Dans la peau de Miwa Vol.1 : Critiques

Miwa-san Narisumasu

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 14 Juin 2024

Ce mois de juin voit arriver dans le catalogue de Kurokawa la série Dans la peau de Miwa, toute première publication française d'Uhei Aoki, un mangaka qui, après avoir été notamment assistant pour l'auteur Yasuaki Kita (inédit en France à ce jour), a démarré sa propre carrière en 2007 et a, depuis, signé dans son pays d'origine plusieurs séries assez courtes et généralement axées sur la tranche de vie humoristique, le tout chez différents éditeurs.

De son nom original "Miwa-san Narisumasu " (littéralement "Se faire passer pour Miwa" ), Dans la peau de Miwa est, à l'heure où ces lignes sont écrites, d'ores et déjà la plus longue oeuvre de la carrière du mangaka: actuellement riche de 9 volumes, elle est prépubliée au Japon depuis 2021 dans le magazine Big Comic Bros des éditions Shôgakukan, un dérivé du célèbre Big Comic Original.

"Être une geek pareille à 29 ans, la honte !"

Cette oeuvre nous immisce auprès de Miwa Kubota, une femme qui, du haut de ses 29 ans, n'a jamais su s'imposer, se contente de mener sa vie en faisant le moins de vagues possibles, est toujours célibataire et n'a aucune réelle carrière professionnelle, ce qui lui a déjà joué des tours par le passé (comme nous le découvrirons bien assez vite). Alors pour fuir cette existence que beaucoup qualifieraient peut-être de fade, elle se réfugie constamment dans son immense passion pour le cinéma, une passion telle que, à grand renfort de nombreuses notes, elle est capable de resituer à la minute près des passages des nombreux films qu'elle voit. Mais malheureusement, même dans son petit boulot de vendeuse dans un vidéo-club, cette passion finit par lui jouer des tours face à des clients odieux et à ses collègues plus jeunes qu'elle qui la qualifie de geek hardcore.

Une nouvelle fois, Miwa semble alors bonne pour se réfugier dans sa passion, et plus précisément dans son amour pour Takashi Yatsumi, acteur d'une cinquantaine d'année qu'elle adule voire divinise depuis son adolescence, tant elle le trouve talentueux, et tant il a su toujours l'accompagner dans les moments les plus difficiles de sa vie. Notre héroïne considère même que c'est grâce aux films de Yatsumi si elle parvient encore à s'accrocher à la vie, si bien qu'elle s'est renseignée à fond sur lui, sans pour autant tomber dans certains travers de ce genre d'idolâtrie: elle sait très bien qu'une fille effacée et simple comme elle n'a pas à s'immiscer dans la vie d'une telle célébrité. Même quand elle découvre une offre d'emploi visant à recruter une nouvelle femme de ménage dans l'immense propriété de Yatsumi, le très haut et strict niveau de sélection (venir d'un milieu aisé, avoir fait de hautes études, etc) la pousse à ne pas se porter candidate et à simplement aller observer à quoi ressemblera l'heureuse élue... et c'est à ce moment précis que le destin s'en mêle: sur un coup du destin, la voici avec la possibilité de prendre l'identité d'une autre, Sakura Miwa, pour devenir la femme de ménage de son idole. Elle a beau savoir que c'est mal et que ça lui retombera forcément dessus plus tard, elle choisit alors de saisir cette chance, pour essayer de changer de vie, de sortir de sa coquille et de ne plus avoir de regrets...

Tranche de vie assez unique en son genre sur ce seul premier tome, Dans la peau de Miwa aurait rapidement pu prendre la forme d'un énième thriller (par exemple en jouant sur le fanatisme de Miwa envers Yatsumi), mais l'auteur est bien plus malin que ça. Certes, il y a une bonne part de suspense qui se ressent au fil des pages, ne serait-ce que parce que notre héroïne se retrouve à devoir jouer le rôle d'une autre (à savoir Sakura Miwa, candidate qui était d'un tout autre standing), avec tout ce que ça peut impliquer pour qu'elle ne se trahisse pas. Mais l'intérêt principal semble être largement ailleurs pour le mangaka, et réside bel et bien dans le travail effectué sur cette femme jusque-là totalement effacée. Elle a beau idolâtrer Yatsumi, Miwa évite bien des écueils: loin de vouloir s'imposer auprès de celui qu'elle admire depuis si longtemps, elle préfère se faire la plus petite possible, simplement profiter de la possibilité de le découvrir dans sa vie quotidienne au-delà de sa vie d'acteur, regrette même constamment d'avoir dû lui mentir sur son identité au point de vouloir assez vite lui révéler la supercherie...

Finalement toute simple, cette femme modeste, effacée et désireuse d'enfin devenir vraiment l'héroïne de sa vie a rapidement, mine de rien, quelque chose d'infiniment touchant. Et c'est une sensation que le mangaka sait particulièrement bien retranscrire, à la fois dans sa narration continuellement très introspective sur elle (tout le récit, ou presque, passe à travers ses propres émotions), et dans ses dessins où les designs un peu épurés laissent notamment très bien place aux yeux passionnés de la jeune femme dès qu'elle parle de cinéma. Et qui sait, peut-être bien que sa passion et son humilité, si longtemps vues comme des défauts de geek hardcore et effacée, pourraient se révéler être les plus belles des qualités pour attirer l'attention d'un acteur peut-être las des rapports faux et guindés qu'exige parfois son métier. En ce sens, on appréciera particulièrement quelques belles petites trouvailles narratives, notamment l'écho qui est fait entre les premières pages et la page 176, où le côté "geek du cinéma" de Miwa est considéré de deux façons totalement opposées par son entourage.

Enfin, soulignons aussi qu'Uhei Aoki semble lui-même très féru de cinéma: non seulement son travail de découpage, de choix d'angles et de composition de certaines planches évoquent immanquablement le septième art, mais en plus les références sont assez nombreuses et parfois très pointues (celle à True Romance au début, il fallait aller la chercher), voire sont très intelligentes dans le cas du film Parasite de Bong Joon-ho, tant l'histoire de ce film a parfois de quoi faire écho a la propre situation dans laquelle Miwa se retrouve.

A l'arrivée, on doit bien avouer que l'on ne s'attendait pas à ce que ce premier tome soit une telle réussite. Loin de céder à certains poncifs habituels de ce genre de pitch, Uhei Aoki livre un début de récit qui se révèle surtout touchant derrière sa part de suspense, à la fois grâce à un gros travail narratif et visuel, à un abord réussi de son attachante héroïne, et à des références cinématographiques intelligemment abordées puisqu'elles ne sont pas là uniquement pour faire beau. Evidemment, on espère que sur la longueur l'auteur saura continuer ainsi d'éviter les clichés, mais dans l'immédiat une chose est sûre: on a plus que hâte de voir ce qui attend Miwa, plus encore au vu du petit suspense sur lequel la dernière page nous laisse !

Enfin, côté édition française, on a quelque chose de très soigné. A l'extérieur, on a droit à une jaquette sobre, fidèle à l'originale japonaise au niveau de l'illustration, et agrémentée d'un logo-titre bien pensé avec sa référence au cinéma. Et à l'intérieur, la traduction de Gaëlle Ruel est excellente, le lettrage de Tomoko Bénézet-Toulze est très propre, et le papier ainsi que l'impression sont de bonne facture.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.25 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs