Dans l'abime du Temps - Actualité manga
Dans l'abime du Temps - Manga

Dans l'abime du Temps : Critiques

Toki o koeru kage

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 04 Octobre 2019

Chronique 2

En 1935, au fin fond du continent australien, Le Professeur Nathaniel Peaslee s'est engagé, aux côtés d'autres hommes comme Mackenzie ou Dyer, dans une folle expédition, à la recherche des traces d'une civilisation inconnue. Lui qui n'était pourtant qu'un simple professeur d'université en économie politique, il en est persuadé: quelque part en ces terres se trouvent ces traces qui, mystérieusement, sont dans sa mémoire, comme s'il connaissait les lieux, comme s'il y était lui-même allé autrefois. Et il sait aussi que ces traces cachent peut-être un secret aussi mystérieux que terrifiant, de ceux qui l'homme ne devrait jamais connaître... Pourquoi Peaslee a-t-il donc toutes ces certitudes, comme s'il avait déjà connaissance de ces choses ? Pour le comprendre, il va falloir revenir près de 30 ans en arrière, le 14 mai 1908. Un jour qui aurait dû être normal pour ce jeune enseignant et père de famille. Mais un jour où il a été pourtant été frappé en plein cours d'un étrange évanouissement, pour se réveiller... cinq ans et demi plus tard, dans la stupeur. Ses enfants ont grandi, seul son 2e fils Wingate est resté avec elle après que sa femme a demandé le divorce en 1910... Peaslee n'a aucun souvenir de ces 5 années 1/2, et pourtant son corps n'était pas dans le coma: il bougeait, mais c'est comme si quelqu'un d'autre l'occupait, d'après les témoignages, tant ce "2e Peaslee" était totalement différent : inquiétant, parlant un dialecte inconnu, s'intéressant à des choses inhabituelles pour lui telles que les sciences occultes ou l'étude du fameux Necronomicon... Que s'est-il passé pendant ces 5 ans 1/2 d'"amnésie" ? A-t-il connu un dédoublement de la personnalité ? Comment expliquer les connaissances improbables qu'il a, ainsi que les étranges visions qui lui viennent, des visions souvent cauchemardesques, nourries de créatures effrayantes et inconnues, et qui semblent comme issues d'un autre temps ?

Après avoir inauguré leur collection Gô Tanabe x Lovecraft avec les prodigieuses Montagnes Hallucinées il y a quelques mois, les éditions Ki-oon récidivent en amenant une autre adaptation d'un récit de l'écrivain américain par le mangaka. Le tout, avec les mêmes très hauts standards de qualité au niveau de l'édition: un papier et une impression impeccable, une couverture à effet cuir magnifique, une reliure de haute qualité et souple, un grand format très appréciable, une traduction aux petits oignons de Sylvain Chollet, un très bon travail d'adaptation graphique de Clair Obscur... En somme, cela fait partie de ces livre que l'on est particulièrement fier d'exposer dans sa bibliothèque.

Avec Dans l'abîme du temps, ou The Shadow Out of Time en version originale (et Toki wo Koeru Kage en japonais), Gô Tanabe adapte la nouvelle éponyme de H.P. Lovecraft. Publiée en 2018 dans le magazine Comic Beam d'Enterbrain, cette adaptation en 11 chapitres est ensuite sortie en 2 volumes reliés dans son pays d'origine, mais pour la version française Ki-oon a donc choisi de compiler le tout en une jolie intégrale de plus de 350 pages, très facile à prendre en mains. L'éditeur français suit une logique dans sa publication, puisque Dans l'abîme du temps est l'adaptation que Tanabe a faite juste après Les Montagnes Hallucinées. Il s'agit, actuellement de la plus récente adaptation d'un récit de Lovecraft par Tanabe sortie en version papier au Japon, en attendant le grand classique L'Appel de Cthulhu dont le mangaka an entamé l'adaptation au Japon en mai dernier.

Ecrite entre novembre 1935 et février 1936, la nouvelle d'origine de Lovecraft a ensuite été publiée initialement en juin 1936 dans le magazine pulp Astounding Stories, l'un des magazine ayant posé les bases de la science-fiction moderne. Lovecraft étant mort en mars 1937, il s'agit dont de l'un de ses tout derniers écrits à avoir été publiés de son vivant. Cette nouvelle, assez souvent, est également considérée comme l'un des récits les plus aboutis du romancier, et il a posé les bases de deux idées qui nourriront par la suite nombre d'oeuvres de SF: les voyages temporels, et les transferts de personnalité.

Autant dire que c'est à une pierre fondatrice importante de la SF moderne que Gô Tanabe s'attaque ici dans son adaptation, et il l'adapte avec la même maestria que les Montagnes Hallucinées. Dans ce récit, le lecteur est invité à suivre près de 30 ans de la vie de Peaslee, depuis l'année 1908 où il a été frappé par l'invraisemblable malaise suivie de l'amnésie de 5 ans 1/2, jusqu'à l'année 1935 où il va approcher ce qui ne doit pas l'être au bout de l'expédition australienne. L'angoisse est vite assez palpable, dès lors que Peaslee se réveille 5 ans 1/2 après son malaise, en apprenant qu'un "autre lui-même" a occupé son corps pendant ce laps de temps dont il ne garde aucun souvenir... Aucun souvenir, hormis des visions cauchemardesques qui vont l'aiguiller pendant le reste de sa vie vers un secret qu'il valait mieux garder caché... Mais sont-ce des visions d'un autre monde ? Du passé ? Du futur ? Lovecraft distille habilement ses inquiétants indices et absorbe son lecteur jusqu'au bout dans une atmosphère cauchemardesque dont il a le secret. De fil en aiguille, il ne manquera pas de distiller peu à peu nombre d'éléments de sa mythologie, du Necronomicon à la grand-race de Yith, en passant par des lieux récurrent dans ses oeuvres comme Miskatonic, ou l'évocation d'autres livres mythiques comme le Culte des Goules. Et il se plaît également à bien encrer le tout dans la même réalité que celle de ses autres écrits, puisque rappelons que Dyer, qui accompagne ici Peaslee dans l'expédition australienne, était l'un des personnages centraux de l'expédition en Antarctique des Montagnes Hallucinées. Toutefois, rassurez-vous: si vous ne connaissez rien ou pas grand chose à l'univers de Lovecraft, le récit ici présent reste très facilement accessible et peut être bien compris sans prendre compte de toutes les évocations de la mythologie créée par le romancier.

Chose intéressante, Tanabe ne se contente pas de bêtement suivre à 100% la nouvelle. Le récit original de Lovecraft étant construit comme une longue lettre de confession de Peaslee dédiée à son fils Wingate où il revient sur ces presque 30 années de sa vie, les choses se construisent un peu en flashback ponctué de nombreuses descriptions des visions du personnage et ces créatures qu'il croise dans ces visions. Tanabe a la bonne idée d'occulter le fait que Wingate est le destinataire d'origine, pour plutôt faire en sorte de s'adresser directement au lecteur et pour jouer d'autant plus sur l'aspect "long flashback" ponctué de visions issues d'un passé encore plus lointain ou alors du futur. Une narration claire et limpide, que Tanabe enrichit intelligemment en ajoutant, aux phases littéraires directement tirées de la nouvelle, des passages de dialogues de son cru qui permettent d'enrichir l'ensemble et de mieux contextualiser les choses visuellement. Tanabe n'a ensuite plus qu'à se baser sur les descriptions de Lovecraft et sur sa propre imagination pour délivrer de nouvelles merveilles graphiques, entre mises en images riches, profondes et évidemment terrifiantes des créatures, décors tout aussi profonds, et splendeurs d'encrages et de tramages jouant beaucoup sur d'angoissants clairs-obscurs.

La réussite est donc à nouveau au rendez-vous pour cette nouvelle adaptation par Gô Tanabe d'un récit lovecraftien. Le mangaka laisse exploser tout son talent narratif et visuelle pour mettre en image cet incontournable récit, tout en veillant à le garder assez facile d'accès. De quoi plaire aux fans de Lovecraft tout comme aux néophytes, normalement.


Chronique 1

Après l'exceptionnelle adaptation des "Montagnes Hallucinées", l'horreur Lovecraftienne revient par l'intermédiaire de Gou Tanabe et de Ki-oon!
Pour ceux qui seraient passés à coté (regrettable erreur) et qui ignore qui est H.P. Lovecraft, un rapide retour s'impose: maître de l'horreur ayant écrit ses récits au débuts du 20e siècle entre 1905 et 1935, Lovecraft a publié des dizaines de nouvelles plus ou moins courtes et a créé une mythologie riche et passionnante reposant sur des entités cosmiques. Mais la reconnaissance n'arriva qu’après sa mort, alors qu'il fut méprisé de son vivant. Pourtant il n'y a pas une personne ici qui n'a jamais côtoyé de près ou de loin son univers par des biais détournés! Il donna vie à un univers riche et dense qui fait désormais partie de notre pop culture. Son influence se retrouve partout qu'elle soit discrète ou plus marquée, qu'il s'agisse de simples références ou une profonde inspiration...et tout lecteur de manga a du à un moment ou un autre tenir entre ses mains un titre s'étant plus ou moins inspiré de Lovecraft!

Gou Tanabe est lui par contre un auteur aux traits particulièrement réalistes, déjà familier de l'univers de Lovecraft puisque à l'origine de "The Outsider" un recueil de plusieurs récits d'ambiance horrifique dont un des récits était justement déjà une adaptation d'une nouvelle de Lovecraft. Le tout pour un résultat assez fascinant.
Et c'est donc après une adaptation en deux tomes de la pièce maîtresse "Les montagnes hallucinées" que la collection se poursuit avec ce one shot adaptant le tout dernier récit de Lovecraft avant sa mort en 1937: "Dans l’abîme du temps"!

L'édition que nous propose Ki-oon est toujours aussi remarquable, et justifie aisément son prix! Un volume qui pourrait avoir sa place au milieu des rayonnages des plus belles bibliothèques. Vraiment pour chipoter, le changement de couleurs de la reliure enlève un peu du coté "vieux livre authentique", mais je suppose que c'était pour mieux dissocier les deux récits.

Une expédition au fin fond de l'Australie Orientale! Un homme fait face au désert et croit voir une immense citée perdue ayant appartenu à une ancienne civilisation...Aussi impossible que cela paraisse il connaît ce lieu, a déjà arpenté ses couloirs...
Trente ans auparavant, le professeur Nathaniel Peaslee vivait une vie paisible auprès de sa femme et de ses trois enfants; professeur d'économie dans une prestigieuse université, il était le plus heureux des hommes, jusqu'au jour où il fera un malaise durant un de ses cours. Il ne se réveillera que 5 ans plus tard. Pourtant il apprendra de la bouche d'un de ses fils que durant ces cinq années il était bel et bien conscient et qu'il a adopté un comportement des plus étranges!
S'agit -il d'un "simple" cas de personnalités multiples ou bien peut être se cache t-il derrière ses mystères une réalité bien plus étrange et perturbante?
Il décide alors d'étudier la psychologie pour tenter de comprendre ce qu'il a pu vivre durant ces cinq années de trous noirs, jusqu'à ce qu'un de ses articles attire l'attention de professeurs et d'archéologues en Australie...

Comme souvent avec les récits de Lovecraft, tout commence avec un homme normal vivant une vie normale pour basculer peu à peu vers l'étrange et l'horreur!
Ici l'ensemble du mystère repose sur les années manquantes à la conscience du personnage principal. Bien que les médecins tentent d'expliquer cela par de l'amnésie on comprend rapidement que quelque chose de bien plus obscure se cache derrière tout ça!
Surtout lorsque le fils du professeur lui raconte les agissements troublants qu'il a pu avoir durant ces années!
Ici on va alors passer en revue les grands classiques et incontournables de Lovecraft, à savoir les expéditions dans des continents inconnus et mystérieux (il est important de rappeler que Lovecraft a écrit ses récits au début du siècle, il faut donc replacer dans le contexte), des étendus désertiques qu'elles soient arides ou glacées, des recherches avec des ouvrages interdits, et bien entendu on retrouve le célèbre Nécronomicon (qui n'a jamais autant eu une aura aussi mystérieuse que dans les récits de l'auteur, bien avant qu'il ne soit détourné plus tard)!
Et bien entendu, des races anciennes et mystérieuses, à l'apparence indescriptible vont entrer en scène. Mais surtout peut être encore plus fascinant que le reste, les cités perdues aux architectures démentes.

Et toute la magie des œuvres de Lovecraft repose en grande partie sur la mythologie complexe et riche à laquelle il a donné vie, car les races y sont nombreuses, toutes différentes, certaines belliqueuses, d'autres simplement curieuses, certaines destructrices, certaines endormies, d'autres éteintes ou bien simplement utilisant les couloirs du temps. Ce sera justement le cas ici, pas de spoil puisque le titre le laisse aisément supposer!
Ainsi l'auteur mêle fantastique et horreur, extraterrestres et voyage dans le temps, psychologie et aventure...un récit complexe et dense qui ne laissera pas indifférent!

Ce qui pourrait perdre certains lecteurs c'est la narration assez complexe qui ne cesse de faire des allers retours, qui contient nombre d’ellipses, de quoi se perdre si on ne lit pas ce tome en étant attentif (ce qui tout de même stupide)!
Mais le récit s'avère passionnant du début à la fin, même si un lecteur familiarisé avec les récits fantastiques peut facilement anticipé la fin...mais une nouvelle fois il faut replacer dans le contexte de l'époque...

Gou Tanabe fait un travail d'adaptation absolument remarquable: le propre des créatures issues de l'imagination de Lovecraft s'est justement de ne pas pouvoir être décrites, de fait réussir à les reproduire en dessin est une gageure; et si d'autres l'ont fait avant lui, son travail demeure excellent!
On pourrait lui reprocher que tous ses personnages masculins se ressemblent mais ce n'est pas bien important, dans les récits de Lovecraft ils sont souvent peu nombreux!

Tout aussi immersif que Les Montagnes Hallucinées, ce récit est une pièce majeure de l’œuvre de Lovecraft et son adaptation est absolument parfaite!
Le travail de Ki-oon est lui aussi incroyable et mérite toutes les éloges tant le tome qu'on tient entre les mains est de belle qualité!
Un incontournable!
  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Erkael
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs