En proie au silence Vol.2 - Actualité manga
En proie au silence Vol.2 - Manga

En proie au silence Vol.2 : Critiques

Sensei no Shiroi Uso

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 23 Juillet 2020

Critique 1 :

""Ce qui te terrorise, c'est le fait que malgré toi, tu es un homme." Je le sais bien, ces mots auraient dû être adressés à quelqu'un d'autre. Mais qu'ils le fassent exprès ou pas du tout... du point de vue de quelqu'un à qui on a arraché une partie de son être, ça revient au même."

Voici en partie les paroles que Misuzu a lâchées à la figure de Niizuma à la fin du tome précédent avec une violence abrupte, créant dès lors un malaise entre eux deux. Et voici dans quel état d'esprit la jeune enseignante s'est enfermée, silencieusement, au fil des 4 longues années où elle a été régulièrement abusée par Hayafuji sans jamais pouvoir se sortir de son emprise prédatrice, l'odieux et pervers narcissique fiancé de sa meilleure amie ayant même été jusqu'à prendre une photo compromettante pour la maintenir sous son joug. Que ce soit pour tenter de préserver son amie Minako ou pour peut-être essayer de se protéger elle-même en se construisant une carapace de déni et de silence, la jeune professeure endure sans un bruit, sans avoir forcément conscience qu'un jour ou l'autre, cela pourrait retomber sur Minako d'une façon ou d'une autre. Mais tout ceci n'a-t-il pas largement trop duré ?

On l'a un peu senti avec la colère de l'enseignante à la fin du premier tome: ce qui a envie de sortir au plus profond d'elle-même commence à apparaître. Mais très difficilement, au risque de re-disparaître tout aussi vite, car quand bien même elle essaie de s'expliquer avec Hayafuji, il ne peut aucunement être simple de s'extirper de l'emprise d'un prédateur et manipulateur pareil, qui pose constamment sur les femmes un regard désireux et supérieur détestable, et qui continue de manipuler bien d'autres "pucelles", tandis qu'il ne voit plus Minako que comme "sa fiancée", pour peu que les mots aient encore une valeur dans le cas présent.

Pourtant, il y a encore, dans l'entourage de Misuzu, certains visages qui pourraient venir soudainement se confronter à son mal-être, en tête desquels une lycéenne libre, Tsubaki Midorikawa, adolescente jugée par les profs, par les hommes, car à son âge elle a choisi de son plein gré de poser dans un magazine. Cette jeune fille a choisi, dès son adolescence, d'affronter à sa manière la société patriarcale, avec une façon bien à elle de montrer qu'elle est forte, et une vision de son corps qu'elle affirme haut et fort: "L'idée que mon corps puisse me faire souffrir, c'est du délire !". Elle a beau apparaître assez brièvement ici, cette adolescente arrive un peu comme une tempête et affirme quelque chose d'assez fort à la face de Misuzu.

"Mlle Hara... c'est vous qui devriez prendre mieux soin de votre corps. Si vous souhaitez changer les mentalités, le minimum, c'est de ne pas vous mentir à vous-même."

Ne pas se mentir à soi-même, en voila une chose essentielle, mais y parvenir est sans doute beaucoup plus difficile à faire quand, pendant tant d'années, on s'est enfermée dans le silence, une situation dont il est forcément complexe de sortir. Preuve que mieux vaut ne pas rester silencieuse ne serait qu'un court moment, même si parler impliquerait aussi de la souffrance.

"Non. Je n'ai plus un corps qui m'appartient à moi seule, dont je peux prendre soin. J'aurais aimé pouvoir en prendre soin."

Niizuma, de son côté, est ressorti très perturbé de son "face-à-face" avec Misuzu, et ne sait plus trop comment se comporter avec elle. Il le sent toujours plus, quelque chose que la jeune femme cache est en train de la ronger. Et quand bien même un indice sur ce secret viendrait à apparaître sous ses yeux, que pourrait-il donc faire et dire ? Il faut dire que l'adolescent est lui même en pleins tourments, car tout homme qu'il soit, il ne sait pas toujours comment réagir face aux avances de sa petite amie Mika quand bien même il cède à certains comportements "bien masculins", a toujours des visions rebutante de cette femme mûre ainsi que sa peur de "ce qu'il y a en bas"... Si les hommes sont censés être forts dans cette société lui ne l'est pas, ou en tout cas pas comme le dicte la société patriarcale.

"Je sais que ce que je fais n'est pas bien. Mais... je ne sais pas du tout... à partir de quel moment ce que je fais devient mal. Tout ce que je fais est mal, c'est la seule conclusion que j'en tire."

Mais au-delà de Misuzu qui se erre encore dans le silence, de Tsubaki qui affronte la réalité problématique à sa façon, ou de Niizuma en homme paumé et tourmenté dans ce monde patriarcal, bien d'autres personnages sont intéressants ici, même brièvement. On pense au comportement de Yuki dès les premières pages, à la vision des femmes qu'a Wadajima en les trouvant toutes "craquantes", évidemment aux tentatives de séduction de Mika envers Niizuma en mettant en avant ce qui est considéré comme son "principal atout corporel" par les diktats de la société... Sans oublier Minako, bien sûr. Elle qui ne rêvait, depuis longtemps, que de devenir une bonne épouse, une bonne femme au foyer (ce qui peut être un rêve beau louable comme un autre, tant qu'il n'est pas dicté par d'autres facteurs que soi-même), et qui fait tant de compromis pour maintenir ce rêve quitte à se voiler la face, la voici qui, peu à peu, voit ce rêve partir en éclats...

D'une société patriarcale et sexiste, corrompant les esprits, où les hommes sont censés être "forts" et les femmes "faibles", personne ne ressort vraiment grandi, hormis les ordures comme Hayafuji. Et cela, Akane Torikai nous le fait bien comprendre, en s'adressant avant tout aux femmes, mais en cherchant aussi à véhiculer des choses fortes aux hommes, que ces derniers soient coincés dans ce patriarcat ou ne fassent pas partie de cette soi-disant "force/supériorité", et si tant est qu'ils ouvrent les yeux. La mangaka prend vraiment son temps pour faire avancer son histoire, ce qui n'est sans doute pas plus mal, tant chaque situation, chaque réplique semble étudiée pour bousculer, pour montrer ce qui ne va pas et pour donner un coup de fouet. A partir de là, il ne fait aucun doute que cette oeuvre, déjà partie sur des bases puissantes, ne va sûrement pas cesser d'encore grimper en puissance par la suite.

En cerise sur le gâteau, ce deuxième volume a l'honneur d'accueillir une postface, courte mais très forte, de l'une des plus grandes dames du manga féminin, Moto Hagio.
   

Critique 2 :

Niizuma est totalement ébranlé par les reproches que lui a fait Misuzu Hara, sa professeure. Se questionnant sur ses paroles, le garçon est aussi chamboulé émotionnellement, et son institutrice occupe toutes ses pensées. Du côté de mademoiselle Hara, sa relation avec Hayafuji ne cesse de gagner en toxicité. Son odieux chantage affecte la jeune femme, tandis que le violeur en série n'en n'est pas à son coup d'essais pour satisfaire ses envies, quitte à tromper une femme qui l'attend chaque soir avec impatience...

Le premier volume se centrait en grande partie sur Misuzu, la professeure, et son élève Niizuma. Tout deux subissaient le poids d'une situation particulière, ce qui pouvait les rapprocher, mais une rupture était alors établie par le discours sans demi-mesure de l'enseignante, rejetant sur son élève le fardeau masculin qu'elle a pu observer de part et d'autre.

Après ce deuxième opus, la série élargit son spectre de personnages, tant il cumule les points de vue. Ainsi, si nous avions auparavant surtout découvert l'opposition entre l'élève et la professeure, à la fois similaire et terriblement éloignée, Akane Torikai développe d'autres cas de figure et introduits de nouveaux personnages pour étoffer son propos global, à savoir le poids du patriarcat sur les femmes. La bonne idée vient justement de la succession de portraits de personnages féminins qui ne parlent d'ailleurs pas exclusivement du rapport au sexe, mais bien de la femme vis à vis de l'homme d'une manière vaste. Ainsi, la jeune Mika nous alerte pas sa détresse, celle-ci étant prête à user de son corps pour garder celui qu'elle aime auprès d'elle, quand la détonante Midorikawa nous parle de la liberté de la femme vis à vis de son corps, allant même jusqu'à confronter mademoiselle Hara à ses propres incohérences... On n'en dira pas plus tant la découverte de la richesse du propos à travers ces personnages est une force véritable de cette suite. Globalement, En proie au silence continue de s'établir et de bousculer, par sa large palette de figures amenant des problématiques différentes.

La "surprise" de ce deuxième opus vient aussi de la postface de la grande Moto Hagio, mangaka qu'on aimerait voir davantage éditée en France, qui confie ô combien Akane Torikai l'a bouleversée avec son œuvre. Et c'est peut-être davantage du côté des garçons que le caractère incisif de ce nouvel opus redouble d'intensité, notamment lorsqu'il s'agit de parler de Hayafuji, sa relation avec ses proies mais aussi avec sa femme et mademoiselle Hara. Et à ce titre, l'autrice montre un immense talent pour démontrer graphiquement l'horreur des sévices imposées par le personnages, et la manière dont il peut briser des individues. Plus largement, il représente à lui seul l'un des thèmes forts de la série : la manière dont le patriarcat use de sa force pour dominer.

A lire ces lignes, le volume semble cruel et sans scrupule dans sa manière de dépeindre son sujet. Mais, au contraire, Akane Torikai parvient à imposer de belles nuances, qu'il s'agisse de la rébellion en cours ou teasée de certains personnages féminins, ou ne serait-ce l'idée que les propos de mademoiselle Hara fassent cogiter Niizuma, sans parler de la potentielle contre-attaque de quelques adolescents qui pourraient porter un autre message : Celui de l'espoir par la nouvelle génération. Il est évidemment trop tôt pour s'exprimer là-dessus, mais voilà qui sera raccord avec la force d'En proie au silence, qui confirme son intelligence et la justesse de son propos, secouant le lectorat comme il se doit pour faire passer ses messages.

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.25 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs