Cauchemars de Mimi (les) - Actualité manga
Cauchemars de Mimi (les) - Manga

Cauchemars de Mimi (les) : Critiques

Mimi no Kaidan

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 30 Octobre 2023

Après l'excellent Fragments d'horreur en juillet et le sympathique mais un peu plus lassant L'école décomposée en septembre, les éditions Mangetsu continue, en cette fin de mois d'octobre, de nous offrir notre dose de récits inédits en France de Junji Ito, pour notre plus grand bonheur. Avec Les Cauchemars de Mimi, alias Mimi no Kaidan en version originale, on a droit à un recueil d'histoires courtes où Ito reprend très librement (comme il l'avoue dans ses postfaces) le roman horrifique (inédit en France) Shin Mimibukuro où les auteurs Hirokatsu Kihara et Ichiro Nakayama compilent des "histoires vraies" angoissantes, faites de légendes urbaines que généralement eux-mêmes auraient vécues. Initialement prépubliées au Japon entre juin 2002 et avril 2003 pour le magazine Comic Flapper de l'éditeur Media Factory, elles furent ensuite regroupées dans un recueil dans la foulée. Puis ce recueil fut réédité en une édition deluxe chez Asahi Shinbun en janvier 2022 en étant ponctué d'une histoire courte datant de septembre 2007, "Pantin hanté", qui n'a aucun lien avec les mésaventures de l'adorable Mimi mais qui s'avèrera elle aussi sympathique avec son histoire de silhouette noire et de voix sinistre sous un fusuma qui semblent poursuivre et hanter l'héroïne au fil des ans. C'est évidemment sur le matériel de cette nouvelle édition enrichie qu'est basée l'édition française.

Le concept de base de ce recueil est assez simple: on suit tout simplement le quotidien censé être ordinaire d'une étudiante nommée Mimi, à ceci près que la pauvre jeune fille semble avoir un don pour attirer sur elle les événements inquiétants qui surpassent bien souvent la normalité pour 'emmener aux frontières du paranormal. Les deux récits ouvrant et refermant ses aventures, en ne durant que 4 pages chacune pour juste proposer une observation étrange (une silhouette sinistre perchée en haut d'un poteau par temps de pluie, et un écriteau dont l'ombre a étrangement forme humaine, sans la moindre bribe d'explication et c'est tant mieux), ne semblent presque là que pour entourer les six autres histoires, plus longues même si elles restent de tailles variables. Dans chacune d'elles, tout commencer normalement pour la jeune fille, avec des instants de vie à même d'animer n'importe quel quotidien: une dispute avec son voisin qui met trop fort sa musique, un déménagement, une promenade en forêt avec son petit ami Naoto, un séjour à la mer avec ce dernier et deux de ses potes Tanaka et Furusawa, une visite à sa famille, une dispute avec Naoto... mais c'est après que les choses se gâtent avec des événements de base un brin inquiétants qui, petit à petit, s'enfoncent bien plus dans une sinistre étrangeté.

Ainsi, quand Mimi se questionne sur une mystérieuse voisine qu'on n'entend jamais, qui ne parle jamais et qui est entièrement vêtue de noir, elle n'a encore aucune idée de ce qu'est en réalité cette voisine. Quand elle découvre une femme pendue de façon bizarre (comment a-t-elle pu se pendre seule dans ces conditions ?), elle a la désagréable impression que des choses invisibles tombent de son cadavre et que le corps de la morte la suite du regard. Quand elle déménage devant un cimetière, bien des surprises l'attendent la nuit. Quand elle et les garçons rencontrent une magnifique mais sinistre serveuses à la mer, personne ne peut imaginer quel effet ses dires auront sur Furusawa. Quand elle doit prendre soin d'une petite fille temporairement recueillie par ses parents et que des tâches noires étranges se mettent à apparaître comme par magie autour de la fillette et sur elle, jamais elle ne pourrait concevoir ce que ça cache en réalité. Et quand elle suit son amie Misa jusqu'à la maison de ses grands-parents pour y découvrir une bien étrange pièce souterraine et hermétique où les gens semblent disparaître, elle n'a aucune idée de ce qui l'attend derrière ça.

Toute la magie angoissante de ces différentes histoires est peut-être là: à partir d'un fait du quotidien normalement banal, Ito instaure un premier facteur d'inquiétude se présentant devant Mimi et son entourage, pour ensuite rebondir sur un autre climax angoissant qui y est lié, en donnant lieu à une lente montée en puissance de chaque récit. C'est d'autant plus efficace que l'on s'attache facilement à l'héroïne récurrente qu'est Mimi, qu'Ito a entièrement inventée pour l'occasion (elle n'existe pas dans le roman d'origine), qui est une belle jeune fille aux cheveux longs et lisses comme le mangaka aime souvent en dessiner, et que l'on suit au plus près au fur et à mesure de ses descentes vers des choses toujours plus sinistres dans chacune de ses mésaventures.

Qui plus est, ces mésaventures allant crescendo jouent sur différents créneaux, dans la mesure où elles peuvent avoir des origines très différentes: du purement inexplicable, des drames humains, voire des humains eux-mêmes via certaines émotions négatives (la jalousie amoureuse dans l'un des récits, notamment). Et à ce titre, deux histoires en particulier sortent peut-être un peu plus du lot: "La Plage" et "Seules", non seulement parce que les drames étant à l'origine des étrangetés sinistres apportent une touche de tragédie humaine assez forte, mais aussi parce que Mimi ne peut qu'être la spectatrice incompréhensive voire impuissante face à ce qui arrive à Furusawa et à la petite Kei, initialement les personnes directement concernées par l'angoisse et la terreur qui s'abattent sur eux.

A part ça, il y a bien d'autres petites choses a souligner et puisant dans les qualités visuelles et narratives d'Ito. Bien sûr, il y a son dessin d'une incroyable maîtrise, ces récits datant du début des années 2000 qui est l'une des périodes les plus fastes de l'artiste, le mangaka livrant quelques merveilles naturellement sinistres, à l'image de cette double-page nous montrant la plage dans l'obscurité, où l'on ne voit rien de ce que Furusawa, paniqué, est le seul à percevoir. D'ailleurs, comment c'est régulièrement le cas avec Junji Ito, l'angoisse est moins souvent dans ce qui est montré que dans ce que l'on ne voit pas et est donc laissé à l'imagination du lecteur. Le mangaka joue également très bien avec d'autres de nos sens: il n'a peut-être jamais aussi bien utilisé les onomatopées que dans certaines des histoires de ce recueil, où les sons aux origines floues sont particulièrement sources d'angoisse. Enfin, Ito sait également jouer malicieusement, par moments, sur notre désir d'en savoir plus même si ça pourrait nous angoisser de plus belle, en nous faisant accompagner Mimi dans certains de ses choix, comme dans la première histoire où, à l'instar de la jeune fille, on a envie de voir ce qui se passe de l'autre côté du trou dans le mur.

En somme, Les Cauchemars de Mimi est une belle réussite dans la riche carrière angoissante de Junji Ito. Bien que, cette fois-ci, il n'invente pas les légendes urbaines et autres sources d'angoisse qu'il dessine, le maître de l'étrange se réapproprie pleinement, librement, différentes histoires du roman d'origine pour nous en offrir des visions personnelles et abouties.

De plus, on a plaisir à retrouver ici les habituelles qualités éditoriales, entre le grand format cartonné rigide où la couverture bénéficie de vernis sélectif et où la jaquette est sublimée par un beau marquage rouge métallique sur le logo-titre (par ailleurs très joliment conçu par Tom "spAde" Bertrand), la reliure de qualité supérieure, l'excellente qualité d'impression sur un papier souple et suffisamment opaque, l'impeccable traduction d'Anaïs Koechlin, le lettrage tout aussi réussi de Blackstudio, la présence d'une page en couleurs sur papier glacé pour l'histoire "Pantin hanté", une préface riche de quelques petites anecdotes intéressantes de la part de Miyako Slocombe (ce qui n'est pas toujours le cas dans les postfaces de cette collection, avouons-le), la conservation des deux postfaces d'Ito (celle des deux éditions japonaises différentes) où il livre pas mal de choses avec son habituelle modestie, et bien sûr l'habituelle longue analyse de Morolian où, entre autres, on pourra en apprendre davantage sur les origines lointaines du roman initial, le tout offrant des éclairages toujours pertinents.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs