Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 20 Juin 2017
Le printemps s’en est revenu. Les êtres de cristal s’éveillent de leur hibernation. Les choses ont changé depuis. Le gardien hivernal Antarticite n’est plus parmi eux. Un autre être de cristal a pris sa place : Phos. Fort d’une singulière et puissante deuxième mutation, ou altération de sa matière, Phosphophyllite est méconnaissable, au centre de toutes les attentions.
Un premier tiers d’ouvrage un brin classique, mais qui ne manquera point pour autant de placer la série sur un nouvel axe : Phos a changé, ses rapports avec ses congénères ne sont plus ceux d’autrefois. Doté d’une grande force, chacun lui porte l’intérêt le plus vif ; un davantage que d’autres… l’infatigable Bort souhaite l’intégrer dans son équipe de combattants. Pour Phos, si cette situation relevait autrefois du rêve le plus inatteignable qui soit, il s’agira néanmoins pour l’heure d’une occasion bien réelle. Et, aussi étonnant que cela pourra paraître, au lieu d’être porté par l’enthousiasme de circonstance qui aurait pu en être attendu, Phos se minera dans ses pensées. Un superbe revirement de psychologie : la tête à claques à la parole bavarde s’en est devenue l’être esseulé dans le dédale de ses réflexions. Phos emprunte la voie d’une âme tourmentée, et cela ne semble être que le commencement.
Après une relative redistribution des cartes entre ses protagonistes, le centre de l’ouvrage sera perturbé par ce qui pourra sans doute être considéré comme le plus grand des tumultes qu’aura connu jusqu’alors « L’Ere des Cristaux ». Une de ces taches noires annonciatrices d’un assaut sélénien apostrophe les cieux, et celle-ci n’avait jamais été aperçue par le passé. Soudain, le ciel se déchire à plusieurs endroits. Des griffes colossales semblent vouloir frayer le plus grand des chemins entre les deux mondes : quel monstre va-t-il en sortir cette fois ? Bort est dépassé. Les êtres de cristal battent en retraite. L’auteur à cette aisance qui consiste à créer les situations au sein desquelles la tension culmine ! A tel point qu’il sera clairement ressenti que, à tous les instants, chacun est susceptible d’y laisser sa peau à la moindre inattention ; comme cela a d’ores et déjà pu se produire par le passé.
Cette séquence catastrophe, où il serait cru à un affrontement contre un de ces dieux hindou, a quelque chose d’incroyable dans sa retranscription par l’auteur : lors de la séquence durant laquelle, dans les cieux et avec désespoir, Bort affronte ces bras envahisseurs, le découpage des planches, la mise en scène et le dessin se veulent tout bonnement exceptionnels. Haruko Ichikawa aura à nouveau fait des merveilles. Un monstre superbe venu d’un autre monde qui se voudra, tant dans sa conception que son esthétisme, d’une inspiration hindouiste : Kalika (ou Kali), la déesse du temps et de la mort ?
Par ailleurs, et sans trop rentrer dans les détails à ce sujet pour le moment – dans la mesure où cela impliquerait un développement que trop important ici – il conviendra de préciser, pour ceux qui ne l’auront point encore saisi – que la culture hindouiste est particulièrement présente dans L’Ere des Cristaux, qu’il s’agisse de la thématique du cristal, de l’inspiration des Séléniens voire encore des codes bouddhiques revêtus par Maître Vajra. Les clins d’œil sont très nombreux et parcourent régulièrement l’intrigue. Cependant, et heureusement pour la démocratisation du titre, leur connaissance n’est en rien nécessaire afin d’en appréhender le récit.
Haruko Ichikawa plonge le protagoniste principal dans la confusion, bouleverse les rapports entre les personnages et confronte le monde de cristal à une menace à la fois étrange et sans précédent. Panaché de sentiments à fleurs de peau, de culture hindouiste et de moments insoutenables, l’œuvre persiste à jouir de la plus grande cohérence, de l’attrait le plus haut. Posément, l’intrigue s’enorgueillit de toute son ampleur. « L’Ere des Cristaux » poursuit son ascension.