Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 10 Juin 2025
Au fil du temps, les oeuvres de kaiju (monstres géants japonais) ont montré qu'elles gardent toujours une solide base de fans, et ce ne sont pas certains titres de ces dernières années qui montreront le contraire, à l'image de l'excellent accueil réservé au très chouette film Godzilla Minus One en salles et, côté manga, de la parution aux éditions Ototo de Kaiju Girl Carameliser et, surtout, du succès de KAIJU N°8 et de ses spin-off dans le monde entier. En ce mois de juin 2025, c'est au tour des éditions Ki-oon de lancer leur représentant du genre: Great Kaiju Gaea-Tima, série prometteuse qui est en cours au Japon depuis 2023 dans le Gekkan Young Magazine des éditions Kôdansha et qui est la deuxième série de la carrière de KENT, un mangaka qui avait été joliment remarqué avec sa première oeuvre Colorless, parue dans notre langue aux éditions Shiba.
Cette histoire nous immisce au sein de Sukuba, une petit ville côtière qui, il y a une décennie, a connu un terrible événement: l'irruption, depuis la mer du Japon, d'un kaiju qui a provoqué un tsunami ayant ravagé le bourg, puis qui s'est dissous dans les eaux. Témoin au premier plan de tout ça aux côtés de sa mère et de sa grande soeur Miki, la petite Miyako Morino a gardé un souvenir impérissable de ce drame qui a blessé voire tué de nombreuses personnes. Dix ans plus tard, la fillette est devenue une adolescente qui néglige ses études pour plutôt se consacrer, dans une petite boutique familiale, à la création de figurines à succès de la créature, baptisée Gaea-Tima. Car à présent, le fait est que Sukuba a développé tout un tourisme florissant autour de ce monstre géant qui n'est jamais réapparu depuis. Ce tourisme a permis à la petite ville de se reconstruire et de prospérer plus qu'avant, et en prime la dissolution du kaiju dans les eaux dix ans auparavant a grandement fertilisé les lieux, si bien que l'irruption de Gaea-Time est désormais quasiment vue comme une bénédiction par certains. Même si elle fait son beurre dessus elle aussi, Miyako, au vu de u drame que ce fut, voit toujours la créature comme un cataclysme... mais pourra-t-elle encore garder longtemps cette image négative ?
En effet, quand un nouveau monstre géant inconnu apparaît et qu'elle imagine déjà revivre le même cauchemar qu'autrefois, la jeune fille, à sa propre surprise, crache une étrange bille d'où sort Gaea-Tima en personne. Au bout d'un combat de celui-ci contre le nouveau monstre, le fait est que Gaea-Tima vient de sauver Sukuba, avant de s'effondrer et de se volatiliser à nouveau. Comment cela est-il possible ? Cet imposant kaiju est-il méchant comme le laissaient penser les événements d'il y a dix ans, ou est-il au contraire un protecteur ? Au vu de l'accueil très contrasté réservé à sa réapparition (certains l'admirent et veulent le protéger quand d'autres ne voient toujours en lui qu'un monstre à abattre), quel sort lui sera réservé s'il réapparaissait encore à l'avenir ? Et surtout, pourquoi est-il sorti d'une étrange bille crachée par Miyako, et quel est donc le rapport de l'adolescente avec lui ?
Ces différentes interrogations sont évidemment au coeur de ce premier tome très efficace dans sa mise en place, tant KENT sait installer tout ce qu'il faut pour nous intriguer. Ainsi, les premiers développements se font assez vite, notamment via la découverte un peu décalée de ce que Miyako pourrait bien représenter pour Gaea-Tima, à travers les premiers tourments de la jeune fille (elle se retrouve au coeur d'une affaire qui la dépasse et doit déjà encaisser d'invraisemblables vérités, elle qui pense surtout à ne plus inquiéter sa mère) ainsi que l'entrée en scène limpide de premiers personnages secondaires prometteurs, à l'image de Tatsukuni et de ses deux acolytes au caractère bien marqué
Bien que le tome laisse pour l'instant présager d'une suite à la formule assez classique, où les combats à grande échelle entre kaiju devraient facilement trouver leur place, on a donc tout ce qu'il faut pour se laisser happer... et même encore un peu plus. Car en plus de distiller quelques notes comiques décalées via la nature du lien qui s'installe entre l'héroïne et son "monstre géant de poche", KENT, après avoir rendu honneur à la science-fiction dans Colorless, affirme cette fois-ci rapidement sa volonté d'offrir un véritable hommage aux oeuvres de kaiju qui semblent avoir bercé son enfance. Cela se ressent particulièrement sur le plan graphique où l'auteur, tout comme il l'avait fait dans Colorless via ses notes de couleurs dans les planches, montre ici une très sympathique originalité visuelle à travers les designs de Gaea-Tima et de ses autres monstres, pour lesquels il prend appui sur les séries de kaiju d'autrefois, quand les costumes de monstres étaient encore portés par des acteurs. Ainsi, les kaiju géants de KENT ont un côté un peu humain derrière leur allure monstrueuse, que ce soit dans leur allure sur leurs deux pattes arrières, dans certains regards, et surtout dans les plis de leur peau qui font très "costume". A part ça, sur le plan graphique, le mangaka livre des designs humains à la fois simples et expressifs où chaque personnage est bien reconnaissable, des premières séquences d'action classiques et brèves mais vives et intenses (ce qui, naturellement, promet pour la suite), et une utilisation régulièrement excellente des onomatopées pour renforcer l'ampleur et le parfum de menace véhiculés par les créatures.
Hommage aux monstres géants à l'ancienne, mais distillant également ses petites originalités pour nous intriguer comme il se doit, ce premier volume pose Great Kaiju Gaea-Tima comme un divertissement prometteur, dont on attendra de voir les développements sur la longueur, en espérant que l'oeuvre confirmera son unicité.
En fin, côté édition, Ki-oon livre une copie soignée: la jaquette reste proche de l'originale japonaise jusque dans la typo du logo-titre, le papier allie souplesse et épaisseur malgré une légère transparence par moments (rien d'embêtant), l'impression est satisfaisante, la traduction de David le Quéré est très claire, et l'adaptation graphique de Florian Monnier est propre.