Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 23 Février 2024
La Fanfare au clair de lune fait partie de ces séries annoncées de longue date par Noeve Grafx mais qui se sont longtemps faites attendre: alors que son acquisition en France fut dévoilée en décembre 2021 pour un lancement initialement prévu en mai 2022, l'oeuvre débarque finalement dans notre langue en cette fin de mois de Février. Pendant cette longue attente, la série a eu le temps de s'achever au Japon au bout de 6 volumes, en janvier 2022, après avoir été prépubliée là-bas à partir de 2020 dans le magazine Manga Action de Futabasha sous le titre Mikazuki March.
Il s'agit là de la toute première série de la carrière de Hamachi Yamada, une autrice qui semble avoir un rapport étroit à l'Art de manière générale puisque c'est aussi de ça dont il fut question dans ses deux travaux suivants, à savoir le one-shot Shoudou mettant en scène une ballerine, et la série Hanaikeru: Kawakita Koukou Kadou-bu (toujours en cours au Japon actuellement) dans laquelle elle met en avant l'art floral de l'ikebana.
La Fanfare au clair de lune nous immisce auprès de Mizuki Himekawa, adolescente mal dans sa peau. Timide et maladroite depuis toute petite, elle n'est pas aidée par sa mère qui préfère tout décider pour elle, et qui a toujours mis l'accent sur les études et uniquement ça, ne laissant pas l'occasion à son enfant de s'épanouir. Désormais lycéenne, Mizuki le sent bien: si elle reste comme ça, elle mènera toujours une vie lasse. Alors, elle prend une décision radicale, en profitant des vacances de printemps, juste avant sa rentrée en classe de première, pour fuguer et fuir Tokyo afin d'aller à Akita, là où vit sa tante Yuki, une trentenaire célibataire dont elle garde un excellent souvenir. Accueillie à bras ouverts par celle-ci dans sa maison de bord de mer servant aussi de café, Mizuki se sent plus libre et moins seule pendant les vacances... mais elle n'en tire pas de plaisir suffisant, comme s'il lui manquait toujours quelque chose. Et si ce manque en question, c'était une passion, chose qu'elle n'a jamais pu avoir chez ses parents ?
C'est là qu'entre en scène Akira Hoshino, employé à temps partiel au café de Yuki, économisant soigneusement depuis le collège pour décider de son avenir et avancer par ses propres moyens vers son rêve fou, et faisant soudainement découvrir à la jeune fille un art qu'elle ne soupçonnait pas: la fanfare. Se sentant vibrer en assistant à une répétition de musiciens passionnés et se donnant à fond, Mizuki en ressort surexcitée et éblouie, en sentant bien qu'il s'agit là de ce qu'elle cherchait: quelque chose qui la ferait se sentir vivante. Alors, encouragée par sa tante (le genre de femme, vraiment, qu'on ne peut qu'adorer d'emblée au vu de sa personnalité), Mizuki va, pour la première fois, se rebeller contre ses parents venus la chercher, et affirmer qu'elle veut rester à Akita pour intégrer le lycée Senshû et rejoindre la fanfare de celui-ci. Pour elle, c'est le début d'une nouvelle vie.
Vous l'aurez compris: comme pas mal d'autres oeuvres du genre, il est en premier lieu question ici, à travers l'immédiatement attachante Mizuki, d'émancipation et de naissance d'une passion dans laquelle s'épanouir pour, enfin, peut-être parvenir à surpasser ses faiblesses, son manque de confiance en soi, sa timidité. Et si, dans les faits, tout va vite dans les premières évolutions de l'héroïne, avec même un premier festival de fanfare local qui débute en fin de volume, le souffle que Hamachi Yamada met constamment dans son oeuvre la rend facilement entraînante voire irrésistible à lire: c'est bien rythmé tout en restant toujours clair et soigné dans l'abord de la jeune fille, on la suit avec plaisir dans ses premiers pas et dans sa rencontre avec quelques nouveaux camarades (bien que les quelques têtes que l'on retient, comme la présidente Sacchan, la petite Megumi et bien sûr Akira, restent quand même très en retrait pour l'instant)... et, surtout, sur le plan visuel ses personnages resplendissent dès qu'il s'adonnent à leur passion, la mangaka retranscrivant avec beaucoup d'expressivité et de jolis effets leurs émotions et leurs efforts. Ajoutons à ça des mouvements, instruments et tenues soigneusement retranscrits, ainsi que le cadre d'Akita très joliment dépeint dans ses décors charmants, et on obtient quelque chose qui n'a aucune difficulté à emballer.
Mais dans cette série, comme le nom l'indique, il est avant tout question de fanfare ! Sans être nouveau dans le domaine du manga et de l'animation puisque des oeuvres comme Aozora Yell ou Sound! Euphonium l'ont déjà mis en scène, ce sujet reste plutôt rare dans notre pays, et on accueille alors ce manga avec d'autant plus de plaisir que Hamachi Yamada a à coeur de l'aborder sous pas mal d'aspects. L'autrice n'a effectivement pas choisi ce sujet par hasard: elle a elle-même fait partie de la fanfare de son lycée dont elle garde un souvenir précieux, connaît donc bien le sujet, et on sent qu'il y a sa propre passion dans sa façon de l'aborder. Une passion qui se ressent bien à travers Mizuki: initialement persuadée qu'elle n'y arriverait pas si elle rejoignait le club, car elle n'a jamais joué d'instrument et n'a aucune endurance, elle va vite comprendre qu'il ne faut pas avoir peur de se lancer, car comme le dit sa tante, "si tu trouves quelque chose qui te plaît, tu ne dois surtout pas lâcher, ou tu le regretteras une fois adulte."
A partir de là, la mangaka n'est pas avare en informations sur tout ce qu'impliquent l'apprentissage et la participation à une fanfare: apprendre à jouer correctement son instrument (la trompette dans le cas de notre héroïne), savoir se déplacer tous en rythme à une longueur de pas et à une distance bien définies et en regardant le moins possible ses pieds puisqu'il faut jouer en marchant (et pour une fille comme Mizuki, si timide qu'elle baisse souvent la tête, apprendre à la relever est forcément un joli symbole), s'entraîner et apprendre la musique dans son coin avant de se synchroniser instrument par instrument puis de jouer des centaines de fois avec tout l'orchestre pendant des heures, mémoriser la partition par coeur car on ne peut pas la regarder en marchant, ne pas oublier d'observer les autres en représentation au cas où il faudrait pallier à des problèmes... Découvrir tout ceci est très prenant et impressionnant, car quand on regarde simplement une fanfare on n'a pas forcément conscience de toute la rigueur et de tout le travail qu'il y a derrière.
Au final, il semble difficile de ne pas se laisser emporter par la verve que dégage ce premier tome. Certaines choses ont beau s'enchaîner rapidement, et la plupart des personnages secondaires ont beau être plutôt transparents pour l'instant, il y a dans ce premier volume un souffle, une passion, de belles qualités graphiques qui rendent le tout communicatif, sans oublier l'attachement facilement acquis pour une héroïne en pleine quête d'épanouissement, d'émancipation et de confiance en elle. On regretterait presque qu'il n'y ait que 5 tomes après celui-ci, mais au moins la série ne devrait pas avoir le temps de s'essouffler !
Enfin, côté édition, c'est très satisfaisant. Comme toujours, Noeve Grafx a eu à coeur de concevoir un bel objet, chose qui se voit dès les huit premières pages en couleurs sur papier glacé et la jaquette dotée d'un léger relief avec vernis sélectif ainsi que d'un logo-titre soigné. Si le papier pèche par une très légère transparence par moment, il reste souple et agréable au toucher, en plus de permettre une qualité d'impression honnête. Enfin, le lettrage du Studio Charon est convaincant, tandis que la traduction signée Marylou Leclerc se veut emballante, assez naturelle et bien adaptée aux émotions des personnages.