Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 22 Avril 2022
C'est un euphémisme de dire que depuis leur arrivée dans le manga en fin d'année 2020, les éditions Noeve Grafx n'ont déjà cessé de surprendre en bien, que ce soit en se lançant avec un chef d'oeuvre aussi atypique que Veil, en osant proposer des bijoux trop longtemps boudés dans notre pays comme Welcome to the Ballroom, et relançant la mangaka culte Yumi Tamura (bien trop méconnue dans notre pays depuis de nombreuses années) avec l'excellent Don't Call it Mystery... Et pour 2022, l'éditeur affiche des ambitions dingues (on pourrait même dire démesurées, au vu du nombre d'annonces si élevé qu'il sera impossible de suivre la cadence), parmi lesquelles le lancement, en ce mois d'avril, d'une nouvelle collection aussi intrigante que maligne, notamment parce qu'elle va à contre-courant du marché actuel en cassant les prix afin de faire connaître dans notre langue des oeuvres souvent longues et réputées qui, sans ça, ne seraient probablement jamais arrivées chez nous.
Cette collection, nommée XS, visera donc à enfin faire découvrir des séries parfois cultes, mais si particulières ou si longues que leur succès en France n'était pas garanti. Et pour ce faire, l'éditeur a pu négocier avec les ayant-droit japonais (en l'occurrence l'éditeur Kôdansha pour toutes les 9 premières séries concernées en cette année 2022) afin de concevoir une collection à petit prix: chaque tome coûte ainsi seulement 3,95€, sans limite dans le temps ! Pour ce faire, Noeve propose une fabrication sans jaquette, mais dont les couvertures ont des rabats, et avec un papier restant suffisamment qualitatif. L'éditeur promet aussi la présence des pages couleur des éditions japonaises quand il y en a (dans le cas présent, il y en a une au début), des effets de vernis sélectif sur les couvertures, et une impression recto verso de la couverture pour ne rien perdre des visuels de l'édition nippone. Enfin, les habituelles cartes Noeve Grafx (marque de fabrique de l'éditeur) seront, pour les séries de la collection XS, disponibles via l'échange de points de leur futur site Internet. Et autant le dire clairement: la qualité est largement là pour seulement 3,95€ ! Avec une conception soignée, un vernis sélectif attirant l'oeil, une maniabilité rendue excellente par la souplesse du papier opaque, et une qualité d'impression de fort bonne facture, Noeve a su rogner sur les choses moins essentielles (la sur-jaquette en tête) pour se faire plaisir et nous faire plaisir.
Pour la première fournée de trois titres lancée en ce printemps, l'éditeur nous invite ainsi à découvrir la comédie renommée Hôzuki le stoïque (alias Hôzuki no Reitetsu, un nom bien connu des fans d'animation), la tranche de vie fantastique Elegant Yokai Apartment Life (qui a aussi eu droit un anime), et, enfin la série qui nous intéresse aujourd'hui: la fresque SF Coppelion, riche de 26 tomes, qui fut initialement prépubliée au Japon de 2008 à début 2016, tout d'abord dans le Young Magazine avant d'être transférée en mai 2012 dans le Monthly Young Magazine. Coppelion fut la toute première série de Tomonori Inoue, un mangaka qui n'est pas inconnu en France puisque, depuis 2019, il nous régale aux éditions Casterman avec son manga d'action pulp Candy & Cigarettes, la deuxième série de sa carrière, qui a d'ailleurs trouvé sa conclusion au Japon en fin d'année dernière. Cette série de science-fiction était particulièrement espérée en France il y a quelques années, suite au joli petit succès rencontré par son adaptation animée en 2013, adaptation qui est sortie en France sur la plateforme ADN et en versions physiques DVD et Blu-ray chez Kazé.
Dans l'univers de Coppelion, un drame de grande ampleur s'est abattu sur Tokyo le 2 octobre 2016: suite à un séisme violent, la centrale nucléaire d'Odaiba s'est fissurée et la radioactivité s'est répandue en dévastant 90% de la population tokyoïte. Au fil du temps, Tokyo est devenue une véritable ville fantôme, rendue invivable par la radioactivité persistante. Et les secours ont beau avoir tâché d'envoyer de quoi subsister aux survivants les premières années, la mégalopole a, semble-t-il, perdu tout forme de vie humaine. Pourtant, 20 ans plus tard, en 2036, trois jeunes filles débarquent dans la grande ville fantomatique, et elles ont une mission claire: dénicher les survivants, et permettre de les sauver en les extrayant de cet enfer. En effet, depuis un mois, des signaux de S.O.S se sont multipliés à Tokyo... mais comment diable trois jeunes filles en tenues de lycéennes (ne vous demandez pas trop pourquoi elles sont vêtues ainsi) pourraient sauver ces gens ? Eh bien, c'est parce que Ibara Naruse, Aoi Fukasaku et Taeko Nomura , puisque c'est leur nom, ne sont pas des adolescentes comme les autres: ensemble, elles forment les Coppelion, à savoir une brigade spéciale de la 3e division des forces terrestres d'autodéfense, composée de ces trois adolescentes qui sont nées génétiquement modifiées avec des anticorps qui les immunisent contre la radioactivité.
Tomonori Inoue tire donc parti de la menace nucléaire nous pendant parfois au nez (l'auteur évoque Tchernobyl dans ce tome 1, et il aurait sans doute évoqué aussi Fukushima si ce drame avait déjà eu lieu à l'époque des débuts de la série), non sans appuyer brièvement un petit propos écolo sur l'horreur du nucléaire (une boîte de pandore ouverte par les humains, sans que personne ne sache vraiment comment la refermer), le tout afin de nous immiscer dans une ville de Tokyo devenue méconnaissable, fantomatique, post-apocalyptique, avec un rendu visuel que l'on peut d'emblée qualifier de très immersif: non seulement les décors sont omniprésents, mais en plus le mangaka s'applique vraiment à représenter la capitale nippone avec réalisme (nombre de bâtiments existent vraiment) tout en soignant le rendu post-apo entre des édifices mal en point, des rues désertes et une nature qui semble avoir repris ses droits.
C'est dans ce cadre que vont donc évoluer nos trois héroïnes, que l'on découvre avec plaisir dans les grandes lignes au fil du volume, entre la battante Ibara qui se pose un peu comme la leader, Taeko et son rapport particulier avec les animaux (elle est très attachée à eux, veut les soigner aussi, sait s'attirer leur sympathie), et une Aoi pour l'instant un peu plus en retrait mais qui séduit par ses côtés un peu plus "girly" et ses quelques brèves mésaventures un peu comiques (on ne peut pas dire que les rats ou les chauve-souris soient son fort). Elles forment une petite équipe qui s'annonce à la fois complémentaire et animée, et que l'on devrait sûrement suivre avec plaisir au fil de la série.
Mais dans l'immédiat, ce premier tome fait surtout office de mise en place, mais une mise en place déjà assez intrigante par différents aspects. En effet, les trois miss effectuent d'emblée des premières missions, mais celles-ci ne sont pas vraiment indépendantes et laissent déjà deviner en toile de fond une trame globale plus prégnante (pourquoi y a-t-il de nombreux signaux de S.O.S depuis seulement un mois alors qu'il n'y avait rien eu pendant 20 ans ? Que cachent éventuellement les survivants ?), en plus d'installer différentes données sur l'état de la ville (la nature y reprend ses droits, différents animaux s'y sont adaptés et certaines espèces ont même muté, certains édifices ont trouvé une nouvelle utilité à l'image de l'hippodrome transformé en cimetière de fortune...), mais aussi de distiller différentes thématiques. Sur ce dernier point, on pense à ce qu'on a déjà dit précédemment sur le nucléaire bien sûr, mais aussi aux quelques questionnements de nos héroïnes sur elles-mêmes (elles qui n'ont pas de parents et sont née in vitro dans un but précis, peuvent-elles se considérer comme vraiment humaines ou ne sont-elles que des poupées juste bonnes à servir le gouvernement ?), et à différents critères plus humains autour des personnes à sauver. par exemple, dans ce premier tome, les survivants rencontrés ont-ils tous forcément envie d'être extirpés de cette ville où ils ont vécu tant de choses ? Et les personnes qualifiées de criminels et de meurtriers peuvent-ils y trouver une nouvelle voie, une nouvelle vie, une rédemption ?
"Ces enfants peuvent marcher librement au milieu de la plus grande ville fantôme du monde."
Bref, Inoue installe d'emblée un univers, des sujets, des possibilités qui ont largement de quoi s'enrichir sur la longueur. Et pour porter le tout, il peut s'appuyer sur un coup de crayon rudement efficace. Si l'on a déjà évoqué ses excellents décors, on peut aussi souligner l'efficacité de sa mise en scène pleine de dynamisme, avec des angles de vue souvent pertinents et même pas mal de chouettes petites idées (par exemple, les vues depuis l'intérieur du masque de certains survivants).
