Breakdown Vol.1 : Critiques

Breakdown

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 01 Mars 2024

Considéré comme un pilier du manga, le regretté Takao Saitô, décédé en 2021 à l'âge de 84 ans, reste pourtant peu présent dans les librairies françaises. Les éditions Akata ont eu la bonne idée de proposer en fin d'année dernière son oeuvre Confidences d'une prostituée dans leur collection Héritages, et les éditions Vega-Dupuis ont pu sortir en 2018-2019 la série Survivant - L'histoire du jeune S où l'illustre mangaka n'était crédité qu'au scénario. Mais avant ça, il faut remonter aux années 2000, époque à laquelle sont parus la série Survivant aux éditions Milan et deux épaisses anthologies de l'incontournable Golgo 13 aux éditions Glénat. C'est donc avec un intérêt tout particulier que l'on voit arriver chez Vega-Dpuis, en ce premier jour de mars 2024, une autre série de l'auteur: Breakdown.

Pour la petite anecdote, notons que c'est déjà Stéphane Ferrand, actuel responsable éditorial chez Vega-Dupuis, qui avait publié Survivant quand il tenait ce même poste chez Milan, avant de participer à la publication de l'anthologie Golgo 13 lors de son passage chez Glénat. L'homme semble décidément attaché à l'héritage laissé par Takao Saitô, et on l'en remerciera pour ça.

Concernant Breakdown, il s'agit d'une série de survie post-apocalyptique que Takao Saitô dessina en 1996-1997, pour le compte du Leed Comic, un magazine des éditions Leed généralement estampillé gekiga et dont la publication a pris fin en 2001 après 30 années de service. Pendant les années qui suivirent, Breakdown connut plusieurs nouvelles éditions au Japon, signe d'une certaine popularité. Et en France, l'éditeur ayant déclaré que l'on aura une édition double lors de l'annonce de l'acquisition de la série, la version française devrait compter quatre beaux pavés, ce premier tome dépassant d'ailleurs les 350 pages.

Breakdown nous plonge à la fin des années 1990. Et l'humanité a beau continuer d'évoluer voire connaître une apogée sur le plan scientifique, elle ne semble pas pleinement avoir conscience d'une terrible menace qui la guette. A l'heure où il se fait une nouvelle fois conspuer par son patron Utsumi qui est toujours en quête de scoops exclusifs, le journaliste documentaire sur la nature Kairi Ôtomo se rend, avec ledit patron, jusqu'à l'observatoire de son vieil ami Hatoyama, qui a quelque chose d'incroyable à lui montrer. Pendant la longue marche à pieds de 3h devant les mener sur place, et même avant ça, plusieurs signes avant-coureurs ont de quoi inquiéter, à l'image de très nombreuses espèces animales cherchant à fuir où à se regrouper, comme si un cataclysme était sur le point de s'abattre, tandis que les humains restent ignorants de leur côté, en attendant surtout de pouvoir observer à l'oeil nu l'astéroïde Willbe qui doit passer près de la Terre. C'est précisément ce que Hatoyama souhaite montrer à Ôtomo dans son télescope: il a repéré dans le ciel un satellite militaire armé d'un missile à proximité de l'astéroïde, si bien que tout laisse penser que certaines hautes instances ont caché une inquiétante réalité au reste des humains: Willbe va s'écraser sur Terre en provoquant une apocalypse internationale, et le missile serait la seule solution pour empêcher ça. Pendant que Hatoyama reste surtout curieux d'observer la situation jusqu'au bout et qu'Ôtomo s'inquiète, Utsumi, lui, pense surtout à l'incroyable scoop qui est sous ses yeux et ne voit aucun problème: même si Willbe menaçait de vraiment s'écraser, il ne fait aucun doute que le missile suffira à régler la situation, n'est-ce pas ? Après tout, que pourrait-il arriver à l'espèce humaine qui se considère souvent comme maîtresse de la Terre ? Et c'est bien l'orgueil humain qui aura raison de sa propre espèce, car ce sont les animaux et leur instinct de survie qui avaient raison de chercher à fuir: le missile fait pire que mieux, et en s'écrasant sur la planète les différents morceaux de l'astéroïde provoquent une gigantesque catastrophe, signant peut-être la quasi extinction des humains et d'autres formes de vie, et ouvrant la voie sur une nouvelle ère de survie post-apocalyptique...

Tel est le point de départ d'un récit où, pendant un long moment, Takao Saitô nous fait d'abord ressentir à quel point l'être humain, si souvent trop orgueilleux, n'est rien face à ce qu'il ne peut pas maîtriser, et n'est pas mieux que les espèces animales et leur instinct de survie. Après cette longue introduction de plusieurs dizaines de pages qui nous met vraiment bien dans l'ambiance en nous faisant efficacement sentir l'imminence du cataclysme, le véritable récit va alors pouvoir commencer, en nous faisant suivre les débuts du parcours d'Ôtomo pour la survie, dans une narration passant beaucoup par lui pour mieux nous immiscer dans les mêmes incertitudes que lui: quel est l'état du monde ? Y a-t-il d'autres survivants ? Dans quel état retrouvera-t-il la ville qu'il a quitté quelques heures auparavant, si tant est qu'il parvienne à y retourner ?

Celles et ceux qui ont eu la chance de lire Survivant, à l'époque où le manga était encore disponible chez Milan, le ressentiront tout de suite: Breakdown a tout du reboot modernisé de ce manga datant de la fin des années 1970. D'ailleurs, il n'est sans doute pas anodin de constater que les tomes japonais de l'édition bunko de Breakdown reprennent exactement la même charte graphique que ceux de l'édition Bunko de Survivant (celle-là même qui est sortie en France). Breakdown fait toutefois appel à une tonalité plus crédible avec un héros adulte (là où le héros de Survivant était un adolescent) qui a déjà des connaissances en survie du fait de son métier et de sa passion pour la nature, mais aussi en apportant des évolutions plus modernes telles qu'elles étaient à la fin des années 1990.

C'est dans ce cadre qu'Ôtomo entame son parcours pour survivre, en tâchant de bien exploiter ses connaissances acquises à force d'expérience, sans plus pouvoir compter sur les fameuses technologies humaines complètement détruites: les réseaux de communication sont détruits, même sa boussole est déréglée... Si bien que notre homme devra avant tout compter sur lui-même, ce qui permettra à Takao Saitô de glisser nombre de petites informations de survie utiles tantôt très connues (ne pas boire d'eau stagnante, quel matériel avoir...) tantôt moins connues, le tout souvent via une narration externe telle qu'il y en avait déjà dans Survivant. Et c'est d'autant plus prenant que l'auteur joue bien sur deux choses dans ce premier volume.
Tout d'abord, son dessin, résolument dense, particulièrement riche et crédible dans les dessins de nature dangereuses et de paysages ravagés, et nous montrant d'amples images de l'effondrement de la civilisation humaine qui nous font bien sentir que l'on est peu de chose.
Ensuite, le cas d'Utsumi: le bonhomme a beau être trèèèèès excessivement détestable avec son égoïsme, son côté toujours hautain, son incapacité à se remettre en cause et sa persuasion que la civilisation humaine ne peut pas s'être effondrée (sérieusement, à la place d'Ôtomo, beaucoup auraient déjà pété un gros câble en laissant cette ordure en plan), il est justement très efficace pour faire ressortir non seulement la prétention que peuvent avoir les humains, mais aussi l'humanité que garde toujours Ôtomo. Mais alors que cette humanité semblait déjà en péril dans la société, qu'en sera-t-il maintenant que cette société s'est écroulée ?

A l'arrivée, on a droit à un premier tome redoutablement efficace, et cela malgré un déroulement pour l'instant peu surprenant et le côté très, très caricatural d'Utsumi qui pourra diviser. Modernisant le propos de son manga Survivant et gommant certaines lacunes et facilités de celui-ci, Takao Saitô n'a aucun mal à nous emballer dans ce nouveau récit de survie qui est intéressant autant dans ses informations que dans son portrait critique d'une espèce humaine souvent trop orgueilleuse.

Cette chronique ayant été réalisée à partir d'une épreuve numérique fournie par l'éditeur, on ne peut pas dire grand chose sur l'édition, hormis que le lettrage est soigné, et que la traduction effectuée par Satoko Fujimoto est toujours claire et immersive.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs