Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 23 Juin 2025
Il y a quelques jours, Kurokawa a lancé dans notre langue Blood Crawling Princess, toute première série de la carrière de la mangaka Yuki Azuma. De son nom original "Chi wo hau bôkoku no ôjo" (littéralement "La princesse d'un pays déchu grouillant de sang"), cette oeuvre suit son cours au Japon depuis 2023 sur le site Gangan Online de Square Enix, compte quatre volumes à l'heure où ces lignes sont écrites, et est vouée à nous immiscer auprès d'une princesse qui après avoir été traînée dans la boue et brisée jusqu'au plus profond de sa chair, est déterminée à obtenir sa vengeance sur tous les hommes ayant ruiné son existence.
Cette princesse, il s'agit d'Evita, issue de la famille royale de Batalia, petit royaume tranquille et sans histoire... du moins, jusqu'à ce que le grand royaume voisin de Hari, simplement porté par ses ambitions conquérantes, ne l'envahisse sans raison particulière, en saccageant tout et en n'épargnant personne: tous les hommes sont abattus, tandis que les femmes sont vouées à subir le même sort après avoir été violées, dans tout ce que la guerre peut avoir de plus crade. Encore enfant à cette époque, Evita voit les siens mourir violemment sous ses yeux, observe depuis sa cachette sa propre mère la reine subir les pires sévices, mais garde en mémoire les dernières paroles de celle-ci, lui disant de vivre coûte que coûte. Six ans plus tard, Evita a bien suivi la demande de sa défunte génitrice, quitte à devoir faire beaucoup de concessions: vendue à une maison close, la jeune femme est devenue Priscilla, la prostituée la plus célèbre de San Missa, une enclave autonome regroupant toutes les maisons de prostitution du royaume de Hari, où les femmes n'ont aucun compte à rendre sur leur statut social ni sur leur passé, mais où elles sont généralement considérées comme du simple bétail sexuel par tous les libidineux venant les fréquenter. On pourrait alors se dire que celle qui était autrefois une candide et pure princesse est tombée très bas, mais c'est mal la connaître, car Evita attend son heure. Et si, récemment, elle a su se mettre dans la poche l'immonde et tyrannique prince Marcel, l'un des potentiels héritiers de la couronne de Hari, c'est bien pour atteindre la première étape de son plan visant à se venger dans le sang, avec l'aide des autres femmes bafouées par ce royaume, de tous les hommes ayant sali leur vie...
Si la quatrième de couverture affiche un mot d'avertissement, vous aurez sans doute déjà compris, au vu du pitch, que ce n'est pas pour rien: faisant allègrement dans les séquences de violences sexuelles, de tortures et de morts assez explicites et trash, Blood Crawling Princess s'impose déjà comme la nouveauté manga la plus sale de cette première moitié d'année 2025. Mais là où Yuki Azuma aurait alors pu risquer de tomber dans un mauvais goût trop prononcé, heureusement elle évite cet écueil pour faire ressortir tout l'effroi des événements sans érotisme mal placé. Ainsi, le rendu graphique des scènes sexuelles (prostitution comme viols) sont bien plus marquées par un côté presque horrifique (surtout au vu des dégaines ignobles des hommes) que par une éventuelle érotisation des femmes (en somme, pour ça, on est à l'opposé d'un torchon comme Deadtube aux éditions Delcourt/Tonkam, par exemple). Et si la dessinatrice force volontiers le trait sur les physiques souvent affreux et sur les comportements terribles de ses personnages masculins, voire aussi sur les expressions faciales de son héroïnes quand elle laisse éclater ses plans de vengeance, c'est sûrement pour mieux véhiculer un côté potentiellement cathartique dans dans les débuts de cette vengeance féminine face à ce que les hommes peuvent montrer de pire.
Ce long et éprouvant parcours vengeur entamé par Evita et ses alliées pourrait alors, sur la longueur, devenir assez jouissif quelque part, d'autant plus que pour passer les différentes étapes de ses plans la jeune femme fait volontiers plus dans la ruse et dans la manipulation qu'autre chose, quitte à ce que son corps, tant convoité par ces messieurs, devienne précisément le moyen de les faire aller à leur perte. Certes, on n'ira pas jusqu'à dire que c'est très fin et poussé sur le plan stratégique, d'autant plus que certains coups de théâtre arrivent de manière très grosse pour risquer de redistribuer les cartes (en tête, ce que fait trop naïvement Laura en fin de volume, car le résultat était vraiment couru d'avance), mais pour le moment c'est amplement suffisant pour amener une plus-value et pour offrir une consistance supplémentaire à l'héroïne... Une héroïne qui, par ailleurs, ne manque déjà pas d'intriguer via ses différentes facettes: tour à tour très charismatique dans sa façon de se poser en porte-étendard des femmes bafouées, inspirante dans son plan de vengeance empli de détermination, ou inquiétante quand sa fausse douceur presque mielleuse laisse place à ses plus perfides manipulations, vue comme gentille par les uns et glaciale par les autres, Evita apparaît comme une figure complexe, dotée de multiples facettes sans aucun doute nourries par les traumatismes qu'elle a pu vivre, si bien qu'on dit d'elle que personne ne connaît sûrement son vrai visage.
Série choc, brutale et sans concession, Blood Crawling Princess affiche certaines promesses sur ce seul premier tome, en évitant pas mal d'écueils dans lesquels son sujet et sa tonalité violente et explicite auraient pu le faire tomber. C'est avec une réelle curiosité que l'on attendra la suite de cette quête vengeresse à réserver à un public très averti, en espérant que les volumes suivants sauront confirmer cette première impression assez positive.
Côté édition, enfin, on a droit à une copie soignée de la part de Kurokawa: la traduction de Xavière Daumarie est très efficace, le lettrage effectué par AQ est propre, le papier allie souplesse et opacité, l'impression faite en France chez Aubin est de bonne qualité, les quatre premières pages en couleurs sur papier glacé sont un plus sympathique, et la jaquette reste proche de l'originale japonaise tout en se parant d'un logo-titre bien pensé.