Du mouvement de la Terre Vol.1 - Manga

Du mouvement de la Terre Vol.1 : Critiques

Chi - Chikyû no Undou ni Tsuite

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 09 Mars 2023

Chronique 2 :


Cela fait déjà plusieurs années que les éditions Ki-oon nous font le plaisir, de temps à autre, d'amener en France des mangas inscrits dans des contextes historiques divers. On a notamment eu Bride Stories qui propose une fiction sur fond de découverte de peuples d'autrefois, Isabella Bird qui s'inspire du parcours de l'exploratrice éponyme dans le Japon du XIXe siècle, Issak qui en profite pas mal pour donner dans le divertissement d'action, sans oublier Cesare qui est historiquement le plus rigoureux et documenté de tous. Et en ce mois de mars, voici donc Du Mouvement de la Terre, une série que l'on attendait impatiemment ici au vu de sa solide réputation !

Bouclé en 8 volumes, ce manga a été prépubliée au Japon sous le titre Chi - Chikyuu no Undou ni Tsuite (pouvant être traduit littéralement par "Sang -A Propos du Mouvement de la Terre-", le nom français étant donc une traduction proche), entre 2020 et 2022, dans les pages du très bon magazine Big Comic Spirits des éditions Shôgakukan, magazine ayant vu passer une pelletée de bijoux comme Bonne nuit Punpun, 20th Century Boys, I am a Hero ou encore Amer Béton. Il s'agit de la deuxième série de la carrière d'Uoto, un jeune mangaka né en 1997 qui, après un premier manga sur le sport avec Hyakuem, a choisi de revenir à ses premières amours avec la série ici présente puisque, passionné par les domaines de la connaissance, de la violence, de la philosophie et des sciences, il a étudié la révolution copernicienne et l'évolution des théories de l'héliocentrisme en fac scientifique. Autant dire que l'auteur devrait bien connaître le sujet qu'il met en images !

Du Mouvement de la Terre nous plonge donc dans la première moitié du XVe siècle, au sein du pays de P. (qu'au vu des noms des personnages on pourra sans souci assimiler à la Pologne, précisément le pays de Nicolas Copernic). Cet élément étant primordial dans ce manga, rappelons qu'à cette époque la religion avait un pouvoir particulièrement puissant, régissait la société et ne permettait pas le moindre faux pas, en particulier les théories grandissantes selon laquelle l'univers ne tourne pas autour de la Terre et que c'est le Soleil qui est au centre. Les théories héliocentriques étaient effectivement violemment rabrouées au profit du géocentrisme, en particulier parce que placer la Terre et donc les hommes au centre de tout allait dans le sens de la religion qui prônait que les Hommes, en tant que créations ultimes de Dieu, devaient forcément avoir cette place centrale. C'est ainsi que l'Inquisition, représentée dans ce manga par Novak, organisait tortures et mises à mort sur le bûcher pour quiconque ne se repentait pas après avoir étudié des choses qualifiées d'hérétiques.

C'est dans ce contexte que vit le jeune Rafal, personnage fictif comme tous les autres de ce premier tome. A seulement 12 ans, ce jeune garçon fait déjà la fierté de son père adoptif qui est aussi son professeur en théologie (l'étude de la religion, forcément), à une époque où l'astronomie est extrêmement mal vue. A son jeune âge, il s'apprête déjà à entrer à l'université, évidemment pour étudier la théologie qui est alors vue comme le point culminant de toutes les sciences. Et comme tout enfant à qui on inculque ça, il pense que la Terre est au centre de tout, et cite même Aristote et Ptolémée dont les théories allaient dans ce sens. Et cela, même s'il a parfois quelques doutes en observant les astres. On découvre en lui un adolescent sans doute un peu hautain, fier de la réussite qui se dessine devant lui, voyant les autres comme des gens stupides, et ayant choisi de tout miser sur le rationnel en se débarrassant de choses comme les sentiments qui lui apparaissent superflues. Seulement, Rafal n'avait pas prévu l'irruption dans sa vie d'un homme qui va tout faire basculer: libéré par l'inquisiteur après s'être repenti suite à des études prônant l'héliocentrisme, le dénommé Hubert compte en réalité poursuivre ses études sur les astres, et sa ferveur va rapidement déteindre sur notre héros...

