Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 28 Août 2013
Sur Manga-news, Fumiyo Kouno est une auteure que l'on apprécie beaucoup, alors quand les éditions Kana nous permettent de découvrir, de temps en temps, une nouvelle oeuvre de cette artiste dans leur collection Made In, c'est toujours un petit événement. Que ce soit en parlant de l'impact de Hiroshima dans le Pays des Cerisiers ou en narrant le quotidien simple et doux de personnes comme vous et moi, la mangaka a su se tailler, en quelques titres parus en France, une belle réputation. Avec Dans un recoin de ce monde, manga en deux volumes, elle mêle tout simplement ses thèmes de prédilection.
L'histoire prend donc place, non pas dans l'époque après Hiroshima comme le Pays des Cerisiers, mais durant les mois précédant ce drame. Tout commence par un prologue d'une petite cinquantaine de pages prenant place dans le Japon des années 30, où l'on découvre une fillette du nom de Suzu, gentille, assez tête en l'air, vivant avec ses parents, sa mignonne petite soeur et son "démon" de grand frère. Puis les années passent, et nous voici dans le vif du sujet : en décembre 1943, Suzu est devenue une jeune femme toujours dans la lune mais infiniment douce, dont la main est offerte à un dénommé Shûsaku, un jeune homme qu'elle a apparemment connu plus jeune, mais qu'elle a oublié. Elle quitte alors sa ville de Hiroshima pour aller vivre dans la famille de son mari, à Kure, une ville connue pour son port militaire. Au fil de courts chapitres de 8 pages, Fumiyo Kouno nous invite tout simplement à suivre, mois après mois, le quotidien de la jeune femme dans cette famille, alors que petit à petit les menaces de la guerre se font de plus en plus persistantes, changeant peu à peu leur mode de vie...
Un quotidien où pointe doucement la menace de la guerre, tel est le propos de ce premier volume qui trouve le ton juste en ne tombant jamais dans la dramatisation. Sur un ton simple, Fumiyo Kouno narre, comme elle l'aime tant, le quotidien tout à fait normal de petites gens, et c'est alors l'occasion de découvrir des personnages tout à fait sympathiques, chacun à leur manière (une fille comme Keiko ayant plus de caractère, par exemple, tandis que le mari aimant mais maladroit qu'est Shûsuke est plutôt attachant), pour une petite palette simple et vivante, tandis que l'on découvre par-ci par-là certaines moeurs japonaises de l'époque, comme les mariages arrangés, le rôle des femmes dans le foyer, la nourriture et les divertissements de l'époque...
Mais surtout, ce que l'on voit arriver petit à petit dans ce quotidien simple, c'est la menace de la guerre, de plus en plus présente au fur et à mesure des mois qui passent. Et au fil de ce premier tome qui s'étire entre décembre 1943 et novembre 1944, Suzu a de nombreuses occasions d'observer ce petit monde qui change doucement autour d'elle : des éléments assez paisibles mais annonciateurs comme le célèbre navire Yamato qui passe au loin dans la mer ou les bateaux militaires qui rentrent au port et qu'elle regarde en compagnie de son mari... Des choses plus ennuyeuses, comme les accusations d'espionnage qu'elle subit juste parce qu'elle a dessiné un paysage, la hausse conséquente du prix de denrées comme le sucre, les évacuations de maisons, les menaces des attaques aériennes qui commencent à arriver, l'entraînement à la lance de bambou... Et des aspects qui touchent directement sa famille, comme le corps des volontaires féminines où est sa soeur, ou le fait que son frère soit parti sur le front.
La description de ce quotidien dans un lieu entouré par la guerre est très fine en ceci qu'elle adopte un point de vue d'abord assez éloigné, celui d'une famille qui ne connaît pas directement la guerre, pour voir les signes annonciateurs et petites menaces arriver petit à petit, au fil des mois. Un choix qui, en plus de coller parfaitement à une mangaka qui n'aime rien de plus que d'évoquer le quotidien de gens simples, permet de conserver un ton non pesant, voire même assez léger et drôle, les notes d'humour étant assez nombreuses, la mangaka n'ayant rien perdu de son coup de crayon extrêmement doux, et Suzu se révélant être un personnage central délicieux, parce que courageux dans son genre. Car malgré les petites menaces de plus en plus visibles, la jeune femme est typiquement le genre d'héroïne que Fumiyo Kouno aime croquer : souvent dans la lune, extrêmement douce et souriante, elle apporte une sorte de pureté simple et tente de conserver naturellement une démarche optimiste pour continuer d'avancer, malgré les changements de plus en plus visibles autour d'elle et dans sa vie.
On se régale donc de cette nouvelle oeuvre de l'artiste. Certes, il y a des raccourcis dans la narration par moments, et le manque de continuité entre certains chapitres pourrait en décontenancer certains. Mais le ton trouvé, doux et ancré dans un quotidien simple, est très juste et contribue totalement à l'intérêt humain et historique de ce manga. En attendant de voir comment sera tourné le deuxième et dernier volume, qui abordera sans doute l'un des plus terribles drames de 20ème siècle.