Qui plus est porté par une traduction bien vivante et très claire de l'expérimenté Frédéric Malet, Coppelion démarre donc sous les meilleurs auspices. On pourra éventuellement se demander comment l'oeuvre évoluera et se renouvellera sur tout de même 26 volumes, mais le mangaka a toute notre confiance !
Cette collection, nommée XS, visera donc à enfin faire découvrir des séries parfois cultes, mais si particulières ou si longues que leur succès en France n'était pas garanti. Et pour ce faire, l'éditeur a pu négocier avec les ayant-droit japonais (en l'occurrence l'éditeur Kôdansha pour toutes les 9 premières séries concernées en cette année 2022) afin de concevoir une collection à petit prix: chaque tome coûte ainsi seulement 3,95€, sans limite dans le temps ! Pour ce faire, Noeve propose une fabrication sans jaquette, mais dont les couvertures ont des rabats, et avec un papier restant suffisamment qualitatif. L'éditeur promet aussi la présence des pages couleur des éditions japonaises quand il y en a (dans le cas présent, il y en a une au début), des effets de vernis sélectif sur les couvertures, et une impression recto verso de la couverture pour ne rien perdre des visuels de l'édition nippone. Enfin, les habituelles cartes Noeve Grafx (marque de fabrique de l'éditeur) seront, pour les séries de la collection XS, disponibles via l'échange de points de leur futur site Internet. Et autant le dire clairement: la qualité est largement là pour seulement 3,95€ ! Avec une conception soignée, un vernis sélectif attirant l'oeil, une maniabilité rendue excellente par la souplesse du papier opaque, et une qualité d'impression de fort bonne facture, Noeve a su rogner sur les choses moins essentielles (la sur-jaquette en tête) pour se faire plaisir et nous faire plaisir.
Pour la première fournée de trois titres lancée en ce printemps, l'éditeur nous invite ainsi à découvrir la comédie renommée Hôzuki le stoïque (alias Hôzuki no Reitetsu, un nom bien connu des fans d'animation), la tranche de vie fantastique Elegant Yokai Apartment Life (qui a aussi eu droit un anime), et, enfin la série qui nous intéresse aujourd'hui: la fresque SF Coppelion, riche de 26 tomes, qui fut initialement prépubliée au Japon de 2008 à début 2016, tout d'abord dans le Young Magazine avant d'être transférée en mai 2012 dans le Monthly Young Magazine. Coppelion fut la toute première série de Tomonori Inoue, un mangaka qui n'est pas inconnu en France puisque, depuis 2019, il nous régale aux éditions Casterman avec son manga d'action pulp Candy & Cigarettes, la deuxième série de sa carrière, qui a d'ailleurs trouvé sa conclusion au Japon en fin d'année dernière. Cette série de science-fiction était particulièrement espérée en France il y a quelques années, suite au joli petit succès rencontré par son adaptation animée en 2013, adaptation qui est sortie en France sur la plateforme ADN et en versions physiques DVD et Blu-ray chez Kazé.
Dans l'univers de Coppelion, un drame de grande ampleur s'est abattu sur Tokyo le 2 octobre 2016: suite à un séisme violent, la centrale nucléaire d'Odaiba s'est fissurée et la radioactivité s'est répandue en dévastant 90% de la population tokyoïte. Au fil du temps, Tokyo est devenue une véritable ville fantôme, rendue invivable par la radioactivité persistante. Et les secours ont beau avoir tâché d'envoyer de quoi subsister aux survivants les premières années, la mégalopole a, semble-t-il, perdu tout forme de vie humaine. Pourtant, 20 ans plus tard, en 2036, trois jeunes filles débarquent dans la grande ville fantomatique, et elles ont une mission claire: dénicher les survivants, et permettre de les sauver en les extrayant de cet enfer. En effet, depuis un mois, des signaux de S.O.S se sont multipliés à Tokyo... mais comment diable trois jeunes filles en tenues de lycéennes (ne vous demandez pas trop pourquoi elles sont vêtues ainsi) pourraient sauver ces gens ? Eh bien, c'est parce que Ibara Naruse, Aoi Fukasaku et Taeko Nomura , puisque c'est leur nom, ne sont pas des adolescentes comme les autres: ensemble, elles forment les Coppelion, à savoir une brigade spéciale de la 3e division des forces terrestres d'autodéfense, composée de ces trois adolescentes qui sont nées génétiquement modifiées avec des anticorps qui les immunisent contre la radioactivité.
Tomonori Inoue tire donc parti de la menace nucléaire nous pendant parfois au nez (l'auteur évoque Tchernobyl dans ce tome 1, et il aurait sans doute évoqué aussi Fukushima si ce drame avait déjà eu lieu à l'époque des débuts de la série), non sans appuyer brièvement un petit propos écolo sur l'horreur du nucléaire (une boîte de pandore ouverte par les humains, sans que personne ne sache vraiment comment la refermer), le tout afin de nous immiscer dans une ville de Tokyo devenue méconnaissable, fantomatique, post-apocalyptique, avec un rendu visuel que l'on peut d'emblée qualifier de très immersif: non seulement les décors sont omniprésents, mais en plus le mangaka s'applique vraiment à représenter la capitale nippone avec réalisme (nombre de bâtiments existent vraiment) tout en soignant le rendu post-apo entre des édifices mal en point, des rues désertes et une nature qui semble avoir repris ses droits.
C'est dans ce cadre que vont donc évoluer nos trois héroïnes, que l'on découvre avec plaisir dans les grandes lignes au fil du volume, entre la battante Ibara qui se pose un peu comme la leader, Taeko et son rapport particulier avec les animaux (elle est très attachée à eux, veut les soigner aussi, sait s'attirer leur sympathie), et une Aoi pour l'instant un peu plus en retrait mais qui séduit par ses côtés un peu plus "girly" et ses quelques brèves mésaventures un peu comiques (on ne peut pas dire que les rats ou les chauve-souris soient son fort). Elles forment une petite équipe qui s'annonce à la fois complémentaire et animée, et que l'on devrait sûrement suivre avec plaisir au fil de la série.
Mais dans l'immédiat, ce premier tome fait surtout office de mise en place, mais une mise en place déjà assez intrigante par différents aspects. En effet, les trois miss effectuent d'emblée des premières missions, mais celles-ci ne sont pas vraiment indépendantes et laissent déjà deviner en toile de fond une trame globale plus prégnante (pourquoi y a-t-il de nombreux signaux de S.O.S depuis seulement un mois alors qu'il n'y avait rien eu pendant 20 ans ? Que cachent éventuellement les survivants ?), en plus d'installer différentes données sur l'état de la ville (la nature y reprend ses droits, différents animaux s'y sont adaptés et certaines espèces ont même muté, certains édifices ont trouvé une nouvelle utilité à l'image de l'hippodrome transformé en cimetière de fortune...), mais aussi de distiller différentes thématiques. Sur ce dernier point, on pense à ce qu'on a déjà dit précédemment sur le nucléaire bien sûr, mais aussi aux quelques questionnements de nos héroïnes sur elles-mêmes (elles qui n'ont pas de parents et sont née in vitro dans un but précis, peuvent-elles se considérer comme vraiment humaines ou ne sont-elles que des poupées juste bonnes à servir le gouvernement ?), et à différents critères plus humains autour des personnes à sauver. par exemple, dans ce premier tome, les survivants rencontrés ont-ils tous forcément envie d'être extirpés de cette ville où ils ont vécu tant de choses ? Et les personnes qualifiées de criminels et de meurtriers peuvent-ils y trouver une nouvelle voie, une nouvelle vie, une rédemption ?
"Ces enfants peuvent marcher librement au milieu de la plus grande ville fantôme du monde."
Bref, Inoue installe d'emblée un univers, des sujets, des possibilités qui ont largement de quoi s'enrichir sur la longueur. Et pour porter le tout, il peut s'appuyer sur un coup de crayon rudement efficace. Si l'on a déjà évoqué ses excellents décors, on peut aussi souligner l'efficacité de sa mise en scène pleine de dynamisme, avec des angles de vue souvent pertinents et même pas mal de chouettes petites idées (par exemple, les vues depuis l'intérieur du masque de certains survivants).
Qui plus est porté par une traduction bien vivante et très claire de l'expérimenté Frédéric Malet, Coppelion démarre donc sous les meilleurs auspices. On pourra éventuellement se demander comment l'oeuvre évoluera et se renouvellera sur tout de même 26 volumes, mais le mangaka a toute notre confiance !