La qualité première de ce début de série est sans aucun doute de parvenir à exposer brillamment, sans avoir besoin de s'étaler sur de longues explications, le contexte si particulier d'une époque où la religion avait mainmise sur tout, et où certaines sciences en particulier (l'astronomie en tête) étaient quasiment vues comme impies. Pour rendre cela plus immersif encore, Uoto tire bien parti de ses propres études sur la révolution copernicienne en citant différents noms ayant laissé leur trace dans l'Histoire, comme Ptolémée avec ses théories géocentriques, ou Aristarque de Samos qui, dès le IIIe siècle avant notre ère, fut l'un des premiers à élaborer une importante théorie héliocentrique. Et à travers la peur que suscite Novak, sa manière de s'immiscer chez les gens et ses méthodes brutales, l'auteur nous fait bien ressentir l'emprise et la puissance qu'avait la religion à cette époque.

Et c'est sur ces bases que l'on suit alors la lente remise en question qui s'opère en Rafal, à partir de sa rencontre avec Hubert. S'interrogeant avec intérêt sur la place de la terre dans l'univers, se demandant comment peuvent être justifiées certaines théories (comment expliquer le fait que la Terre pourrait tourner sur elle-même, en plus de peut-être tourner autour du Soleil ?), s'initiant à l'observation des astres qui le fascinent en réalité depuis bien longtemps, Rafal permet à Uoto de commencer à croiser les théories, les explications, jusqu'à ce que l'issue de la série permette peut-être de nous exposer comment prouver une bonne fois pour toutes l'héliocentrisme à cette époque. Et c'est d'autant plus emballant que face à ça, Rafal n'oublie certes pas sa raison fort heureusement, mais ne néglige bientôt plus la part de sentiments, d'émotions que cela lui procure: étudier l'astronomie lui fait prendre conscience de toute la beauté de l'univers ! Seulement, ces recherches, interdites à l'époque, risquent bien de mettre sa vie en jeu, et c'est quelque chose que le mangaka nous rappellera constamment à la lecture à travers les apparitions de Novak, et cela jusqu'à une toute fin de volume qui nous lâche un premier gros rebondissement inattendu.

Pour accompagner tout cela, Uoto propose une narration particulièrement limpide, où un rythme propre est très vite trouvé, où les dialogues sont bien dosés, et où tout ça est efficacement servi dans un découpage des cases qui reste académique et qui est très clair. Sans gros partis pris, les designs et les décors apparaissent assez passe-partout et donc crédibles, tandis que que certains moment de mise en scène arrivent facilement à captiver, à l'image de la page 22 où les astres viennent se refléter dans l'oeil de Rafal qui les regarde par la fenêtre.

Lauréat du Prix Tezuka, mais aussi deuxième aux classement Kono manga ga sugoi! et aux manga Taisho Awards au Japon, Du Mouvement de la Terre n'a assurément pas volé sa belle réputation avec ce premier volume toujours clair et passionnant, et suffisamment pointu sans être barbant. Dire que l'on attendra la suite de cette fresque historique est un euphémisme !

En ce qui concerne l'édition française, Ki-oon nous livre ici un fort beau travail, qui attire l'attention dès sa jaquette bénéficiant d'un bel effet granuleux. A l'intérieur, on trouve une très bonne qualité d'impression, un papier à la fois assez souple, épais et sans transparence, une adaptation graphique particulièrement soignée de Clair Obscur, et une excellente traduction d'Alex Ponthaut qui sait toujours rester limpide.



Chronique 1 :


Voilà des mois qu'un certain titre a de quoi faire de l'oeil au lectorat français. Créé des mains d'Uoto, un artiste qui n'avait à son actif que le drame sportif en 5 tomes qu'est Hyaku m, à ce jour, Chi – Chikyû no Undô ni Tsuite s'est distingué par son succès commercial d'une part, mais aussi par son succès d'estime, ayant notamment figuré dans les sélections du prix Manga Taishô de 2021 et 2022, dans celle du Kono Manga ga Sugoi! De 2022, et ayant remporté le 26e Prix Culturel Osamu Tezuka. Ces victoires couplées à l'annonce d'une adaptation animée par le studio Madhouse, il y avait de quoi être curieux de découvrir l'oeuvre, son sujet original qu'est l'héliocentrisme, et son auteur. Achevé en 8 tomes, le manga fut publié entre 2020 et l'année dernière dans la revue Big Comic Spirits des éditions Shôgakukan.

Un vœu exaucé par les éditions Ki-oon en ce mois de mars 2023, qui proposent le manga sous le titre Du mouvement de la Terre, et avec recommandation de la revue Historia, s'il vous plaît. Un lancement ambitieux pour l'éditeur, donc, ce qui laisse l'espoir de voir sa précédente série nous être proposée, si le succès est au rendez-vous dans nos contrées. Il ne fait nuls doutes que le futur appuie de l'adaptation animée devrait jouer en ce sens.

A la fin du Moyen-Âge, et à l'aube de la Renaissance, les certitudes divines font loi, et quiconque dévierait des sciences communéments admises devrait expier ses péchés, sous peine de bucher. Rafal est un adolescent, fils adoptif de son maître d'école, brillant et passionné par l'astrologie. Son avenir ne fait aucun doute, aussi il se dédiera à la théologie. Son chemin croise celui d'Hubert, un répenti emprisonné pour ses certitudes jugées déviantes. En secret, ce dernier poursuit ses recherches sur une théorie, celle de l'héliocentrisme. Penser que la Terre tourne autour du Soleil plutôt que l'inverse va à l'encontre de la théologie, aussi Hubert risque sa vie par ces réflexions. Bouleversé par ces certitudes, Rafal va remettre ses suppositions et son avenir en question, quitte à se plonger lui-même dans l'héliocentrisme.

Par son thème qui pourrait d'abord rebuter les allergiques à la science et à la physique, Du mouvement de la Terre ferait presque office d'ovni. Effectivement, le thème est peu commun dans les mangas grand public. Pourtant, par ce premier tome, le manga d'Uoto cherche moins à nous enseigner l'héliocentrisme que développer un récit historique dans lequel l'obscurantisme d'époque attestait l'importance de la religion en Europe, pour un manga qui verse dans le suspense et une pointe de drame.

Ainsi, la découverte du lecteur accompagne le point de vue de Rafal, jeune garçon fermement convaincu par la théologie. Doté d'un esprit brillant et comprenant comment il peut s'élever en société, c'est en suivant cette voie qu'il compte accomplir sa réussite... jusqu'à sa rencontre avec un ancien prisonnier, dont les recherches en héliocentrisme chambouleront son destin. Sur ce pitch de base, les deux sciences antagonistes nous sont certes présentées, mais le tout sous l'angle d'une certaine passion. Alors, d'une tête d'affiche dont on peut douter de la réelle intégrité, Rafal évolue en même temps qu'il découvre cette théorie nouvelle, et sa passion pour le cosmos couplé à sa quête de vérité en deviennent communicatives, le lecteur espérant alors la réussite des projets du garçon. Rien de simple quand, face à lui, se trouve ni plus ni moins que l'autorité d'origine divine, dont un redresseur de torts implaccable et un poil sadique, qui fait figure d'antagoniste dans ce premier opus.

La présence de cet homme, l'inquisiteur Novak, assure un réel poids à l'intrigue, tout faux pas de Rafal pouvant se traduire la plus fatale des repentances imposées : Le bucher. Avec ce premier tombe, la quête de vérité n'est pas anodine et traduit un véritable état d'esprit d'antan, sous une pression narrative immense, à une heure où les croyances caduques d'autrefois sont aujourd'hui défendues par des noyaux d'adeptes. Une sorte de double résonnance donc, pour l'oeuvre d'Uoto, dont le traitement du sujet comme le rythme du parcours de Rafal donnent lieu à un récit passionnant, un scénario qui se tient et qui nous porte de sa première à sa dernière page. Le tout porté par la patte fine d'Uoto, que certains pourraient qualifier d'imparfaite, mais qui traduit l'atmosphère pesante de l'intrigue, et de la menace que peuvent représenter certains personnages. Parfois, par son inspiration narrative, l'auteur aboutit à de superbes planches qui nous émerveillent ou quoi, dans leur enchaînement, viennent créer des sentiments contradictoires, comme un véritable grand-huit émotionnel.
A ceci s'ajoute le climax de l'ouvrage, particulièrement innatendu, et qui prend à total contrepied le concept même de lancement d'une aventure. Une fin assez brutale qui nous guidera immanquablement vers la suite, tout portant à croire que Du mouvement de la Terre sera le type de manga dont on dévorera chaque volume à sa sortie.

Côté édition, Ki-oon offre un bel ouvrage, garni du traditionnel papier solide de l'éditeur, renforcé par une couverture au beau grain, pour un livre au certain prestige. La traduction d'Alex Ponthaut est à saluer tant le texte, dans ses élans scientifiques, n'a pas dû être simple à adapter, mais demeure totalement limpide pour le lecteur. Signée Clair Obscur, l'adaptation est, elle aussi, aux petits oignons.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs