en main pour voir ce qu'il faut acheter. Quand on vous dit qu'il ne se fait pas de bile !
Et bien vite, c'est ensuite un autre binôme qui se forme avec sa jeune colocataire, sa cousine de 18 ans Natsumi, jeune fille qui nous fait vite craquer avec ses bouilles un peu renfrognées (cachant surtout sa timidité) et certains petits comportements typiques d'une fille qui sort tout juste de l'adolescence: elle est persuadée qu'elle aurait préféré vivre seule, elle met un panneau "défense d'entrer" sur sa porte de chambre, elle a honte de sa passion pour le dessin de manga... Alors, saura-t-elle s'épanouir dans un si gigantesque cadre urbain, elle qui vient tout droit de la même campagne que Hiroto ?

A vrai dire, au départ, rien n'est moins sûr: timide, la jeune fille connaît un début de vie à la fac peu idéal, où sa timidité et sa maladresse pour attirer l'attention (le coup des élastiques lors de la présentation des élèves, c'est magique) font qu'elle n'arrive pas à se faire d'amis, elle se soucie trop du regard des autres, elle trouve les gens de Tokyo bien trop cools pour elle qui n'est qu'une petite campagnarde... si bien qu'elle finit rapidement par sécher les cours et par se morfondre dans sa chambre. Et c'est précisément là qu'intervient Hiroto qui, derrière sa tendance à ne se faire de la bile pour rien qui pourrait irriter certaines personnes, montre justement une philosophie de vie plus tranquille. Il ne rumine jamais car ça ne sert à rien, se fiche pas mal du regard des autres (sauf des jolies femmes à qui il doit parler...), ne ressasse pas de pensées négatives sur son propre cas car il préfère juste souhaiter le bonheur de ses proches, ne se morfond aucunement quand il reste célibataire alors qu'à son âge beaucoup de monde pense mariage et enfants... Le jeune homme mène sa vie comme ça lui chante, en restant yeux et léger sur beaucoup de choses, et en allant naturellement à contre-courant de ce que la société contemporaine veut imposer, en tête un rythme de vie effréné, chose encore plus vraie dans une mégalopole comme Tokyo.

C'est, alors, au contact de ce cousin que Natsumi va, petit à petit, être sûrement amenée à reconsidérer certaines choses, à commencer par le fait d'oser être avenante envers autrui, ce qui lui permettra de se faire une première amie en Akari Yokoyama, une camarade de fac originaire de Fukuoka. Et au fil de ce début de cohabitation qui va forcément changer des choses pour nos personnages, Keigo Shinzo, par le prisme de Hiroto, va montrer un véritable don pour souligner plein de petites choses vouées à alléger l'esprit de ses personnages, et à trouver du beau dans le moindre élément. Le souvenir de Madame Hanae qui restera à chérir. Cette vieille bicoque qu'elle a léguée, qui est un peu décrépie au point de laisser passer des fuites d'eau quand il pleut, mais qui a son charme en étant entourée d'arbres et de fleurs. Le simple plaisir qu'a Hiroto en voyant discrètement que Natsumi utilise encore une lampe qu'il lui a offerte il y a plus de dix ans. Papoter de choses insignifiantes en marchant la nuit dans les rues de la grande ville. Le parfum de la nuit au printemps, les néons des konbini, une sirène d'ambulance qui se fait entendre au loin... Shinzo montre un réel talent pour faire ressortir et ressentir des choses très paisibles dans la jungle urbaine, en se rapprochant régulièrement du courant iyashi-kei qui nous est si cher ici. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si Hiroto possède une mobylette avec laquelle il se fait des petites excursions tranquilles, les deux-roues étant un accessoire quasiment indispensable des mangas iyashi-kei comme Escale à Yokohama ou Au Grand Air. Et on se régale d'autant plus de suivre tout ça à travers un tel duo, car tandis que Hiroto connaît déjà tout ça, y est habitué mais l'apprécie toujours, pour Natsumi chacun de ces moments est une expérience nouvelle.

A l'arrivée, c'est un véritable régal de lecture que nous offre Keigo Shinzo. A l'opposé du drame social de sa précédente série Mauvaise Herbe (sublime), le manga met cette fois-ci ses talents de dessinateur et de conteur au service d'une tranche de vie feel good particulièrement prometteuse, portée par des personnages attachants, et par une ambiance souvent paisible et nous rappelant qu'il y a du beau partout et qu'il ne faut pas oublier de prendre le temps de vivre. Et à ce titre, on attendra impatiemment quelle place prendra dans l'oeuvre la dénommée Yomogi Tachibana, conseillère immobilière que Hiroto croise à quelques reprises de façon houleuse, tant elle semble être tout son contraire en étant toujours stressée, toujours sur le qui-vive, en ne prenant finalement jamais de temps pour elle.

Côté édition, Le Lézard Noir ne change pas ses habitudes sur les titres de Keigo Shinzo, ou presque: jusque-là traducteur de tous les mangas de l'auteur en France, l'excellent Aurélien Estager cède cette fois-ci sa place à Sylvain Chollet, traducteur expérimenté qui livre une copie très honnête ici. A part ça, on retrouve le grand format sans jaquette ni rabats, une bonne qualité de papier et d'impression, un lettrage soigné, et pas moins de 18 pages en couleur (4 au début, 14 à la fin).


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs