Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 07 Avril 2022
Chronique 2 :
Que ce soit dans une tonalité légère (comme dans My Fair Honey Boy avec son héros efféminé et son héroïne virile, ou dans A sign of affection porté par son héroïne malentendante), ou de façon plus frontale généralement autour des questions LGBTQIA+ (Le mari de mon frère, Or Colorful Days, Eclat(s) d'âme, Comme sur un nuage, Je crois que on fils est gay, Si nous étions adultes...), voici désormais plusieurs années que les éditions Akata s'applique à mettre en lumière la différence et la diversité, et cela semble voué à continuer en cette année 2022 qui a commencé fort de ce côté-là. L'éditeur a ainsi sorti en février le boy's love horrifique Boys of the Dead, a continué début mars en lançant le très attendu Sasaki et Miyano... et dans les tout derniers jour du mois passé, le catalogue de l'éditeur a accueilli une pièce de choix avec Boys Run the Riot.
Oeuvre bouclée en quatre volumes, Boys Run the Riot fut prépubliée à partir de 2020 et jusqu'au tout début de l'année 2021 à rythme hebdomadaire, au sein du Young Magazine puis du site Comic Days des éditions Kôdansha. Il s'agit de la toute première série de Keito Gaku, un auteur qui a commencé sa carrière de mangaka un petit peu sur le tard (dans la vingtaine), et qui fut d'abord remarqué en remportant le Prix Espoir (section "Jeune") du 77e prix Chiba Tetsuya grâce à sa toute première histoire courte Akarui. Dans cette série qui fut notamment très remarquée aux Etats-Unis (en 2021, elle a été sélectionnée dans la catégorie "Meilleur Manga" des Harvey Awards et a figuré dans le top 10 des meilleurs mangas de l'année du School Library Journal), on devine d'ailleurs qu'il y a une grosse part de Keito Gaku dans son personnage principal puisque, à l'image de celui-ci, le mangaka a longtemps pratiqué le basketball et est transgenre (il s'agit d'une femme se sentant homme).
Boys Run the Riot nous immisce auprès de Ryoko Watari... enfin, plutôt Ryo comme il préfère se faire appeler, ce lycéen se sentant mal dans son corps à cause de sa dysphorie de genre. Assigné femme à la naissance, il s'est pourtant toujours senti homme depuis l'enfance, a toujours préféré traîner avec des garçons, se sent un peu mal en fréquentant des filles (quand bien même il n'est pas insensible à sa plus chère amie, l'adorable Chika)... Il essaie tant bien que mal, depuis toujours, d'étouffer son véritable lui, d'autant plus qu'il peine à faire face aux regards d'incompréhension que son entourage lui renvoie parfois, sans forcément de méchanceté mais en véhiculant tout ce que les diktats de la société et la notion de "normalité" peuvent discrètement imposer.
Alors, pour essayer d'être un minimum bien dans son corps, en adéquation avec lui-même, Ryo refuse autant que possible de porter l'uniforme scolaire féminin normalement obligatoire en trouvant des excuses, tâche souvent de porter la tenue de sport du lycée au sein de l'établissement scolaire, garde une coupe de cheveux très courtes... Et, surtout, en dehors du lycée, il s'applique à porter des vêtements masculins qu'il aime, car comme il le dit lui-même, quand il porte des fringues qu'il adore, ce sont les seuls moments où il parvient à se regarder sans se détester, sans avoir honte, sans craindre le regard des autres.
Mais tout va basculer pour lui quand arrive dans sa classe un nouvel élève, Jin Sato. Grand, stylé, redoublant n'en faisant pas grand cas, il se prend d'emblée un remarque de la prof car il n'a pas d'uniforme, porte des vêtements de rue, a des lunettes de soleil et, surtout, n'a absolument pas honte de son look. D'emblée, quelque part, Ryo admire ce garçon qui n'a aucune gêne à s'affiche comme il le veut... mais il ne s'attendait sans doute pas à ce que Jin change en profondeur son quotidien. Après s'être croisés dans le me^me pop-up store d'une marque de streetwear, Jin comprend que Ryo a sensiblement les mêmes goûts que lui, et lui fait alors une proposition folle: créer à deux leur marque de vêtements. Une maque qui leur correspondrait. Une marque où ils pourraient faire passer, de façon artistique et revendicatrice, leurs idées de liberté d'être comme on veut, leurs pensées, leur vision des choses.
"Tous ces préjugés de merde, on va les éclater avec nos vêtements !"
Avec ce premier volume, on peut assurément dire que Keito Gaku frappe fort d'entrée de jeu, tant son personnage principal, Ryo, est criant de vérité en cristallisant bien des craintes quant à la façon dont la société peut banalement juger tout un chacun et plus encore celles et ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Ainsi, à force de vivre certains moments difficiles où l'on ne faisait pas forcément l'effort de le comprendre et où lui-même n'osait alors pas s'épancher en se repliant dès lors sur lui-même, Ryo a toujours eu le sentiment qu'il est un clou dépassant du mur, et que la norme veut que les clous qui dépassent, on les fait disparaître avec un marteau. Mais Jin, assez vite, apparaît à ses yeux comme quelqu'un de différent, voire peut-être comme une sorte d'exemple: il a des goûts précis, il a confiance en lui, il a des gens qui l'apprécient tel qu'il est car il ne s'est jamais caché et transpire de sincérité... et surtout, il est naturellement ouvert d'esprit. Quand Ryo trouve le courage de lui avouer qu'il se sent homme malgré son corps de femme, il n'émet aucun jugement d'incompréhension. Simplement, même s'il sait qu'il ne pourra jamais cerner à 100% Ryo car il n'est pas dans sa situation, il veut quand même le comprendre, apprendre à le connaître, ne le considère pas différemment, et l'accepte ainsi.
C'est, alors, sur ces bases immensément positives que naît une amitié franche, tandis que le parcours des deux adolescents est voué à prendre encore plus de consistance, peu à peu, à travers leurs premiers pas dans la création de leurs marques de vêtements, entre un Ryo s'occupant des designs, un Jin se chargeant de la gestion de la boîte, et bientôt un troisième larron en la personne d'Itsuka Todo, passionné de photos "à l'ancienne" esseulé, n'ayant personne pour partager sa passion tant elle apparaît ringarde aux yeux be beaucoup. Et à travers ce troisième personnage se sentant lui-même effacé et non-maître de son existence, Keito Gaku a alors le mérité d'agrandir encore sa mise en valeur des personnes sortant de la norme, en ne se limitant finalement pas strictement à la question de la dysphorie de genre de Ryo.
Prenant soin de ses personnages qui sonnent toujours juste, offrant une narration rythmée avec un ton généralement positif, dessinant des designs précis et expressifs à souhait qui rappellent énormément le style génial d'Harold Sakuichi (Beck, 7 Shakespeares, RiN) avec ces grands yeux, ces contours clairs et ces grandes bouches, Keito Gaku lance alors efficacement ce récit où ces jeunes qui se cherchent vont tâcher de trouver leur place, de faire entendre leur voix en faisant fi de tout sentiment de honte, d'être tout simplement eux-mêmes, le tout à travers cette création de marque de vêtements qui n'est pas là comme un simple prétexte et qui jouit d'un vrai traitement: nom, concept, design, fabrication, mise en ligne d'un site, pub, vente... sont autant de choses que l'auteur commence à aborder, avec des premiers designs de streetwear simples et prometteurs, et surtout, en permanence, l'idée que les vêtements peuvent permettre de vivre en étant soi-même. Intelligent, immersif, moderne, humain, ce début de parcours est emballant, et on en suivra assurément la suite avec grand plaisir.
En ce qui concerne l'édition française, notons d'abord le choix d'Akata d'opter pour des jaquettes de création française, différentes de celles plus simples de l'édition japonaise, avec une illustration plus riche et sans doute plus parlante, ainsi qu'un efficace logo-titre imaginé par Lucchisco (ou Haikel "Luchisco" B). A l'intérieur, on a droit à un papier fin mais de qualité, très souple et particulièrement agréable à manipuler. L'impression elle, est très bonne, tout comme le lettrage très propre d'Isabelle Bovey et la traduction fluide, vivante et jeune de Blanche Delaborde.
Chronique 1 :
Le caractère engagé des éditions Akata n'est plus un mystère. Depuis des années déjà, la maison poursuit sa volonté de proposer des œuvres abordant des thèmes sociétaux forts et d'actualité, ce qui passe par une représentation des réflexions LGBT, par exemple avec les tranches de vie de Gengoroh Tagame, ou des œuvres telles que Comme sur un nuage, share, Eclat(s) d'Âme ou Celle que je suis, pour ne citer que ces titres. Tout récemment, un nouveau manga est venu garnir cette sélection, à savoir Boys Run The Riot.
La série, parue entre 2020 et 2021 dans le Young Magazine des éditions Kôdansha pour un total de quatre volumes, est l’œuvre de Keito Gaku, un auteur transgenre qui s'est d'abord distingué en remportant le 77e Prix Tetsuya Chiba avec son histoire courte Akarui, avant de pouvoir publier Boys Run The Riot. A ce jour, le mangaka n'a pas entamé de nouvelle série longue, et la belle surprise du premier opus de sa série donne envie de le voir revenir sur une prépublication.
Ryo est lycéen, considéré comme une fille selon l'attribution de son genre à sa naissance. Seulement, il ne s'est jamais senti comme tel, car c'est en garçon qu'il se perçoit intérieurement. Agacé de porter des jupes et uniformes scolaires féminins, il s'habille autant que possible en survêtements, et c'est justement dans ces tenues « streetwear » qu'il se sent le plus à l'aise. Bien entendu, ses camarades ne le comprennent guère...
La fragile zone de confort de Ryo est bousculée le jour de l'arrivée d'un nouvel élève dans sa classe, Jin Sato. Grand gaillard, ce dernier les exacts mêmes goûts vestimentaires que son camarade qu'il a croisé dans un magasin de textile la veille, et c'est sans attendre qu'il lui propose de fonder, ensemble, leur propre marque de vêtements. Mais face à cette offre soudaine et à un camarade qui assume son excentricité sans broncher, Ryo se retrouve d'abord déstabilisé. Mais c'est peut-être par cette rencontre qu'il pourra enfin se sentir pleinement exister, sans se cacher derrière un masque de façade.
Boys Run The Riot, par son premier tome, aborde le sujet de la dysphorie de genre à travers son protagoniste, Ryo, et son évolution suite à sa rencontre avec Jin, un camarade de classe qui va le pousser à assumer pleinement sa personnalité. La thématique est centrale sur les premiers chapitres, et parlante pour le mangaka concerné par les problématiques transgenres. Ainsi le quotidien du protagoniste se retrouve secoué, tandis que les premiers instants insistent avec pertinence sur sa difficulté à trouver sa place dans une société normée et ultra codifiée, un soucis auquel s'est aussi frotté Jin qui a décidé de vivre pour lui. Le propos bouscule forcément un peu le lecteur comme le personnage de Ryo, poussé à aller de l'avant, et qui va grandement évoluer par son association avec son nouveau camarade, point de départ d'une amitié qui nous impacte rapidement par sa sincérité, tout en étant le déclencheur d'un récit qui va aller au-delà du cas du protagoniste pour aborder plus généralement une idée qui nous concerne toutes et tous : L'émancipation de chacun pour trouver sa place dans ce monde.
Ainsi, le leitmotiv central de la série de Keito Gaku est représenté par l'ambition des deux personnages centraux, celle de monter une marque de vêtements avec les moyens du bord. Outre l'histoire d'amitié poussant Ryo à aller de l'avant, il y a donc une véritable « quête » qui se met en place en sein de ce premier volume, à laquelle se greffera un troisième personnage assez différent, mais qui trouvera sa place dans le petit groupe. C'est précisément avec lui que le propos global de l’œuvre gagnera en en résonance, en abordant le cas d'un garçon discret mais passionné de photographie, tentant de s'acclimater aux codes qu'on lui dicte, mais dont l'état d'esprit changera aux côtés de ses deux camarades. Trois portraits différents les uns des autres mais qui se complètent, se répondent et répondent à la thématique centrale avec une belle fraîcheur et une positivité qui fait mouche. Si les bases du récit concernent la difficulté de Ryo à s'assumer en tant que personne transgenre dans son environnement, Boys Run The Riot finit par pointer du doigt toutes les « normes » de la société afin de les bousculer, et donner l'envie au lecteur de lui aussi les envoyer valser, le tout sur un récit d'amitié où un projet mené par trois adolescents va gagner en force, chapitre après chapitre.
Sur ce premier volume, le manga de Keito Gaku fait preuve d'une justesse impeccable couplée à une énergie optimiste qui nous imprègne sans aucun mal. La force de ce début de récit vient aussi de sa capacité à contenter différents profils de lecteurs, de ceux qui souhaitent lire une œuvre engagée aux amateurs de tranche de vie en milieu adolescent. Boys Run The Riot fait fort dès son premier volume et laisse croire à trois opus suivants qui nous bousculeront tout autant.
Concernant l'édition, Akata livre une copie particulièrement excellente, notamment parce un papier plus fin que de coutume mais à la qualité soutenue. Signée Blanche Delaborde, la traduction sert efficacement l'énergie du titre et semble sans bémol dans sa retranscription des thématiques sociétales. Signalons aussi le très bon travail graphique, qu'il s'agisse du bon lettrage d'Isabelle Bovey ou du logo français particulièrement en phase avec la dimensions streetwear de l'histoire, une création signée Lucchisco, que certains connaissent peut-être pour sa qualité de vidéaste, et qui signe depuis peu ses premiers travaux graphiques dans le manga. On ne peut que lui souhaiter une bonne continuation sur cette voie ! Si Akata a fait le pari de créer ses propres couvertures pour l'édition française, la proposition est convaincante, et peut-être plus parlante que les jaquettes japonaises originales.
Que ce soit dans une tonalité légère (comme dans My Fair Honey Boy avec son héros efféminé et son héroïne virile, ou dans A sign of affection porté par son héroïne malentendante), ou de façon plus frontale généralement autour des questions LGBTQIA+ (Le mari de mon frère, Or Colorful Days, Eclat(s) d'âme, Comme sur un nuage, Je crois que on fils est gay, Si nous étions adultes...), voici désormais plusieurs années que les éditions Akata s'applique à mettre en lumière la différence et la diversité, et cela semble voué à continuer en cette année 2022 qui a commencé fort de ce côté-là. L'éditeur a ainsi sorti en février le boy's love horrifique Boys of the Dead, a continué début mars en lançant le très attendu Sasaki et Miyano... et dans les tout derniers jour du mois passé, le catalogue de l'éditeur a accueilli une pièce de choix avec Boys Run the Riot.
Oeuvre bouclée en quatre volumes, Boys Run the Riot fut prépubliée à partir de 2020 et jusqu'au tout début de l'année 2021 à rythme hebdomadaire, au sein du Young Magazine puis du site Comic Days des éditions Kôdansha. Il s'agit de la toute première série de Keito Gaku, un auteur qui a commencé sa carrière de mangaka un petit peu sur le tard (dans la vingtaine), et qui fut d'abord remarqué en remportant le Prix Espoir (section "Jeune") du 77e prix Chiba Tetsuya grâce à sa toute première histoire courte Akarui. Dans cette série qui fut notamment très remarquée aux Etats-Unis (en 2021, elle a été sélectionnée dans la catégorie "Meilleur Manga" des Harvey Awards et a figuré dans le top 10 des meilleurs mangas de l'année du School Library Journal), on devine d'ailleurs qu'il y a une grosse part de Keito Gaku dans son personnage principal puisque, à l'image de celui-ci, le mangaka a longtemps pratiqué le basketball et est transgenre (il s'agit d'une femme se sentant homme).
Boys Run the Riot nous immisce auprès de Ryoko Watari... enfin, plutôt Ryo comme il préfère se faire appeler, ce lycéen se sentant mal dans son corps à cause de sa dysphorie de genre. Assigné femme à la naissance, il s'est pourtant toujours senti homme depuis l'enfance, a toujours préféré traîner avec des garçons, se sent un peu mal en fréquentant des filles (quand bien même il n'est pas insensible à sa plus chère amie, l'adorable Chika)... Il essaie tant bien que mal, depuis toujours, d'étouffer son véritable lui, d'autant plus qu'il peine à faire face aux regards d'incompréhension que son entourage lui renvoie parfois, sans forcément de méchanceté mais en véhiculant tout ce que les diktats de la société et la notion de "normalité" peuvent discrètement imposer.
Alors, pour essayer d'être un minimum bien dans son corps, en adéquation avec lui-même, Ryo refuse autant que possible de porter l'uniforme scolaire féminin normalement obligatoire en trouvant des excuses, tâche souvent de porter la tenue de sport du lycée au sein de l'établissement scolaire, garde une coupe de cheveux très courtes... Et, surtout, en dehors du lycée, il s'applique à porter des vêtements masculins qu'il aime, car comme il le dit lui-même, quand il porte des fringues qu'il adore, ce sont les seuls moments où il parvient à se regarder sans se détester, sans avoir honte, sans craindre le regard des autres.
Mais tout va basculer pour lui quand arrive dans sa classe un nouvel élève, Jin Sato. Grand, stylé, redoublant n'en faisant pas grand cas, il se prend d'emblée un remarque de la prof car il n'a pas d'uniforme, porte des vêtements de rue, a des lunettes de soleil et, surtout, n'a absolument pas honte de son look. D'emblée, quelque part, Ryo admire ce garçon qui n'a aucune gêne à s'affiche comme il le veut... mais il ne s'attendait sans doute pas à ce que Jin change en profondeur son quotidien. Après s'être croisés dans le me^me pop-up store d'une marque de streetwear, Jin comprend que Ryo a sensiblement les mêmes goûts que lui, et lui fait alors une proposition folle: créer à deux leur marque de vêtements. Une maque qui leur correspondrait. Une marque où ils pourraient faire passer, de façon artistique et revendicatrice, leurs idées de liberté d'être comme on veut, leurs pensées, leur vision des choses.
"Tous ces préjugés de merde, on va les éclater avec nos vêtements !"
Avec ce premier volume, on peut assurément dire que Keito Gaku frappe fort d'entrée de jeu, tant son personnage principal, Ryo, est criant de vérité en cristallisant bien des craintes quant à la façon dont la société peut banalement juger tout un chacun et plus encore celles et ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Ainsi, à force de vivre certains moments difficiles où l'on ne faisait pas forcément l'effort de le comprendre et où lui-même n'osait alors pas s'épancher en se repliant dès lors sur lui-même, Ryo a toujours eu le sentiment qu'il est un clou dépassant du mur, et que la norme veut que les clous qui dépassent, on les fait disparaître avec un marteau. Mais Jin, assez vite, apparaît à ses yeux comme quelqu'un de différent, voire peut-être comme une sorte d'exemple: il a des goûts précis, il a confiance en lui, il a des gens qui l'apprécient tel qu'il est car il ne s'est jamais caché et transpire de sincérité... et surtout, il est naturellement ouvert d'esprit. Quand Ryo trouve le courage de lui avouer qu'il se sent homme malgré son corps de femme, il n'émet aucun jugement d'incompréhension. Simplement, même s'il sait qu'il ne pourra jamais cerner à 100% Ryo car il n'est pas dans sa situation, il veut quand même le comprendre, apprendre à le connaître, ne le considère pas différemment, et l'accepte ainsi.
C'est, alors, sur ces bases immensément positives que naît une amitié franche, tandis que le parcours des deux adolescents est voué à prendre encore plus de consistance, peu à peu, à travers leurs premiers pas dans la création de leurs marques de vêtements, entre un Ryo s'occupant des designs, un Jin se chargeant de la gestion de la boîte, et bientôt un troisième larron en la personne d'Itsuka Todo, passionné de photos "à l'ancienne" esseulé, n'ayant personne pour partager sa passion tant elle apparaît ringarde aux yeux be beaucoup. Et à travers ce troisième personnage se sentant lui-même effacé et non-maître de son existence, Keito Gaku a alors le mérité d'agrandir encore sa mise en valeur des personnes sortant de la norme, en ne se limitant finalement pas strictement à la question de la dysphorie de genre de Ryo.
Prenant soin de ses personnages qui sonnent toujours juste, offrant une narration rythmée avec un ton généralement positif, dessinant des designs précis et expressifs à souhait qui rappellent énormément le style génial d'Harold Sakuichi (Beck, 7 Shakespeares, RiN) avec ces grands yeux, ces contours clairs et ces grandes bouches, Keito Gaku lance alors efficacement ce récit où ces jeunes qui se cherchent vont tâcher de trouver leur place, de faire entendre leur voix en faisant fi de tout sentiment de honte, d'être tout simplement eux-mêmes, le tout à travers cette création de marque de vêtements qui n'est pas là comme un simple prétexte et qui jouit d'un vrai traitement: nom, concept, design, fabrication, mise en ligne d'un site, pub, vente... sont autant de choses que l'auteur commence à aborder, avec des premiers designs de streetwear simples et prometteurs, et surtout, en permanence, l'idée que les vêtements peuvent permettre de vivre en étant soi-même. Intelligent, immersif, moderne, humain, ce début de parcours est emballant, et on en suivra assurément la suite avec grand plaisir.
En ce qui concerne l'édition française, notons d'abord le choix d'Akata d'opter pour des jaquettes de création française, différentes de celles plus simples de l'édition japonaise, avec une illustration plus riche et sans doute plus parlante, ainsi qu'un efficace logo-titre imaginé par Lucchisco (ou Haikel "Luchisco" B). A l'intérieur, on a droit à un papier fin mais de qualité, très souple et particulièrement agréable à manipuler. L'impression elle, est très bonne, tout comme le lettrage très propre d'Isabelle Bovey et la traduction fluide, vivante et jeune de Blanche Delaborde.
Chronique 1 :
Le caractère engagé des éditions Akata n'est plus un mystère. Depuis des années déjà, la maison poursuit sa volonté de proposer des œuvres abordant des thèmes sociétaux forts et d'actualité, ce qui passe par une représentation des réflexions LGBT, par exemple avec les tranches de vie de Gengoroh Tagame, ou des œuvres telles que Comme sur un nuage, share, Eclat(s) d'Âme ou Celle que je suis, pour ne citer que ces titres. Tout récemment, un nouveau manga est venu garnir cette sélection, à savoir Boys Run The Riot.
La série, parue entre 2020 et 2021 dans le Young Magazine des éditions Kôdansha pour un total de quatre volumes, est l’œuvre de Keito Gaku, un auteur transgenre qui s'est d'abord distingué en remportant le 77e Prix Tetsuya Chiba avec son histoire courte Akarui, avant de pouvoir publier Boys Run The Riot. A ce jour, le mangaka n'a pas entamé de nouvelle série longue, et la belle surprise du premier opus de sa série donne envie de le voir revenir sur une prépublication.
Ryo est lycéen, considéré comme une fille selon l'attribution de son genre à sa naissance. Seulement, il ne s'est jamais senti comme tel, car c'est en garçon qu'il se perçoit intérieurement. Agacé de porter des jupes et uniformes scolaires féminins, il s'habille autant que possible en survêtements, et c'est justement dans ces tenues « streetwear » qu'il se sent le plus à l'aise. Bien entendu, ses camarades ne le comprennent guère...
La fragile zone de confort de Ryo est bousculée le jour de l'arrivée d'un nouvel élève dans sa classe, Jin Sato. Grand gaillard, ce dernier les exacts mêmes goûts vestimentaires que son camarade qu'il a croisé dans un magasin de textile la veille, et c'est sans attendre qu'il lui propose de fonder, ensemble, leur propre marque de vêtements. Mais face à cette offre soudaine et à un camarade qui assume son excentricité sans broncher, Ryo se retrouve d'abord déstabilisé. Mais c'est peut-être par cette rencontre qu'il pourra enfin se sentir pleinement exister, sans se cacher derrière un masque de façade.
Boys Run The Riot, par son premier tome, aborde le sujet de la dysphorie de genre à travers son protagoniste, Ryo, et son évolution suite à sa rencontre avec Jin, un camarade de classe qui va le pousser à assumer pleinement sa personnalité. La thématique est centrale sur les premiers chapitres, et parlante pour le mangaka concerné par les problématiques transgenres. Ainsi le quotidien du protagoniste se retrouve secoué, tandis que les premiers instants insistent avec pertinence sur sa difficulté à trouver sa place dans une société normée et ultra codifiée, un soucis auquel s'est aussi frotté Jin qui a décidé de vivre pour lui. Le propos bouscule forcément un peu le lecteur comme le personnage de Ryo, poussé à aller de l'avant, et qui va grandement évoluer par son association avec son nouveau camarade, point de départ d'une amitié qui nous impacte rapidement par sa sincérité, tout en étant le déclencheur d'un récit qui va aller au-delà du cas du protagoniste pour aborder plus généralement une idée qui nous concerne toutes et tous : L'émancipation de chacun pour trouver sa place dans ce monde.
Ainsi, le leitmotiv central de la série de Keito Gaku est représenté par l'ambition des deux personnages centraux, celle de monter une marque de vêtements avec les moyens du bord. Outre l'histoire d'amitié poussant Ryo à aller de l'avant, il y a donc une véritable « quête » qui se met en place en sein de ce premier volume, à laquelle se greffera un troisième personnage assez différent, mais qui trouvera sa place dans le petit groupe. C'est précisément avec lui que le propos global de l’œuvre gagnera en en résonance, en abordant le cas d'un garçon discret mais passionné de photographie, tentant de s'acclimater aux codes qu'on lui dicte, mais dont l'état d'esprit changera aux côtés de ses deux camarades. Trois portraits différents les uns des autres mais qui se complètent, se répondent et répondent à la thématique centrale avec une belle fraîcheur et une positivité qui fait mouche. Si les bases du récit concernent la difficulté de Ryo à s'assumer en tant que personne transgenre dans son environnement, Boys Run The Riot finit par pointer du doigt toutes les « normes » de la société afin de les bousculer, et donner l'envie au lecteur de lui aussi les envoyer valser, le tout sur un récit d'amitié où un projet mené par trois adolescents va gagner en force, chapitre après chapitre.
Sur ce premier volume, le manga de Keito Gaku fait preuve d'une justesse impeccable couplée à une énergie optimiste qui nous imprègne sans aucun mal. La force de ce début de récit vient aussi de sa capacité à contenter différents profils de lecteurs, de ceux qui souhaitent lire une œuvre engagée aux amateurs de tranche de vie en milieu adolescent. Boys Run The Riot fait fort dès son premier volume et laisse croire à trois opus suivants qui nous bousculeront tout autant.
Concernant l'édition, Akata livre une copie particulièrement excellente, notamment parce un papier plus fin que de coutume mais à la qualité soutenue. Signée Blanche Delaborde, la traduction sert efficacement l'énergie du titre et semble sans bémol dans sa retranscription des thématiques sociétales. Signalons aussi le très bon travail graphique, qu'il s'agisse du bon lettrage d'Isabelle Bovey ou du logo français particulièrement en phase avec la dimensions streetwear de l'histoire, une création signée Lucchisco, que certains connaissent peut-être pour sa qualité de vidéaste, et qui signe depuis peu ses premiers travaux graphiques dans le manga. On ne peut que lui souhaiter une bonne continuation sur cette voie ! Si Akata a fait le pari de créer ses propres couvertures pour l'édition française, la proposition est convaincante, et peut-être plus parlante que les jaquettes japonaises originales.