Chefs d'oeuvre de Junji Ito (les) Vol.1 - Actualité manga

Chefs d'oeuvre de Junji Ito (les) Vol.1 : Critiques

Itô Junji Jisen Kessakushû

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 15 Décembre 2021

Les jeunes éditions Mangetsu ont fait de l'un des maîtres du manga d'horreur une figure de proue de son catalogue. Après une imposante intégrale de Tomie et une édition physique de Sensor dans de luxueux écrins, la collection dédiée à Junji Ito s'enrichie d'une courte série d'ouvrages dédiée à certaines des histoires courtes de l'artiste, celles que l'on peut qualifier de « chefs d'œuvre ».

Différent des Junji Ito Manga Collection qui furent autrefois distribué sous le label Tonkam, "Les Chefs d'oeuvre de Junji Ito" consiste en un diptyque réunissant des histoires du mangaka, sélectionnées par ses soins. Espacés dans le temps, les deux opus furent respectivement publiés au Japon en 2015 et 2018 sous l'intitulé "Ito Junji Issen Kessakushû", soit littéralement « Collection de chefs d'œuvre auto-sélectionnés par Junji Ito ». Deux opus récents donc, idéals pour garnir la collection de Mangetsu.

Dans ce premier opus (sur deux), place à dix premiers récits que le maître a choisi non sans une certaine nostalgie. Car en plus de sélectionner plusieurs de ses propres travaux, le mangaka a écrit un commentaire pour chacun d'entre eux, allant parfois jusqu'à piocher dans ses archives de carnets de note. Plus qu'une banale sélection d'histoires courtes, nous voilà face à un best-of assez personnel, d'autant plus que Junji Ito se livre en quelques lignes sur l'exercice via une postface où l'affection de l'artiste pour ses récits (datant parfois de plus de 20 ans) se fait ressentir.
Et puisqu'on parle des personnes qui s'expriment à travers ce volet, deux nouvelles personnalités ont été sélectionnées par l'éditeur français afin qu'elles s'expriment sur l'art terrifiant du mangaka. En préface, l'analyste Alt236 livre une vision de son ressenti des œuvres d'Ito tout à fait intéressante, quand l'auteur Morolian achève la lecture par une analyse du style du maître avec références et précisions. Deux suppléments appréciables pour des visions variées des univers que nous offre l'un des maestros du manga d'angoisse, d'horreur et d'épouvante.

Ces histoires horrifiques n'étant pas nouvelles, les lecteur.ices ayant suivi les parutions d'autrefois de Tonkam ne découvriront rien de nouveau en ces pages, bien qu'il subsiste le plaisir de retrouver certains de ces récits dans une superbe qualité d'édition. Mais pour celui et ou celle qui découvre en profondeur l'artiste grâce aux nouvelles parutions, autant dire que ce premier recueil est un condensé de plaisir, exhaustif puisqu'il sélectionne des intrigues aux tons variés, et addictif tant chaque chapitre a la capacité de se renouveler et à dépeindre l'horreur sous des angles bien différents. De la figure du monstre avec le mannequin aux phénomènes surnaturels grâce aux ballons voleurs de vie ou le syndrome des rêves sans fin, la capacité infinie de Junji Ito à explorer de nouveaux horizons se ressent très clairement. Et au-delà d'un nuancier d'angoisses que le pavé est capable de procurer, c'est aussi l'écriture de l'artiste qui est apte de nous marquer. Ici, pas question d'éclaircir simplement un mystère, voire même de présenter des fins fermes qui stopperaient le pouvoir de l'imagination. Au contraire, le doute plane sans cesse dans cette dizaines de scénarios, tant dans l'origine des événements ou des créatures que dans le sort qui attend, parfois, certains personnages. Que deviennent-il après les quelques pages qui leur sont consacrées ? Pourquoi de tels phénomènes ont-ils lieu ? C'est bien parce que nous n'avons pas de réponse que l'effet est décuplé, et que certains récits nous restent en tête même après avoir parcouru le recueil.

A ceci se couple la patte si reconnaissable du maître, à commencer par ses personnages qu'on reconnaît entre mille. Mais outre l'esthétique de ces figures, la représentation visuelle que revêt ces diverses formes d'horreur est apte à nous marquer à jamais. Si le design des personnages a un quelque chose de sobre, ce n'est pas le cas des élans monstrueux de ces histoires capables de nous surprend comme un screamer bien planté d'un film d'horreur. A ces moment, le lecteur sort de sa routine ou de l'angoisse simplement procurée par l'ambiance. L'horreur devient alors frontale et viscérale, capable de nous fasciner comme de nous terroriser. On ne donnera pas d'exemple pour ne pas mettre la puce à l'oreille tant chacun de ces instants de frisson mérite d'être découvert avec un regard neuf.

Il restera alors une toute petite réserve que pourront avoir les fidèles de la collection Ito de l'éditeur, la répétition d'une histoire centrée sur Tomie déjà présente dans l'intégrale. Le doublon était presque inévitable dès lors que ce diptyque d'ouvrages était de la partie, et amputer tout un récit aurait été malvenu.

Mangetsu ne s'est donc pas trompé en proposant cette série de deux recueils compilant les histoires courtes de Junji Ito. On apprécie alors un premier volume si varié que la lecture en devient addictive, et l'horreur à la fois savoureuse et perturbante. Le tout appuyé, une nouvelle fois, par une qualité d'édition tout à fait exemplaire : Mangetsu réitère avec les critères de Tomie et de Sensor, à savoir un grand format, une couverture rigide et un papier plus épais et idéal que ce qu'on a vu sur Tomie (ce qui pouvait se justifier par l'épaisseur du pavé en ce qui concerne le recueil dédié à la « beauté fatale » du maître). La couverture, d'un papier mât au grain tout particulier, profite toujours d'un bel effet de dorure à chaud, cette fois bleuté. Il convient d'ailleurs de noter que l'éditeur livre toutes les indications techniques sur la conception de l'ouvrage, un plus indéniable pour le lectorat qui aimerait poser certains terme sur les matériaux et procédés employés.

Saluons aussi le très bon travail de traduction d'Anaïs Koechlin qui montre une aisance dans sa capacité à livrer des dialogues dégageant une partie des auras horrifiques des récits. Côté lettrage, le très efficace Black Studio livre un travail propre tandis que Tom « Spade » Bertrand fait un excellent travail de maquette de couverture, appuyé par un bien joli logo utilisant l'un des symboles horrifiques de l'ouvrage (on vous laissera deviner lequel).
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs