Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 11 Mars 2025
Ces dernières années, Monday Recover est sans nul doute devenue l'une des figures emblématiques de la création en format manga à Taïwan, chose que les éditions Nazca ont comprise en publiant en été 2023 et en fin d'année 2024 ses très belles oeuvres Pink Ribbon et Sea you there and us, puis en invitant l'artiste à Bruxelles en ce mois de mars pour la Foire du Livre. Mais n'oublions pas qu'avant ça, ce sont les éditions Mahô qui nous ont permis de découvrir cette autrice en langue française, tout d'abord en janvier 2021 avec l'ouvrage 9 Lives Man – Un amour à sens unique, puis en mai 2022 avec le recueil qui nous intéresse ici : Contes merveilleux du printemps, un album de près de 240 pages (en comptant le bonus) au fil duquel Monday Recover adapte quatre nouvelles de Shuang-tzu Yang, et qui a vu le jour dans son pays d'origine en 2020.
Née dans une famille dont les membres héritent souvent de l'étrange pouvoir de voir les esprits, la jeune Yingzi a noué une surprenante amitié avec le fantôme de Yong'en, une fille décédée à seulement 16 ans, qui s'est "mariée" avec le grand-oncle de notre héroïne (c'est ce qu'on appelle un mariage avec un esprit) et qui ne sait pas pourquoi elle erre encore dans le monde des vivants. Yong'en finira-t-elle alors, un jour, par retrouver la mémoire et comprendre pourquoi elle est là ? Et si ça devait arriver, les deux amies supporteront-elles la séparation ?
Le jeune Mingzheng, de son côté, a depuis peu une perceptrice qui n'est autre que sa cousine Hezhou. Cette dernière semble cependant bien plus proche de Mari qui vit là aussi... Et surtout, depuis qu'elle arrivée à la maison, des événements étranges ont lieu, notamment des apparitions invraisemblables. Ces événements seraient-ils liés à un souhait profond que les deux jeunes filles veulent voir se réaliser ?
Quant à Dongyushe, on dit de lui qu'il est particulièrement gâté en étant entouré de deux magnifiques perles: sa fille unique Yansheng et sa jeune concubine Lanying. Mais quel lien unit réellement ces deux filles ? Et les rumeurs disant que cette famille est hantée par des fantômes sont-elles vraies ?
Enfin, une femme férue de yôkais et autres créatures légendaires a lié une certaine amitié via internet avec une certaine Amao, une fille qui en connaît un rayon sur les yôkais. Désormais, elles ont décidé de se voir en vrai de façon temporaire, pour enquêter ensemble sur l'un de ces êtres que l'on appelle "le passeur de chemins" et ainsi nourrir leurs écrits. A cette occasion, notre héroïne pourra-t-elle en apprendre davantage sur la très secrète Amao ?
Telles sont les bases de chacune des quatre histoires de ce recueil, sur lesquelles nous restons volontairement assez vagues afin de ne pas spoiler. Mais si quatre histoires distinctes sont au programme, celles-ci restent liées par des éléments similaires: elles se déroulent toutes au printemps mais à des périodes différentes, ont toutes (comme le nom du livre l'indique) une part de merveilleux/fantastique plus ou moins prononcée et impactante, mettent toutes en scène des duos principaux exclusivement féminins et dont les relations sont assez diverses (là aussi, c'est un habitude chez Monday Recover, qui se focalisait aussi sur des duos de filles dans Pink Ribbon et Sea you there and us)... Mais sans doute aura-t-on encore plus envie de retenir une certaine thématique commune autour de l'émancipation féminine, puisque ces héroïnes cherchent généralement à échapper à la condition que l'on (principalement leur famille où il est souvent question d'héritage) veut leur imposer, notamment à travers le mariage ou l'éducation.
Les idées sont là, et on parcourt chacune de ces histoires avec plaisir, d'autant plus que globalement Monday Recover démontre encore ses qualités sur le plan graphique: bien que certaines silhouettes soient parfois pus relâchées, l'autrice nous gratifie régulièrement de superbes compositions mettant en valeur à la fois ses designs purs et expressifs, ses élans fantastiques et ses décors capables d'être foisonnants.
Néanmoins, il faut bien avouer que si l'on se perd volontiers dans l'admiration des planche de l'artiste, on se perd malheureusement aussi par moments dans ses histoires qui ne sont pas toujours parfaitement limpides. Est-ce la faute au format court des récits qui aurait obligé Monday Recover à aller trop vite en besogne ? A une traduction éventuellement un peu maladroite de la part de Roxane Gardeil du Studio Makma (elle ne semble pas foncièrement mauvaise, mais elle est parfois peu naturelle dans les échanges et plombée par des coquilles d'inattention trop régulières) ? A des références très taïwanaises qui pourraient nous échapper ? A un peu tout ça à la fois ? Difficile à dire.
Mais malgré ces limites, il reste que Contes merveilleux du printemps est un ouvrage assez joli et très intéressant dans ses idées et dans ses sujets. Qui plus est, au-delà des quelques réserves que l'on a pu émettre à l'égard de la traduction, l'édition française est tout à fait honnête avec une sobre et belle jaquette, une jolie page en couleur sur papier glacé en début d'ouvrage, un papier un peu transparent mais assez épais et plutôt agréable, une qualité d'impression très correcte, et un lettrage assez propre de la part de Bruno Durand de No Hit Studio.