Fin du monde, avant le lever du jour (la) - Actualité manga

Fin du monde, avant le lever du jour (la) : Critiques

Sekai no Owari to Yoakemae

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 09 Mai 2011

Voici un retour attendu pendant longtemps, très longtemps. Mais cette fois-ci, ça y est: deux ans et demi après le Champ de l'arc-en-ciel, Inio Asano, l'un des grands espoirs de la nouvelle génération de mangaka, revient enfin en France avec La fin du monde, avant le lever du jour, nouveau recueil de nouvelles toutes plus fascinantes les unes que les autres, où l'auteur reste dans son grand amour pour la peinture de personnages perdus dans un quotidien qui les engloutit.

Au programme de cet épais ouvrage de plus de 270 pages, plus d'une dizaine de morceaux de vie, dont quatre se regroupant sur une même histoire d'environ 70 pages. Pour le reste, les longueurs varient, allant de la simple histoire d'ouverture de 4 pages en couleurs, muettes, simples extraits de vie, aux deux petites pages finales se reliant à la plus longue nouvelle du volume (une quarantaine de pages). Mais la majorité des histoires tournent autour de la vingtaine de pages.

Après les pages en couleurs, les choses sérieuses s'ouvrent sur un chapitre témoignant de la maestria et de l'inventivité narrative de l'auteur. Pendant un peu moins de trente pages, Asano enchaîne des tranches de vie de deux pages, des portraits de personnages en plein bonheur, que celui-ci soit simple ou grandiose, ou en train de vivre des instants difficiles, voire étant plongés dans le drame, ou encore vivant quelque évènement surnaturel... Des personnages tous reliés les uns aux autres par le simple fait que la première case d'un extrait de vie possède un élément faisant directement écho à la dernière case de l'extrait de vie précédent. L'effet de style est saisissant. Les personnages n'ont aucun lien entre eux, et, par ce procédé, sont pourtant subtilement tous reliés. Simplement, ils vivent tous dans le même monde, où ils sont tous susceptibles de vivre des choses heureuses ou malheureuses, des petits bonheurs ou de grands drames, des déceptions ou d'immenses joies. La vie, tout simplement.

Après cette entrée en matière conquérante, nous sommes certains qu'Asano n'a rien perdu de son talent, et il le confirmera rapidement à travers des histoires courtes mettant en avant des personnages très différents les uns des autres. Ici, un père de famille fugue, car il a le sentiment que ses idéaux familiaux n'existent plus depuis la mort de sa femme et son licenciement. Là, un jeune mangaka, lors de retrouvailles avec ses anciens camarades de classe, se rappelle une promesse faite pendant l'enfance avec la fille qu'il aimait. Là-bas, une femme retrouve une lettre qu'elle s'était écrite cinq ans auparavant. Dans sa petite cahute de la gare du centre-ville, la pétillante et souriante Eiko rêve en secret d'une tout autre vie, faite de richesse et du beau prince charmant. Et ainsi de suite.

Ces vies, Asano excelle toujours pour les représenter, quoi que l'auteur lui-même puisse en dire dans sa postface où il avoue régulièrement ne pas être satisfait de son travail. On lui concédera alors, pour ne pas le contredire, un graphisme un peu moins régulier sur telle ou telle histoire un peu plus ancienne, ou un goût moins prononcé pour les excellents trips dans lesquels il était capable de nous emmener dans un titre comme le Quartier de la Lumière. Mais vraiment pour ne pas le contredire.
Pour le reste, on retrouve toute la force de l'auteur pour dépeindre des personnages en plein doute, devant faire face à quelque difficulté, à un passé qui ressurgit, à un présent qu'ils ne savent comment aborder, ou à un avenir qui tarde à arriver. Un aspect un peu introspectif porté par les pensées très humaines des personnages, un peu d'humour très discret au détour d'une ou deux répliques, un peu de folie avec un personnage comme Eiko, une ambiance mêlant en même temps joie, tristesse, mélancolie, pour un résultat vivant et unique. Les personnages ne sont pas fixes, se cherchent sans cesse, recherchent la moindre parcelle de bonheur, ne serait-ce qu'à travers un baiser soudain, pour tenter d'oublier qu'ils sont perdus, ou pour échapper à la réalité. Les dialogues sont très souvent justes, Asano touche toujours là où ça fait mal et, grâce à ses personnages, émeut et donne à réfléchir sur la condition humaine. Les dessins finissent de sublimer le tout: un sourire forcé par-ci , des larmes retenues qui finissent parfois par couler par-là, des regards désabusés ou pétillants, des yeux interrogateurs envers l'avenir, des mines bourrées de regrets ou en plein doute... Le tout dans des décors souvent bien ancrés dans un quotidien réel, morose, calme ou oppressant, où viennent pointer parfois les paysages de petits bonheurs simples, comme un rayon de soleil perçant les nuages au dessus d'un canal, entre les immeubles.

Asano est un magicien des émotions et des ambiances, qu'il dépeint avec un réalisme saisissant. Aucune histoire n'est toute rose ou toute noire, et si les choses sont difficiles, un espoir, quelque part, est toujours permis, comme tendrait à le montrer cette jeune fille que l'on revoit à trois reprises dans l'oeuvre, comme un fil rouge, à différents moments de sa vie d'adolescente, au début dans "Alfalfa", au milieu dans "Retour à la maison", à la fin dans "La fin du monde". Une fille perdue, qui en vient à fuguer, mais qui, au final, retrouve du goût à la vie. Par ailleurs, il est dommage que l'éditeur n'ait pas compris qu'il s'agissait à trois reprises du même personnage, puisque la demoiselle se retrouve nommée tantôt Ôzawa, tantôt Oosawa.

L'édition restera d'ailleurs le principal frein à l'achat, tant elle revêt tout de l'arnaque. 15€ pour un titre de la collection Made In, c'est monnaie courante. Mais ici, le problème est que l'habituel grand format de cette collection est troqué contre un petit format seinen. Du jamais vu. On aurait pu passer outre, si le reste de l'édition avait suivi, mais ce n'est pas le cas. Même si nous avions eu affaire à un grand format, le papier utilisé est de qualité inacceptable pour un titre de ce prix, y compris pour la dizaine de pages en couleurs, qui, de ce fait, ont un rendu imparfait. Les moirages sont bien présents, l'encre a tendance à baver... Non, vraiment, on ne comprend pas, tant le rapport qualité/prix est honteux.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs