Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 10 Mai 2022
On peut dire que, depuis leur arrivée dans le manga en fin d'année 2020, les éditions Noeve Grafx n'ont déjà cessé de surprendre en bien, que ce soit en se lançant avec un chef d'oeuvre aussi atypique que Veil, en osant proposer des bijoux trop longtemps boudés dans notre pays comme Welcome to the Ballroom, et en relançant la mangaka culte Yumi Tamura (bien trop méconnue dans notre pays depuis de nombreuses années) avec l'excellent Don't Call it Mystery. Et pour 2022, l'éditeur affiche des ambitions dingues (on pourrait même dire démesurées, au vu du nombre d'annonces si élevé qu'il sera impossible de suivre la cadence), parmi lesquelles le lancement, le mois dernier, d'une nouvelle collection aussi intrigante que maligne, notamment parce qu'elle va à contre-courant du marché actuel en cassant les prix afin de faire connaître dans notre langue des oeuvres souvent longues et réputées qui, sans ça, ne seraient sûrement jamais arrivées chez nous.
Cette collection, nommée XS, visera donc à enfin faire découvrir des séries parfois cultes, mais si particulières ou si longues que leur succès en France n'était pas garanti. Et pour ce faire, l'éditeur a pu négocier avec les ayant-droit japonais (en l'occurrence l'éditeur Kôdansha pour toutes les 9 premières séries concernées en cette année 2022) afin de concevoir une collection à petit prix: chaque volume coûte ainsi seulement 3,95€, sans limite dans le temps ! Pour ce faire, Noeve propose une fabrication sans jaquette, mais dont les couvertures ont des rabats, et avec un papier restant suffisamment qualitatif. L'éditeur promet aussi la présence des pages couleur des éditions japonaises quand il y en a (dans le cas présent, il y en a une en page d'ouverture du tome), des effets de vernis sélectif sur les couvertures, et une impression recto verso de la couverture pour ne rien perdre des visuels de l'édition nippone. Enfin, les habituelles cartes Noeve Grafx (marque de fabrique de l'éditeur) seront, pour les séries de la collection XS, disponibles via l'échange de points sur leur futur site Internet. Et autant le dire clairement: la qualité est largement là pour seulement 3,95€ ! Avec une conception soignée, un vernis sélectif attirant l'oeil, une maniabilité rendue excellente par la souplesse du papier opaque, et une qualité d'impression de fort bonne facture, Noeve a su rogner sur les choses moins essentielles (la sur-jaquette en tête) pour se faire plaisir et nous faire plaisir.
Pour la première fournée de trois titres lancée en ce printemps, l'éditeur nous invite ainsi à découvrir la comédie renommée Hôzuki le stoïque (alias Hôzuki no Reitetsu, un nom bien connu des fans d'animation), la fresque de science-fiction Coppelion (qui était assez attendue il y a quelques années, surtout à l'époque de la diffusion de son adaptation animée), et l'oeuvre qui nous intéresse ici: la tranche de vie fantastique Elegant Yokai Apartment Life. Toujours en cours au Japon depuis 2001, dans le magazine Shônen Sirius de Kôdansha, sous le titre Yôkai Apartment no Yûga na Nichijô, cette série compte actuellement 24 volumes. Signée Hinowa Kôzuki (scénario) et Waka Miyama (dessin), elle a connu en 2017 une adaptation animée qui a été diffusée en France sur Crunchyroll.
La série narre l'histoire d'un adolescent du nom de Yûshi Inaba, alors qu'il dit au revoir à son plus proche ami Hase à la fin du collège, en vue d'intégrer le lycée de commerce réputé qu'il visait. Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que le jeune garçon ait eu une vie très heureuse: ses parents son morts dans un accident de voiture trois ans auparavant sans lui laisser d'héritage conséquent, ce qui fait qu'il a dû aller vivre chez son oncle et, surtout, sa cousine Eriko qui lui a toujours fait sentir qu'il n'était pas le bienvenu. Les années lycée sont donc prometteuses pour lui puisqu'il va pouvoir aller vivre en internat et donc arrêter d'être une charge pour son oncle ! Mais malheureusement, un violent incendie décime l'intégralité des dortoirs de l'internat qui ne pourra être reconstruit avant six mois. Et même si Yûshi se fait la promesse de dénicher un endroit où loger par ses propres moyens, le fait est que ses finances très modestes ne le permettent pas au malchanceux garçon... du moins, jusqu'à ce qu'un être étrange ne l'aborde dans la rue pour lui conseille d'aller au magasin d'immobilier Maeda, avant de disparaître comme par enchantement. Arrivé dans cette agence, l'adolescent se voit proposé une petite chambre de 13m² pour une somme dérisoire, mais au sein de "Kotobuki Sô", la maison de la longue vie, dont on dit qu'elle est hantée. Et sur place, il a à peine le temps de s'acclimater qu'il doit effectivement constater qu'au-delà des humains occupant certaines chambres, le lieue st également peuplé de fantômes, de yôkai et d'autres esprits ! Mais alors que la peur aurait pu vite l'envahir face à ces êtres inconnus, la dénommée Akine et les quelques autres humains vivants des lieux le rassurent: dans cette vaste demeure, tout le monde cohabite en harmonie. Et cela, même si chacun de ces êtres surnaturels pourrait bien avoir sa propre histoire, pas toujours très joyeuse.
Cette avec un savant mélange de rapidité et de clarté que le duo de mangaka parvient à nous immerger dans les bases d'une tranche de vie pas comme les autres, puisque notre héros devra vite entamer une cohabitation avec à la fois des humains comme lui mais aussi des êtres hors du commun allant des fantômes aux yôkai en passant par d'autres types d'esprits. Et ici, au-delà d'un dessin parfois encore perfectible dans la régularité des visages mais assurément charmant dans son expressivité, ses designs et son cadre immersif de la grande bâtisse, le charme opère d'emblée surtout grâce à la mise en place d'une palette de personnages d'ores et déjà aussi riches que variés.
Côté humains, on va de la joviale adolescente Akine dotée de dons d'exorcisme fort utiles dans certains cas, au jeune et talentueux romancier Reimei Isshiki, en passant entre autres par l'énigmatique médium Ryû. mais au gré de la vie scolaire de notre héros, le casting humain s'enrichira également bien assez vite d'autres lycéens comme l'amicale Tashiro, jeune fille déjà au coeur de l'un des chapitres.
Et côté non-humains, c'est on ne peut plus prometteur grâce à la variété de personnages qui défilent déjà sous nos yeux et dont certains prennent déjà une certaine importance, à l'image de la cuisinière des lieux Ruriko dont l'apparence se limite étonnamment à deux mains, et plus encore du petit garçon Kuri et de sa chienne Shiro, deux fantômes dont l'histoire horrible et tragique aura déjà de quoi émouvoir facilement, en plus de bien cristalliser le lien unissant cet enfant et son brave animal.
Tome d'exposition avant tout, ce premier volume n'en est donc pas moins, déjà, propice à plusieurs développements réussis, et cela passe aussi par l'évolution de Yûshi au fil des pages. Car loin d'être vraiment effrayé par ce cadre peu commun, l'adolescent a la chance d'avoir à ses côtés quelques humains comme Akine qui, d'emblée, lui permettent de comprendre les lieux et d'entamer sa nouvelle vie dans un pur esprit de coexistence qui, à plusieurs reprises, s'avèrera déjà particulièrement animé et chaleureux. Bien sûr, l'adolescent se pose forcément quelques questions: pourquoi cette maison est-elle peuplée de fantômes, de yôkais et d'autres esprits ? La réponse est très intéressante, en évoquant notamment la façon dont l'humain a perdu au fil du temps son lien avec les choses de la nature et a vu son monde s'étriquer alors que celui-ci est bien plus vaste qu'il ne le pense. Et au vu des premières évolutions de Yûshi, la redécouverte de l'immensité de ce monde insoupçonné pourrait bien être au coeur du récit, notre héros ayant déjà à coeur de ne rien rejeter de ce qu'il découvre, et d'élargir ainsi ses horizons et sa compréhension du monde.
A l'arrivée, Elegant Yokai Apartment Life se présente comme une vraie bonne surprise au fil de ce premier volume emballant. S'il est souvent un régal de se plonger encore et encore dans les univers liés aux yôkai, celui proposé par Hinowa Kôzuki et Waka Miyama trouve déjà un charme qui lui est propre grâce à son cadre très bien installé, à ses émotions pouvant être très variées, et à sa galerie de personnages qui promet déjà d'être truculente. De plus, concernant l'édition dont on a déjà vanté plusieurs mérites, on peut également souligner le lettrage soigné, ainsi que la traduction particulièrement convaincante de Pierre Giner.