Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 01 Septembre 2023
Le label Sakka des éditions Casterman a accueilli cette semaine un nouveau manga voué à s'achever avec son 3e volume: Blanck Space. Prépublié au Japon entre 2020 et 2022 dans le magazine Flat Hero's de Shogakukan Creative, ce récit est la dernière oeuvre en date de Kon Kumakura, un auteur jusqu-là inédit en France, qui a commencé sa carrière en concevant plusieurs histoires courtes étranges (compilées au Japon en 2017 dans le recueil Haru to Bonkura), puis dont la première série Seika Amai ka Shoppai ka fu (finie en 19 chapitres) fut diffusée en 2018-2019 sous forme de webcomic sur le site Comic Days de kôdansha.
Blank Space nous immisce auprès de Shôko Komae, une jeune fille qui sort un peu du lot, à sa manière. Pas tout à fait dans le moule, cette lycéenne est plutôt vue comme une reloue bizarre auprès de la plupart de ses camarades: elle a tendance à tomber amoureuse au premier regard en tentant alors de drôles d'approches, elle se trouve bête à cause de son coeur d'artichaut et de sa nullité en cours, elle est si spontanée que ça déstabilise parfois son entourage... et, surtout, elle a la manie de laisser vagabonder son imagination à la moindre occasion, quitte à être complètement dans la lune. Pourtant, c'est cette spontanéité très naturelle qui va la conduire à sympathiser, un jour de pluie, avec une fille d'une autre classe, Sui Katagiri. Sui, c'est un peu tout le contraire de Shôko: élève modèle en cours, adorant passer son temps à la bibliothèque d'à-côté pour dévorer nombre de livres (ce qui nous vaudra, au fil des pages, un paquet des références littéraires), très timide au point d'être souvent seule... Et pourtant, ces deux adolescente se retrouvent vite liées par un étonnant secret, dès lors que Shôko découvre que Sui à le pouvoir de matérialiser les choses qui lui passent par la tête, mais de façon invisible...
Les débuts de Blank Space se focalisent beaucoup sur les débuts de cette amitié assez solaire, dans la mesure où l'on y suit le lien qui se crée entre deux adolescentes qui, à la base, sont non seulement très différentes l'une de l'autre, mais sont en plus toutes les deux un peu hors du moule par rapport à leurs camarades de classe. Sous le dessin assez blanc, un peu épuré et aux designs simples et expressifs de l'auteur, il y a quelque chose de plaisant et de presque léger à suivre la manière dont se forge cette relation amicale. une relation qui, forcément, passe aussi beaucoup par un aspect essentiel du récit: le pouvoir de l'imagination. Et cette imagination, les deux filles la nourrissent de deux manières différentes et complémentaires. Shôko, de son côté, vit son imaginaire en laissant vagabonder son esprit fertile au point d'être souvent un peu dans sa bulle, en pensant à plein de choses a priori un peu improbables. Quant à Sui, son cas est plus particulier puisque son imagination est plus terre-à-terre: elle lui permet de créer des choses dans le vide, mais pour ça elle doit visualiser mentalement les éléments puis les assembler comme elle peut pour ensuite matérialiser l'objet voulu, ce qui implique d'en connaître parfaitement les pièces et le fonctionnement (par exemple, si elle veut créer un grille-pain invisible, il faut qu'elle connaisse chaque élément de ce grille-pain pour qu'il fonctionne). Et évidemment, ces deux facettes de l'imagination permettent à Kumakura de proposer quelques petites originalité graphiques (délires insolites issus de l'esprit de Shôko, objets invisibles de Sui...), même si l'on aurait volontiers cru que l'auteur irait plus loin dans leur représentation.
Notamment grâce à la spontanéité rafraîchissant de Shôko qui permet à Sui de s'ouvrir un tout petit peu, les premiers pas de cette histoire se révèlent assez légers et agréables... et pourtant, on sent assez vite que quelque chose pourrait clocher dans ce petit univers, que la situation de Sui en particulier est loin d'être heureuse, et ça se confirme dans la deuxième moitié du tome avec plusieurs indices laissant bien comprendre ce qu'elle subit au lycée sans que l'auteur ait besoin d'insister. La situation est telle que l'esprit de Sui a de quoi s'assombrir, au risque d'aboutir à des choses de plus en plus graves, de plus en plus dangereuses, dans ses matérialisations d'objets... Forcément, il y a de quoi naturellement inquiéter Shôko, mais la jeune fille sera-t-elle apte à sauver son amie avant que tout aille trop loin ?
Il faudra patienter jusqu'à la suite pour le savoir, mais en attendant ce premier tome de Blank Space pique assurément la curiosité. Entre la naissance d'une amitié sympathique à suivre, la mise en avant du pouvoir de l'imagination sous différents formes, et les prémisses de possibles enjeux bien plus graves, la lecture ne laisse pas indifférent.
Qui plus est, l'édition française qui nous est proposée est tout à fait satisfaisante avec sa jaquette blanche très proche de l'originale nippone, son papier assez souple et épais malgré une très légère transparence, une très bonne qualité d'impression, un lettrage propre, et une traduction très claire de la part d'Alexandre Fournier.