Fragments d'horreur : Critiques

Ma no Kakera

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 03 Août 2023

Toujours aux petits soins avec l'un des maîtres du manga d'horreur, Mangetsu étoffe sa collection Junji Itô au fil des mois. En cet été 2023, le dernier arrivé en date est Fragments d'Horreur, ou "Ma no Kakera" en langue originale, un recueil assez symbolique puisqu'il marque le retour de l'artiste vers le manga d'épouvante, après quelques années à avoir exploré d'autres registres, entre 2006 et 2013. Ayant vu un caprice du destin avec le décès de son ancien éditeur puis celui de son chat, Junji Itô se relance dans des histoires courtes horrifiques, de manière à constituer le présent ouvrage qui est sorti dans les librairies nippones en juillet 2014. A cette époque, il se disait moins performant, mais est-ce le cas ? Après nous avoir marqués par des figures iconiques, Fragments d'horreur ne serait-il pas le première pierre de l'édifice d'un nouveau point de départ ?

Voilà un axe de réflexion possible au cours de notre lecture du recueil. Quand on évoque le nom de l'auteur, des personnages tels que Tomie, Shôichi, le mannequin, voire des histoires comme Spirale, viennent rapidement en tête. Avec les 8 histoires de Fragments d'horreur, Junji Itô ne cherche pas à faire revivre les figures les plus populaires de sa carrière, mais à explorer de nouveaux horizons, quitte à tâtonner au départ. Ainsi, la première histoire de cette reprise est "Le Futon", un récit étonnamment court de 8 pages seulement, qui déroute tant par sa durée que par la représentation horrifique proposée. Dans ce style de narration, on pourrait trouver quelques échos à l'horreur cosmique de Sensor. Lors de la parution de l'ouvrage, le mangaka s'est montré peu convaincu par cette entrée en matière, mais celle-ci a pour mérite de nous prendre au dépourvu d'entrée de jeu.

Le déroulement de Fragments d'horreur semble suivre cette logique de réinvention. Comme à son habitude, Junji Itô se réinvente à chaque fois dans ses idées, aussi il ne fait pas faux bond à cette imagination débordante lors de ce retour total à l'épouvante, en 2013. Un genre qu'il n'avait pas totalement délaissé, preuve en est la dernière histoire de l'ouvrage qui fut dessinée en 2009. Néanmoins, il aborde ici certaines idées nouvelles, avec notamment quelques rapports à la libido, en inventant des figures qui auraient pu devenir les icônes de nouvelles séries horrifiques. Et dans cet ensemble, Itô implante des ambiances parfois plus singulières, comme la mélancolie que peut procurer "Doux adieux", comme s'il exprimait ici ses regrets et faisait son deuil par rapport aux proches qui l'ont quitté. L'artiste ne se renie pas -aussi son amour pour les déformations corporelles figure deux plusieurs intrigues-, mais on peut penser que ce détachement de l'horreur pendant quelques années lui a permis d'aborder le genre sous des angles nouveaux, avec des manières neuves de symboliser l'effroi, qui se retrouvent dans ses oeuvres contemporaines. Une phase de changements pour le mangaka donc, justifiant la parution de l'ouvrage dans nos contrées. Et peu importe cette évolution, le mangaka n'a rien perdu dans sa manière de nous captiver, tant ces 8 récits s'enchainent sans que l'on veuille lâcher l'ouvrage. Junji Itô rend l'horreur addictive, une qualité qui demeure encore aujourd'hui, et qui ne le quittera probablement pas.

Dans ce programme, deux récits ne relèvent pas de l'inédit chez nous, puisqu'elles furent proposées dans le second tome des recueils de chefs-d'œuvre, proposé chez Mangetsu. "Doux adieu" et "La chuchoteuse" sont donc des histoires que nous redécouvrons, ce qui laisse six intrigues totalement inédites. Là est la difficulté avec l'œuvre du maître, énormément constituée de one shot qui, par conséquent, se retrouvent dans plusieurs ouvrages.

Côté édition, Mangetsu propose ses habituels tomes d'excellente facture, l'épaisseur moins dense de cet ouvrage de moins de 250 pages rendant le confort de lecture particulièrement plaisant. On saluera aussi l'adaptation graphique solide de Black Studio, et la traduction toujours efficace d'Anaïs Koechlin, les dialogues faisant aussi partie des ambiances qu'instaure Junji Itô dans ses histoires.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs