Ecole décomposée (l') - Manga

Ecole décomposée (l') : Critiques

Yōkai Kyōshitsu

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 11 Septembre 2023

La collection Junji Ito se poursuit en ce début de mois de septembre avec un nouveau titre inédit en France jusqu'à présent: L'école décomposée, alias Yôkai Kyôshitsu en version originale. Se composant initialement d'un seul chapitre (donnant son nom au livre) prépublié en mars 2015, cette mini-série d'environ 160 pages s'est ensuite enrichie de quatre autres chapitres entre décembre 2013 et octobre 2014, et ses cinq chapitres ont tous été proposés au Japon dans les pages de feu le magazine saisonnier Motto! de l'éditeur Akita Shoten. Pour la sortie là-bas de cette oeuvre en volume broché au mois de décembre 2014, le livre a été enrichi de deux très courtes histoires de 6 pages chacune qu'Ito a conçues en août et novembre 2013.

Cette oeuvre nous immisce auprès d'un bien étrange duo de frère et soeur. En âge d'aller au lycée, Yûma Azawa a pour étonnante manie de se confondre en permanence en excuses publiques, la plupart du temps sans raison apparente, si ce n'est pour rattraper les bêtises et horreurs qu'a faites ou que va faire sa petite soeur Chizumi, une toute jeune enfant en âge d'aller à l'école primaire, passant son temps à terroriser quiconque est sur sa route, et accusant son frangin d'avoir en réalité passé un pacte avec un démon pour que ses paroles d'excuses soient en réalité une plaie. Et qui sait, cela pourrait bien être la vérité ? En effet, partout où apparaît ce duo d'orphelins (mais "rassurez-vous", ils ont toujours leurs parents avec eux... enfin, une partie...), des morts et disparitions inexplicables finissent par avoir lieu, les victimes voyant leur cervelle littéralement fondre, quand ce n'est pas leur corps tout entier...

Avec sa jaquette affichant une illustration un peu décalée, il est difficile de ne pas imaginer que Junji Ito s'amuse un peu ici à détourner les habituels duos comiques japonais via ses deux personnages principaux totalement opposés et pourtant complémentaires, entre le stoïque Yuma qui se révèlera être à tendance masochiste (à force de s'excuser jusqu'à l'humiliation), et l'enfant terrible Chizumi qui montre tout de la petite sadique, en plus d'évidemment briser l'habituelle figure innocente de l'enfance (un grand classique dans nombre de récits d'horreur). Dès lors, malgré quelques fulgurances d'authentique effroi (principalement l'assassinat réaliste d'un petit garçon dans le dernier chapitre), on aura tendance à surtout voir ce manga comme une farce à l'humour très noir, chose qui se confirmera sans cesse dans les visuels, avec ses déformations physiques toujours plus dégoulinantes de manière à la fois écoeurante et grotesque (aaah, la fameuse fuite des cerveaux...), le décalage des excuses de Yûma (ou l'auteur pousse à l'excès le fameux système nippon des excuses publiques) et les gestuelles "possédées" de Chizumi.

Cette petite recette, emballante et jouant bien la carte de l'horreur grotesque et cracra (il faut voir Chizumi se régaler de ses bouteilles de jus d'humains...), Junji Ito tente de l'exploiter sous différentes coutures, au fil de quatre premiers chapitres où il y a à chaque fois, pour dynamiser les choses, un cadre nouveau (école, immeuble, maison isolée...) et des idées différentes (beauté qui se décompose, soupçons de maltraitance parentale, Chizumi qui tombe amoureuse avec une façon bien à elle d'exprimer son amour...), avant un cinquième et dernier chapitre amenant une forme de conclusion à la fois grandiose (pour son final ample) et ouverte pour nous laisser juges (typiquement à la Ito). Dans l'ensemble, l'imagination typique du mangaka est bien là, mais il faut bien avouer qu'au bout d'un moment les choses deviennent quelque peu répétitives, entre les deux personnages principaux qui passent leur temps à se renvoyer la balle, et l'horreur se résumant surtout à des cerveaux et corps qui se liquéfient. Si bien que l'on peut dire que cette mini-série a été achevée à temps, avant de trop tourner en rond.

Quant aux deux très brèves histoires indépendantes refermant l'ouvrage, elles se révèlent anecdotiques: en si peu de pages l'auteur ne fait pas forcément grand chose d'idées de départ pourtant intéressantes et typiques de son imaginaire inquiétant, en particulier dans la deuxième où des enfants (encore eux) retournent littéralement à la terre...

Sans figurer parmi les travaux les plus prodigieux du maître de l'étrange, L'école décomposée a largement de quoi séduire, en particulier grâce à son atmosphère entre la farce grotesque et l'horreur cracra, le tout étant particulièrement bien porté par un duo de personnages principaux aussi barrés qu'inquiétants voire effrayants dans leur style.

Enfin, côté édition, on retrouve tous les standards de qualité de la collection Ito de Mangetsu: jaquette bien travaillée par Tom "spAde" Bertrand et s'harmonisant bien avec les autres ouvrages de la collection, grand format rigide, très bonne qualité de papier et d'impression, traduction impeccable d'Anaïs Koechlin, préface écrite cette fois-ci par Fortifem (il est juste dommage que, comme toujours, l'éditeur ne propose aucune petite présentation des auteurs de la préface), et nouvelle analyse pointue par Morolian.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs