Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 13 Février 2024
Chronique 3 :
Shinichi Sakamoto est le genre d'auteur touche à tout qui fascine autant qu'il divise!
Après plus de vingt ans de carrière, ce génie du dessin a exploré un grand nombre d'univers tous très différents, de quoi faire cauchemarder les collectionneurs qui aiment ranger leurs titres par auteur et par genre...
Les premiers titres qui l'ont font connaître sont des titres purement tournés vers l'action et la baston, à savoir "Kiomaru" et "Nés pour cogner", et pourtant même là il situe ses titres dans deux époques bien distinctes avec deux univers assez différents. C'est avec "Ascension" qu'il va percer et véritablement se faire un nom: ce titre basé sur l'escalade / l'alpinisme, très accès shonen sportif dans ses premiers tomes, qui va finir par se transformer en une œuvre introspective et très profonde. Il atteint alors le sommet de son art au niveau de son dessin.
Il reviendra ensuite avec Innocent, où il va cette fois revisiter l'Histoire Française !
A chaque titre son univers et son ton...et alors qu'il aurait été facile pour lui de prolonger un de ses univers, il va de nouveau partir vers tout autre chose avec sa nouvelle série qui ne compte actuellement que trois tomes au Japon: DRCL - Midnight Children!
Pour ceux qui prononcent le titre de façon phonétique, il n'est pas compliqué de deviner qu'il va explorer, revisiter le mythe de Dracula issu de l'imagination de Bram Stoker! Et ici il ne faut pas espérer retrouver une adaptation fidèle et littérale du roman de Stoker ou d'une autre de ces adaptations telle celle de Coppola, non Sakamoto compte bien explorer cet univers avec sa vision des choses...mais surtout avec son trait désormais caractéristique, presque éthéré...
L'équipage du Déméter récupère une cargaison étonnante qu'il doit livrer en Angleterre. A priori uniquement de la terre avec quelques graines et plantes exotiques qu'on ne trouve pas dans les terres de sa Majesté... Alors que tout aurait du se passer pour le mieux, les membres de l'équipage commencent à croire à d'étranges superstitions, avant que l'un d'entre eux disparaissent... Rapidement l'horreur va gagner tout l'équipage qui va se retrouver confronter à une chose qui ne devrait pas exister dans notre monde...
Le bateau finit par arriver dans le port de Whitby, sans équipage...un vaisseau fantôme qui étonne les locaux et ne manque pas de faire couler de l'encre. Et les étudiants de l'école privé rassemblant l'élite de la bourgeoisie Anglaise ne va pas manquer de s'intéresser à ce mystère, notamment la jeune Mina Murray, jeune fille moquée par ses camarades, seule élève féminine de l'école. Cette dernière, fervente pratiquante de lutte, ne compte pas se laisser marcher sur les pieds et est résolue à percer le mystère du bateau fantôme...
Mais bien des choses étranges vont se produire, ayant des conséquences directs sur les camarades de Mina...
Les premiers chapitres, qui correspondent bien à l'arrivée de Dracula en Angleterre dans la version de Stoker, font ici davantage penser à une approche Lovecraftienne des événements, plus horrifiques, nous montrant clairement des choses qui ne devraient pas exister! Une excellente entrée en matière qui va grandement titiller notre curiosité et susciter notre intérêt.
Je serai pourtant bien moins dithyrambique sur la présentation des personnages, ces derniers ne se montrant nullement attachant, et si ce n'est le coté obstiné et persévérante de Mina, celle ci pourrait bien plus agacer les lecteurs que les séduire. Les autres personnages qui l'entourent sont eux par contre tout à fait détestables, c'est peut être le but de l'auteur, mais je n'en suis pas certain. Ils se présentent comme courageux et téméraires mais s'avèrent lâches et arrogants, et à ce stade il peut bien leur arriver n'importe quoi, on ne les regrettera pas.
Là où l'approche de l'auteur est pertinente tout en étant surprenante, c'est quant à la menace en elle même! Alors que le lecteur va forcément faire le rapprochement avec Dracula, ici Sakamoto amène les choses de manière plus subtil...est ce une entité? Un virus? Est ce vivant? Est ce conscient? Difficile à dire...et c'est cette étrangeté qui rend ce premier opus d'autant plus fascinant.
Au delà du mystère en lui même, l'auteur prend surtout le temps de nous présenter le quotidien de ses personnages, notamment de Mina (ce qui malheureusement ne contribue pas pour autant à les rendre plus attachants). Mais ces moments tranches de vie vont apparaître bien fades à coté des moment où l'auteur va s'attarder sur la "créature" qui s'insinue perfidement auprès de nos héros. Que ce soit l'ambiance ou encore le dessin et les trouvailles visuelles de l'auteur (qui impactent logiquement l'ambiance du coup), rien ne sera aussi percutant que les moments de mise en scène de cette menace qui n'est pas encore définie, pas encore identifiée...et c'est justement ce qui la rend d'autant plus fascinante. J'ai bien peur que si l'auteur se décide à lui donner une forme plus tangible et clairement définie, la menace perdra de sa superbe et de son inquiétante étrangeté.
Au delà de cette vision du mythe de Dracula, l'auteur en profite aussi et surtout pour nous donner sa vision de la société de l'époque avec ses ségrégations, ses différences de classes ainsi que la place des femmes dans cette même société. Mina incarne tout ce que cette société met de coté: elle est une femme qui ne souhaite pas rester à la place qu'on veut bien lui attribuer, elle n'est pas issue de la bourgeoisie, elle est juste brillante, ce qui dérange plus qu'autre chose...car après tout, dans cette société, les hommes n'avaient pas besoin que les femmes soient brillantes, et encore moins si elles le sont plus encore qu'eux.
C'est amusant de faire le parallèle avec la vision que nous propose Fujita dans Cresent Moon, sorti tout récemment également chez Ki-oon, où il donne sa version de Frankenstein mais aussi sa vision de la place des femmes à l'époque.
Malgré ce point de vue pertinent, DRCL se veut avant tout être un titre captivant et fascinant voire déstabilisant avant d'être une œuvre sociale.
Et force est de constater que le pari est réussi, le titre est plus qu'intrigant...malgré tout je n'arrive pas à être totalement séduit par ce premier tome qui se monte parfois trop brouillon dans sa narration et surtout qui propose des personnages qu'on n'a pas spécialement envie de suivre, à l'exception peut être de Mina...
Certes c'est beau, c'est même magnifique, mais cela ne fait pas tout! Ce premier tome n'a pas pour vocation d'être un art book, mais bien de raconter une histoire prenante avec des personnages intéressants, et là dessus on peut avoir quelques réserves.
Ki-oon, comme à son habitude nous propose une édition absolument superbe, avec notamment une couverture donnant l'effet d'un vieil ouvrage, avec un papier de qualité et une adaptation qui l'est tout autant.
Un premier tome surprenant et intrigant, mais qui n'est pas aussi fascinant que je l'aurai souhaité...j'ai bien évidemment envie de découvrir la suite, et j'espère que Sakamoto fera sauter mes réserves, mais à l'issue de ce premier opus j'en ai quelques unes.
Chronique 2 :
En déjà près d'une trentaine d'années de carrière au Japon et plus d'une quinzaine d'années passées à être publié en France, Shin'ichi Sakamoto s'est confortablement installé comme un artiste de choix. Après ses récits de "jeunesse" Kiomaru (sur un scénario d'Arajin) et Nés pour cogner où il tapait plutôt dans l'action musclée avec un certain savoir-faire et déjà des pointes d'originalité (difficile d'oublier la particularité du héros de Nés pour cogner quand on a lu cette série), le mangaka s'est véritablement dévoilé avec Ascension, interprétation somptueuse d'un roman d'alpinisme de Jiro Nitta, portée par un propos très riche dépassant largement le simple cadre de l'adaptation, et par une réelle affirmation visuelle. Auréolé de gloire par chez nous avec ce manga désormais considéré comme un incontournable, l'artiste a ensuite pu récidiver avec Innocent et Innocent Rouge, où, tout en poussant plus loin que jamais son goût pour de fascinantes métaphores visuelles, il évoquait des sujets très actuels (notamment autour de l'émancipation de la jeunesse, mais pas que) en revisitant à sa façon le contexte de la Révolution Française par le prisme du bourreau Charles-Henri Sanson et, également, de Marie-Josèphe Sanson, dont il a offert une inoubliable version en femme forte, badass et libre. Cette oeuvre ayant été une nouvelle réussite qui a consolidé la patte de Sakamoto jusqu'à lui faire atteindre des sommets artistiques, il était évident que l'on attendait impatiemment l'arrivée en France de sa dernière oeuvre en date, #DRCL - Midnight Children, prépubliée au Japon depuis 2021 dans le magazine Grand Jump des éditions Shûeisha (dans lequel l'auteur avait déjà proposé Innocent Rouge) et comptant à ce jour 3 volumes. Et après avoir vu ses séries publiées en France par Akata/Delcourt puis Delcourt/Tonkam jusqu'à présent (si l'on excepte une incursion chez Futuropolis pour une histoire du recueil Les Rêveurs du Louvre), l'artiste change de crémerie pour atterrir chez Ki-oon, chose dont on ne se plaindra vraiment pas quand on se rappelle du massacre effectué par Delcourt/Tonkam sur Innocent Rouge au niveau des délais de parution et des jaquettes.
Il s'agit d'un lancement en grandes pompes pour ce qui promet déjà d'être l'une des nouveautés manga essentielles de 2024 dans sa catégorie: Ki-oon a effectivement eu à coeur de bien faire les choses en invitant Sakamoto en France dans le cadre du FIBD d'Angoulême, qui a lieu en ce moment-même, et où se tient une exposition dédiée à son oeuvre. Rappelons que le mangaka est désormais un habitué de notre pays puisqu'il avait déjà été invité chez nous pour ses deux précédentes séries: en 2011 à Japan Touch à Lyon pour Ascension, et en 2015 au Salon du Livre de Paris pour Innocent. Deux événements pour lesquels nous avions fait le déplacement afin d'interviewer l'auteur, les interviews étant évidemment toujours disponibles sur notre site.
Et pour parfaire le tout, soulignons immédiatement la qualité d'une édition aux petits oignons. A l'extérieur, la jaquette, fidèle à l'originale japonaise, offre un très beau rendu avec son épaisseur, ses éléments en vernis sélectif et son aspect rappelant ingénieusement un vieux livre abîmé par le temps. Et à l'intérieur, on trouve six premières pages en couleurs sur papier glacé, une excellente impression sur un papier à la fois bien épais, assez souple et opaque, un travail d'adaptation graphique très soigné de Clair Obscur, et une traduction très convaincante de la part de Sylvain Chollet. Autant dire que les conditions sont optimales pour se plonger au mieux dans le nouveau bijou de l'artiste !
Ici, tout commence à la toute fin du XIXe siècle, où un bateau, le Déméter, est soudainement en proie à une psychose: des disparitions commencent à avoir lieu, une étrange silhouette longue et mince est aperçue avant de s'évaporer... si bien qu'une panique sourde s'installe au sein de l'équipage. Elle ne s'arrêtera à aucun moment puisque, au fil des pages, les éléments bizarres, anormaux et inquiétants continuent de se multiplier, à l'image d'une mousse apparaissant dans le dos d'un des hommes, d'une odeur pestilentielle qui se répand, de l'apparition de plantes hors du commun, ou d'une trace d'un corps qui se dessine inexplicablement sur des caisses... En s'appuyant sur une énorme travail d'ambiance angoissante où ses visuels très riches font mouche et où l'inexplicable et la folie se côtoient, on semblerait presque entamer une nouvelle adaptation de Lovecraft par Gou Tanabe (pour citer d'autres mangas publiés en France par Ki-oon). Pendant ce temps-là, en Angleterre, alors que ce sinistre navire russe approche des côtés, le quotidien suit son cours au sein de la prestigieuse école Whitby, quasiment réservée à l'élite. De Wilhelmina "Mina" Murray, l'unique élève féminine de l'établissement,jusqu'à l'arrogant Arthur Holmwood, en passant par Luke/Lucy Westenra qui se passionne pour le dessein et bien d'autres figures, personne, à cet instant, n'imaginerait que sa vie basculera avec l'arrivée de l'être vampirique s'apprêtant à quitter le Déméter: un certain Dracula...
C'est effectivement le célèbre roman de Bram Stoker que Sakamoto promet de revisiter cette fois-ci, toujours à sa sauce bien sûr. Car même si le mangaka reste fidèle à certaines lignes de l'oeuvre d'origine, on sent vite qu'il ira plus loin afin d'en offrir une vision moderne portée par des sujets restant toujours actuels. Et ça, rien que le titre très modernisé #DRCL suffit à nous le faire comprendre !
Dans cette optique, ce volume de mise en place sait déjà parfaitement nous interpeller grâce à deux qualités, la première étant évidemment l'énorme travail visuel de l'auteur, avec quelques premières métaphores visuelles assez brèves mais impactantes, l'esquisse de scènes de danse/ballet qui devraient revenir régulièrement et qui sont notamment inspirées des performances de Sergueï Polounine, des costumes soignés pour lesquels le dessinateur s'appuie entre autres sur le travail d'Eiko Ishioka (qui a créé les costumes du film Dracula de Coppola, la boucle étant bouclée), quelques vues contemplatives, des compositions aussi élégantes que ravissantes, et peut-être surtout un très gros travail sur la clarté et l'obscurité.
Quant à l'autre qualité, elle provient de la place que Sakamoto devrait accorder à certains personnages du roman d'origine, à savoir les élèves de Whitby. De ce côté-là,c 'est assurément Mina qui capte le plus notre attention, tant cette impétueuse "rouquine" à nattes permet déjà d'évoquer de nombreuses choses. Avec son caractère très marqué, son goût pour le catch et sa détermination à ne pas se laisser marcher sur les pieds, elle nous renvoie immédiatement une exquise image de fille forte et désireuse de s'émanciper, ce qui confirme encore un peu plus l'intérêt de Sakamoto pour ce genre de personnage féminin après Marie-Josèphe d'Innocent Rouge. Et elle est d'autant plus chouette à suivre qu'elle doit, inévitable, faire face à sa condition de fille et d'enfant de la classe ouvrière. Condition que, dans le cadre d'une école étouffante et coincée dans ses vieilles traditions, on ne cesse de lui faire ressentir sans que ça la décourage. Un autre personnage qui interpelle est, inévitablement, Luke/Lucy, à la fois pour ce qui lui arrive et pour certains thèmes modernes que ce personnage pourrait permettre d'aborder autour du genre, ceci restant une affaire à suivre.
Ajoutons à tout ça la découverte de l'intéressant chapitre pilote de la série à la fin de ce premier volume d'environ 240 pages, et on obtient des débuts particulièrement saisissants, immersifs et prometteurs autour de cette version librement revisitée du roman de Bram Stoker. Comme on pouvait l'espérer, #DRCL sera assurément l'une des nouveautés manga de 2024 à suivre de très près !
Chronique 1 :
Au fil des années, Shin'ichi Sakamoto est devenu maître d'un domaine esthétique qui lui est propre. Il se fait connaître chez nous avec les séries Kiômaru et Nés pour cogner, deux mangas "coups-de-poing" du Young Jump où il illustre toute son admiration pour les œuvres Hokuto no Ken et Kinnikuman, à travers des histoires où action et tas de muscles se conjuguent. À la fin des années 2000, c'est avec Ascension qu'il inaugure un registre différent et plus personnel, une dynamique qui va se poursuivre avec le diptyque Innocent - Innocent Rouge de 2013 à 2020, une épopée en 21 volumes dans laquelle il réinvente l'histoire prérévolutionnaire française (puis révolutionnaire) à travers le récit de Charles-Henri Sanson et de sa sœur, Marie-Josèphe, exécuteurs des hautes œuvres à la cour royale. Peut-être plus encore qu'Ascension, Innocent a marqué un renouveau total dans l'œuvre de l'auteur et un développement de sa patte graphique qui, entre la finesse du trait, les idées de composition grandioses et les métaphores visuelles d'une puissance implacable, ont chamboulé le lectorat.
C'est en 2021, dans le magazine Grand Jump, que la maître lance sa nouvelle œuvre : #DRCL midnight children, dont le 4e tome sortira au Japon le 19 février à venir. Pour ce projet, Shin'ichi Sakamoto s'inspire de la figure de Dracula de Bram Stoker. Autrement dit, c'est une réinvention du mythe du vampire qui sera proposée par l'artiste, en plus d'une nouvelle visite du mythe littéraire fantastique. Car ce que Shin'ichi Sakamoto a bien prouvé avec Innocent, c'est qu'il ne cherche pas des retranscriptions sages et littérales, mais cherche à les exploiter par son style aux multiples facettes, afin de créer une œuvre qui lui est propre. Quitte à s'éloigner de la réalité historique ou du matériel de base, il nous captive, nous fait rêver, et exploite diverses thématiques d'une manière forte. Et puisque Dracula appartient aujourd'hui au domaine public, l'auteur peut s'en donner à cœur joie pour développer sa propre version de la figure légendaire de Stoker.
L'histoire débute quand l'équipage du bateau russe "Demeter" récupère une singulière cargaison en Bulgarie, pour le compte d'aristocrates anglais. Mais pendant la traversée, des événements étranges se succèdent. Et quand il s'échoue sur le port de Whitby, en Angleterre, à deux pas d'une école d'élite, c'est un navire fantôme que voit s'échouer une poignée d'élève. Parmi eux, Mina Murray, seule fille de l'établissement, à une époque où une telle présence était mal vue par la gent masculine. Brimée par ses camarades, dont la bande du jeune Luke, elle sera pourtant sur le même pied d'égalité qu'eux quand ils assisteront aux terrifiants événements résultant de l'arrivée du Demeter à Whitby.
Si ce synopsis dépeint le lancement du récit par la succession chronologique de ses événements, Shin'ichi Sakamoto n'opère pas de manière aussi limpide dans l'amorce qu'est ce premier volume. Amorçant celui-ci par le drame du Demeter aux élans horrifiques, après une page d'ouverture qui présence le mystérieux DRCL tant comme une entité vampirique que comme un virus, il n'apporte pas le fin mot à la situation sur le navire, préférant planter les enjeux de la vie quotidienne de la jeune Mina, avant de revenir sur le fameux vaisseau voué à devenir fantôme. Le premier tome de la série est décousu, et ce très volontairement. Au sein de celui-ci, l'auteur plante une atmosphère dérangeante, via des esthétiques qui jouent sur plusieurs tableaux (anciennes et modernes, horrifiques et oniriques) pour créer différents décalages qui nous perturbent. C'est à l'image de la bande de protagonistes, des adolescents qui étudient à la prestigieuse école de Whitby et qui font face à de premiers événements qui les dépassent. C'est par eux, et par le prologue autour du Demeter, que le manga vire dans le film d'horreur, présentant ce fameux "DRCL" comme une menace qui relève du surnaturel et du bestial. D'ailleurs, l'une des forces de ce premier opus est de ne pas concrétiser cette entité, de ne pas lui donner d'apparence ou de caractérisation distincte, et de la montrer comme un croque-mitaine dont la représentation visuelle varie selon les intentions de l'auteur.
Sakamoto explore donc ce tout nouveau terrain avec mille-et-une trouvailles d'ambiance et d'esthétique. Les lecteurs qui ont parcouru Innocent et Innocent Rouge retrouveront le goût du maître pour les métaphores graphiques et son amour des jeux de corps qu'il contorsionne à l'envie pour leur donner un aspect irréel, quand il n'explore pas un aspect monstrueux de ces utilisations des entités vivantes. Ce premier tome regorge de trouvailles visuelles et de narration, aussi les amoureux du style de l'auteur se régaleront du niveau nouveau qu'il atteint sur ce premier volume.
Et au-delà de ce que montre #DRCL midnight children en termes d'art, il y a aussi ce que le récit raconte. Et de nouveau, on retrouve un Shin'ichi Sakamoto qui couple le terrain de jeu graphique à l'envie de narrer une grande intrigue dans laquelle l'être humain est au premier plan. Avec ce présent manga, il s'appuie sur le cadre historique de la fin du XIXe Siècle pour évoquer les différences de classes et de genre, et promettre l'histoire de jeunes gens qui mettront ces barrières sociétales de côté pour unir leurs forces contre la menace DRCL. Promettre est le bon mot, tant ce premier volume plante surtout les points principaux du scénario, les différents caractères des personnages, ce qui les oppose et ce qui les connecte parfois, en concluant par ce fameux teasing de l'union des protagonistes. Néanmoins, parce qu'il dévoile suffisamment de facettes de son casting tout en mettant en avant ces volontés thématiques, tout semble minutieusement préparé, de telle sorte à ce que la suite aborde plus concrètement cet ensemble. Et c'est sans oublier le point d'intrigue central, celui de DRCL, qui est une vraie énigme, et dont la première victime est surtout mise au premier plan. Avec elle, l'auteur semble aborder la barrière des genres, via une figure liée à Mina, l'héroïne, qu'on a déjà hâte de découvrir davantage.
Au final, ce premier volume de #DRCL midnight children est aussi déroutant que captivant. Si la construction décousue semble nous perdre durant la lecture, y revenir apporte davantage de fluidité et permet de concrétiser les promesses d'un manga ambitieux, et la nouvelle œuvre d'un maître à l'art personnel et inégalable. La dernière série en date de Shin'ichi Sakamoto n'a certainement pas fini de nous intriguer et de nous fasciner !
Du côté de l'édition, Ki-oon offre une superbe copie. Reprenant fidèlement la construction de la jaquette japonaise, la couverture donne l'illusion d'un libre vieilli et abimé, via une illustration sobre, mais qui suffit a dégagé un mystère attrayant. À côté, l'éditeur garde son papier solide qui a déjà fait ses preuves. Enfin, saluons la traduction de Sylvain Chollet, tout à fait pertinente pour permettre au texte de dégager les multiples nuances du récit. Ce dernier ayant déjà traduit le diptyque Innocent, il était tout désigné pour s'occuper du prochain gros morceau de Shin'ichi Sakamoto.