Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 02 Février 2023
Avec le très bon accueil du Tigre des Neiges et de Tokyo Tarareba Girls chez Le Lézard Noir puis celui de Trait pour trait aux éditions Akata, la mangaka Akiko Higashimura semble enfin avoir la reconnaissance qu'elle mérite dans notre pays depuis quelques années, et les éditions Delcourt/Tonkam semblent elles aussi l'avoir remarqué. Trois ans et demi après la conclusion de Princess Jellyfish (une série qui, pour rappel, avait été éditée par Akata à l'époque de sa collaboration avec Delcourt), l'éditeur revient donc sur cette si talentueuse autrice, en lançant en ce tout début de mois de février de l'une de ses séries en cours: Gourmet Détective. De son nom original Bishoku Tantei Akechi Gorô, cette oeuvre a été lancée au Japon en 2015 dans le magazine Cocohana des éditions Shûeisha (magazine qui avait déjà accueilli Trait pour trait), et elle compte actuellement 10 volumes. Elle a connu une adaptation en série live en 2020 dans son pays d'origine.
Cette série nous immisce dans le cabinet d'un détective pas comme les autres situé à Omotesandô, quartier-avenue chic de Tôkyô que la mangaka a déjà mis en scène à certaines reprises par le passé, notamment dans Tokyo Tarareba Girls. C'est dans ce cabinet que sévit Gorô Akechi, un détective privé qui a autant d'intérêt pour les enquêtes que pour la gastronomie dans tous ses états tant qu'elle est bonne. Et c'est bien pour ça que, régulièrement, il se fait un plaisir d'aller déguster les bentos préparés par la sémillante Ichigo Kobayashi, la jeune gérante du food truck situé sur le trottoir juste en face de son cabinet, où tout est simple mais fait maison. Mais le jour où une enquête sur un soupçon d'adultère met quelque peu à mal ses talents de détective jusqu'à une issue inattendue et tragique, Akechi finit par emmener dans son sillage Ichigo pour ses prochaines enquêtes où, à chaque fois, il risque fort de retrouver sur sa route la trace d'une insaisissable criminelle...
Ce premier volume nous propose deux premières affaires de meurtre, où la première ne sert vraiment que de prélude pour installer les personnages, avant que la deuxième, déjà plus longue en occupant les trois quarts du tome, ne propose un cas d'empoisonnement servant surtout à consolider la place prise par la dénommée "Mary Magdalène". Les affaires en elles-mêmes, pour l'instant en tout cas, ne visent clairement pas à stimuler le lectorat dans leur aspect enquêtes: la première est très brève en ne servant que d'installation, et la deuxième nous dévoile d'emblée l'identité des coupables. Il ne faut donc pas chercher ici une recette de whodunit classique, car l'intérêt du récit se situe ailleurs.
Tout d'abord, la nature même d'Akechi et le duo étonnant qu'il forme avec Ichigo. Avec son look d'un autre temps (cravate texane en tête) qui n'empêche pourtant pas un côté chic et élégant presque caricatural ainsi qu'un certain flegme dans ses enquêtes, notre héros dénote facilement, plus encore quand il y a à ses côtés Ichigo, pétillante cuisinière plus simple qui se retrouve embarquée dans ses affaires. De par leur look, leur statut et leur caractère bien différents, ces deux-là forment un binôme un eu dépareillé qui s'avère assez exquis et vivant, plus encore au vu de la façon dont ils se parlent (à l'image des réguliers "Go Kobayashi" lâchés par Akechi, sorte de petit gimmick langagier bien trouvé).
Ensuite, la place que prend la gastronomie dans cette histoire. En plus d'être lui-même un fin gourmet épicurien (il fait même partie d'un club de gourmets), Akechi se frotte ici à deux premières affaires où la cuisine a un rôle important, d'où l'implication d'Ichigo dans ses enquêtes. Ce qui est notamment l'occasion pour Higashimura d'aborder certains éléments liés à la cuisine, comme les variétés de pomme, ou tout simplement l'importance des repas en tant que moments de partage.
Puis, la manière dont la mangaka en profite pour poser un bref regard sur la société japonaise, entre les limites de la police (plus encore dans les affaires de meurtres qui semblent souvent la dépasser, au point de peut-être la pousser à en étouffer certaines) ou certaines limites auxquelles sont confrontées les femmes dans leurs relations avec les hommes: vie de couple ennuyeuse à cause d'un mari qui ne communique pas, tromperie/adultère...
Enfin, le fil rouge qui se met en place autour d'un véritable jeu de cache-cache entre Akechi et celle qui se fait appeler Mary Magdalène, femme cachant, derrière son allure particulièrement mature et séduisante (du moins, après s'être émancipée de son quotidien très morne avec son époux...), un sacrée ingéniosité pour commettre ses crimes, jusqu'à devenir insaisissable. On le sent bien, le détective va devoir redoubler de malice pour, un jour, coincer ce "monstre" qu'il a lui-même involontairement créé, et cela ne se fait pas non plus sans une sorte de petit jeu de séduction, tant Mary semble vouloir faire tomber Akechi dans ses filets à terme.
Sous les habituelles grandes qualités narratives d'Akiko Higashimura, les débuts de ce manga d'enquêtes pas comme les autres se suivent tout seuls. Les personnages, le concept et le fil conducteur se mettent très bien en place, en nous laissant espérer le meilleur pour la suite.
Concernant l'édition, on a droit au petit format shôjo/shônen typique de Delcourt/Tonkam, avec un papier souple et sans transparence ainsi qu'une qualité d'impression honnête. Facile à prendre en mains, l'objet-livre bénéficie également d'un lettrage classique et propre du studio Makma, d'une excellente traduction toujours bien dans le ton de la part de l'excellente Miyako Slocombe (une grande connaisseuse de Higashimura puisqu'elle fut déjà à l'oeuvre sur Le Tigre des Neiges, Tokyo Tarareba Girls et Trait pour trait), et d'une jolie jaquette à la fois fidèle à l'originale nippone et dotée d'un élégant logo-titre qui colle bien à la série.