Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 14 Décembre 2021
Depuis le lancement simultané des séries Baron et Billy the Kid 21 en juin 2018, Noboru Rokuda a su s'installer comme un auteur assez emblématique des éditions Black Box. Au fil d'oeuvres assez variées (la science-fiction de Baron et l'excellent western à connotation historique Billy the Kid 21 donc, mais aussi le conte fantastique Cura reprenant le mythe du vampire à sa sauce, le thriller vaguement social Ces jours d'allégresse, et le récit noir A mon très cher M), cet ancien assistant de Naoki Urasawa a bien souvent su nous intéresser, si bien que l'on attendait avec curiosité et une certaine impatience son retour chez l'éditeur. Deux ans après la sortie française des trois tomes de Cura en décembre 2019, c'est désormais chose faite avec le lancement de Cinema, une oeuvre bouclée en 4 volumes et dont les deux premiers opus sont sortis dans notre langue fin novembre !
Au Japon, Cinema est une oeuvre que Rokuda dessina en 1998-1999 pour les éditions Shôgakukan. On y suit l'arrivée, dans la ville d'Enoshima, d'un homme quelque peu particulier: Sabani, qui, depuis sa plus tendre enfance, filme tout ce qu'il voit et vit grâce à une caméra qui, en étant ficelée autour de son épaule, ne le quitte jamais. Ce chasseur d'images ne semble vivre que pour une chose: capter sur son écran d'authentiques moments d'intensité... quitte à les provoquer lui-même, comme il le montrera dès l'introduction tonitruante où il cherche querelle à des hommes du gang mafieux local. Et si Sabani est venu faire escale à Enoshima, ce n'est pas pour rien: il compte bien sauver le cinéma à répertoire de la cité, qui, avec sa programmation de films "radicaux" (comprendre par-là, loin d'être tout public et ayant une vision affirmée de la part du réalisateur), son emplacement difficile d'accès (en haut d'une colline), son confort "d'époque" (loin de toute modernité, donc) et son aspect délabré, n'attire quasiment plus personne, au grand dam des 4 personnes qui y travaillent.
Voilà pour les grandes lignes de départ d'un récit qui, très vite, va adopter un schéma assez simple où, ici, Sabani et les 4 employés du cinéma, par la force des choses, pour sauver l'endroit voire pour se sauver eux-mêmes (car au départ, le dirigeant du cinéma a des dettes auprès des yakuzas), sont amenés à réaliser deux premiers films par l'intermédiaire de la caméra de notre héros, à savoir un film captant à leur insu des instants de bagarres et autres joyeusetés du clan mafieux de la cité, puis un long-métrage devant secouer la relation difficile entre une frère et une soeur. Et autant dire que pour secouer, Sabani secoue ! Mû par des méthodes pouvant apparaître tout à fait discutables et qui pourront éventuellement le faire apparaître un brin antipathique parfois (il est intrusif, filme les yakuzas sans leur autorisation, pousse le frère et la soeur dans leurs derniers retranchements dans une scène incitant au viol qui aurait pu totalement déraper s'il s'était trompé sur le compte de ces deux-là...), le bonhomme, sous couvert de toujours rechercher l'intensité chez les gens qu'il filme, parvient surtout à les capter sur sa pellicule quand ils sont les plus vrais, les plus sincères: les yakuzas sont ainsi vus dans des scènes plus quotidiennes voire bon enfant entre deux mandales, tandis que le duo frère/soeur de la deuxième moitié du tome finit enfin par réussir à extérioriser leurs démons pour mieux être franc face à un amour tabou.
En somme, le mangaka parvient assez efficacement à déjouer les attentes via son personnage principal, pour mieux prendre à contrepied le lecteur, et avec un certain désir de la déstabiliser via un ton qui, alors qu'il est parfois question de sujets très sérieux voire graves (viol, inceste...), se permet pas mal de notes d'humour à travers la personnalité vraiment atypique de Sabani. Le récit peut donc apparaître à la fois assez sombre et plutôt humoristique sur une même page, équilibre délicat qu'il faut parvenir à trouver... et c'est peut-être sur ce point précis que Noboru Rokuda est le moins convaincant, car parfois cet équilibre est difficilement trouvé. Cependant, dans l'ensemble cela n'a vraiment pas de quoi rebuter énormément, et ce sera surtout une question de goûts. A part ça, on appréciera également d'avoir déjà quelques détails disséminés sur le parcours de Sabani, de voir Rokuda effectuer quelques clins d'oeil cinématographiques (à La Mort aux trousses de Hitchock, à Takeshi Kitano...) et explorer ici deux genres différents (le film de yakuzas, puis le drame passionnel), et enfin de retrouver son dessin assez reconnaissable et surtout porté par les designs tous bien différents et expressifs de ses personnages.
A l'arrivée, la série devra confirmer par la suite (surtout dans son équilibre gravité/humour), mais pique la curiosité comme il se doit à travers ce premier volume. Avec son concept de départ intrigant, son personnage principal sortant des sentiers battus et son rythme mine de rien assez soutenu, Cinema a de quoi se bonifier, donc espérons que ce sera le cas !
Du côté de l'édition française, enfin, il n'y a rien à reprocher: le papier et l'impression sont de bonne qualité, la traduction d'Alexandre Goy est fluide et assez truculente (ce qui colle bien au personnage de Sabani), le lettrage de Mathilda Rousseau est soigné, et la couverture (elle aussi conçue par Mathilda Rousseau) est propre et bien dans le thème avec son logo-titre entourée de bords de pellicules de cinéma.
Au Japon, Cinema est une oeuvre que Rokuda dessina en 1998-1999 pour les éditions Shôgakukan. On y suit l'arrivée, dans la ville d'Enoshima, d'un homme quelque peu particulier: Sabani, qui, depuis sa plus tendre enfance, filme tout ce qu'il voit et vit grâce à une caméra qui, en étant ficelée autour de son épaule, ne le quitte jamais. Ce chasseur d'images ne semble vivre que pour une chose: capter sur son écran d'authentiques moments d'intensité... quitte à les provoquer lui-même, comme il le montrera dès l'introduction tonitruante où il cherche querelle à des hommes du gang mafieux local. Et si Sabani est venu faire escale à Enoshima, ce n'est pas pour rien: il compte bien sauver le cinéma à répertoire de la cité, qui, avec sa programmation de films "radicaux" (comprendre par-là, loin d'être tout public et ayant une vision affirmée de la part du réalisateur), son emplacement difficile d'accès (en haut d'une colline), son confort "d'époque" (loin de toute modernité, donc) et son aspect délabré, n'attire quasiment plus personne, au grand dam des 4 personnes qui y travaillent.
Voilà pour les grandes lignes de départ d'un récit qui, très vite, va adopter un schéma assez simple où, ici, Sabani et les 4 employés du cinéma, par la force des choses, pour sauver l'endroit voire pour se sauver eux-mêmes (car au départ, le dirigeant du cinéma a des dettes auprès des yakuzas), sont amenés à réaliser deux premiers films par l'intermédiaire de la caméra de notre héros, à savoir un film captant à leur insu des instants de bagarres et autres joyeusetés du clan mafieux de la cité, puis un long-métrage devant secouer la relation difficile entre une frère et une soeur. Et autant dire que pour secouer, Sabani secoue ! Mû par des méthodes pouvant apparaître tout à fait discutables et qui pourront éventuellement le faire apparaître un brin antipathique parfois (il est intrusif, filme les yakuzas sans leur autorisation, pousse le frère et la soeur dans leurs derniers retranchements dans une scène incitant au viol qui aurait pu totalement déraper s'il s'était trompé sur le compte de ces deux-là...), le bonhomme, sous couvert de toujours rechercher l'intensité chez les gens qu'il filme, parvient surtout à les capter sur sa pellicule quand ils sont les plus vrais, les plus sincères: les yakuzas sont ainsi vus dans des scènes plus quotidiennes voire bon enfant entre deux mandales, tandis que le duo frère/soeur de la deuxième moitié du tome finit enfin par réussir à extérioriser leurs démons pour mieux être franc face à un amour tabou.
En somme, le mangaka parvient assez efficacement à déjouer les attentes via son personnage principal, pour mieux prendre à contrepied le lecteur, et avec un certain désir de la déstabiliser via un ton qui, alors qu'il est parfois question de sujets très sérieux voire graves (viol, inceste...), se permet pas mal de notes d'humour à travers la personnalité vraiment atypique de Sabani. Le récit peut donc apparaître à la fois assez sombre et plutôt humoristique sur une même page, équilibre délicat qu'il faut parvenir à trouver... et c'est peut-être sur ce point précis que Noboru Rokuda est le moins convaincant, car parfois cet équilibre est difficilement trouvé. Cependant, dans l'ensemble cela n'a vraiment pas de quoi rebuter énormément, et ce sera surtout une question de goûts. A part ça, on appréciera également d'avoir déjà quelques détails disséminés sur le parcours de Sabani, de voir Rokuda effectuer quelques clins d'oeil cinématographiques (à La Mort aux trousses de Hitchock, à Takeshi Kitano...) et explorer ici deux genres différents (le film de yakuzas, puis le drame passionnel), et enfin de retrouver son dessin assez reconnaissable et surtout porté par les designs tous bien différents et expressifs de ses personnages.
A l'arrivée, la série devra confirmer par la suite (surtout dans son équilibre gravité/humour), mais pique la curiosité comme il se doit à travers ce premier volume. Avec son concept de départ intrigant, son personnage principal sortant des sentiers battus et son rythme mine de rien assez soutenu, Cinema a de quoi se bonifier, donc espérons que ce sera le cas !
Du côté de l'édition française, enfin, il n'y a rien à reprocher: le papier et l'impression sont de bonne qualité, la traduction d'Alexandre Goy est fluide et assez truculente (ce qui colle bien au personnage de Sabani), le lettrage de Mathilda Rousseau est soigné, et la couverture (elle aussi conçue par Mathilda Rousseau) est propre et bien dans le thème avec son logo-titre entourée de bords de pellicules de cinéma.