Couloirs de l'abîme (les) Vol.1 - Actualité manga

Couloirs de l'abîme (les) Vol.1 : Critiques

Shintan Kairô

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 28 Septembre 2021

En mars 2019, les éditions Boy's Love nous invitaient à découvrir Smells Like Green Spirit, une série en deux volumes parue au Japon entre 2011 et 2013 et qui, avec son récit montant beaucoup en puissance, sa part de réalisme et sa patte visuelle bourrée de qualités, s'imposait sans doute comme l'un des meilleurs yaoi sortis en France cette année-là. Suite à cette oeuvre sublime, on espérait beaucoup revoir un jour dans notre langue sa mangaka, Saburo Nagai... et c'est désormais chose faite puisque Hana Book, le successeur de Boy's Love, a lancé en France en juin dernier une série qui n'est autre que le spin-off de Smells Like Green Spirit.

De son nom original Shintan Kairô (littéralement "Le couloir de l'étang profond"), Les couloirs de l'abîme est la série la plus récente de l'autrice: comptant actuellement deux volumes au Japon, elle a été lancée en 2019 dans les pages du magazine Comic Be des éditions Fusion Product, magazine hybride n'accueillant pas que du yaoi, qui avait déjà proposé Smells Like Green Spirit, et que l'on connaît aussi par chez nous pour avoir été le magazine de prépublication de la comédie Magical Girl Boy sortie aux éditions Akata.

L'oeuvre commence par des premières pages assez fascinantes. Un homme se jetant du haut d'une petite falaise, dans un découpage aussi simple qu'hypnotique, où le petit "plof" de la chute semble vraiment perdu dans l'immensité marine. Puis un changement d'ambiance avec, partout, des jeunes évoquant la légende de "Mossan", qui s'est récemment répandue dans plusieurs régions du pays. Une légende disant qu'une silhouette noire et poilue errerait ici et là, qu'elle serait difforme avec la ouche fendue et sa longue langue, qu'elle provoquerait la mort des gens... Une véritable légende urbain, en somme. A ceci près que, derrière la légende urbaine, se cache bel et bien un être humain. Un être humain qui a précisément renoncé à son humanité, qui s'est mis à maudire le monde entier, et qui erre partout en semblant attendre la mort, depuis que, 7 ans auparavant, il a failli violer un de ses élèves en tant que professeur...

Vous l'aurez donc peut-être compris avec cette dernière information: l'homme élancé hirsute a beau se faire désormais appeler Yamada, il s'agit bien de Yanagida, cet enseignant qui fut à deux doigts de commettre le pire sur l'un de ses élèves dans Smells Like Green Spirit et qui, depuis, vit avec drame en lui, comme un profond démon intérieur qui l'a poussé à l'éloigner de tout, en vivant dès lors dans la tristesse et dans la haine du monde entier. Ses pas l'ont conduit, depuis quelque temps, dans un petit bourg insulaire où il vivote en louant une petite maison. Derrière son abord très peu sociable, l'homme est grand et très beau, si bien qu'il attire les regards de certaines femmes voire subit quelques sous-entendus, ce à quoi il répond passivement en apparence, mais les maudit de plus belle en une voix à peine perceptible. Ayant pour fardeau l'horreur qu'il a tenté de commettre il y a sept ans, Yamada n'a plus d'espoir. Il a fait une croix sur son identité, sur son passé, et forcément sur son avenir... du moins, jusqu'à ce qu'une rencontre inattendue ait lieu: alors qu'il est sur la plage à maugréer, un adolescent sort entièrement nu de l'eau, et Yamada croirait presque reconnaître en lui l'élève qu'il a agressé autrefois. Face à cette vision impossible, il fuit mais reste intrigué, et ne tarde pas à recroiser l'adolescent en question. De son nom Nagisa, ce jeune garçon semble alors s'intéresser de près à l'adulte perdu, et un lien étrange va vite se créer entre eux.

Il n'y a pas forcément grand chose de plus à dire sur l'histoire de ce premier tome, hormis peut-être quelques mots sur Nagisa: l'adolescent a beau se montrer jovial voire taquin (notamment envers la dénommée Mari) à l'école, certains petits détails laissent planer quelque chose de plus sombre sur lui: la mise en garde d'un père envers son fils Satoshi qui le fréquente, une demande douteuse que ce même père fait à l'égard de notre jeune héros... On cerne rapidement que Nagisa, sous ses allures plutôt joviales, a lui-même une facette plus noire, et on en devine d'autant lus la teneur en observant la relation qu'il se met à avoir avec Yamada. Alors, à l'heure où Yamada semble parfois apaisé au contact de cet adolescent, peut-être y a-t-il en réalité quelque chose de plus "toxique" derrière...

Il faudra évidemment attendre la suite de la série pour en découvrir plus, mais une chose est sûre: la mangaka pose une merveille d'atmosphère tout au long des environs 160 pages composant ce premier tome. On doit cette réussite tout d'abord à la narration, qui fait une certaine économie de mots pour laisser subsister une sorte de flou autour des principaux personnages (il n'est même jamais dit que Yamada était autrefois Yanagida, c'est une chose que le lectorat de Smells Like Green Spirit devine en filigranes... ou en lisant le pitch en 4e de couverture) et les rendre ainsi très intrigants à suivre. Mais il y a surtout tout le travail visuel d'une artiste qui, si elle avait déjà énormément séduit sur Smells Like Green Spirit, semble encore franchir un cap, dans une ambiance plutôt sombre, mélancolique et incertaine assez différente. La dessinatrice propose plein de petits partis pris graphiques, à commencer par les yeux parfois plus noirs, perçants et inquiétants de Nagisa laissant envisager sa face plus sombre, mais aussi, les silhouettes sombres et bulles noires et illisibles de Yamada quand il marmonne ses malédictions, ou encore les différents moments mettant en exergue, de façon plus ou moins prononcée, à quel points ses vieux démons l'habitent: son regard qui perce la noirceur de son visage, les poils/fils s'étendant hors de son corps, certains moment où sa silhouette humaine disparaît totalement... avec peut-être une mention spéciale aux quelques pages, à la fin du chapitre 5, où les poils prennent le dessus, où le découpage se déstructure, puis où une forme noire non-identifiée prend sa place, à l'instant même où il s'imagine commettre le pire sur Nagisa. Un moment symbolique mettant fortement en avant les démons qui sont en lui.

SI l'intrigue prend son temps, elle suscite déjà beaucoup d'intérêt grâce à ses parts sombres et nébuleuses. Et en attendant d'en découvrir plus, Saburo Nagai nous offre d'ores et déjà un travail d'orfèvre sur les plans narratif et visuel, avec une patte bien à elle et hautement artistique. Difficile de ne pas attendre la suite impatiemment.

Côté édition, on notera avant tout que Laurie Asin, traductrice sur Smell Like Green Spirit, a ici cédé sa place à Océane Tamalet, pour un résultat tout à fait honnête. Pour le reste, on a droit à un lettrage propre, à une qualité de papier et d'impression tout à fait honnête, à une première page en couleurs reprenant simplement l'illustration de la jaquette, et à une jaquette sobre qui se veut très proche de l'originale japonaise.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction