Bienvenue chez Protect Vol.1 - Actualité manga

Bienvenue chez Protect Vol.1 : Critiques Du papier au numérique

Nana no Literacy

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 30 Juin 2016

Critique 1

On ne va pas se mentir : internet a révolutionné notre monde. Que ce soit pas les services qu'ils proposent et les nouveaux métiers qu'il a permis, notre société actuelle a pris un grand tournant en l'espace de seulement quelques années. Mais s'il n'en ressort globalement que du positif, l'arrivée d'internet a également fait chuter d'autres secteurs. Nous ne rentrerons pas dans le débat de savoir si c'est bien ou mal, mais à cause (ou grâce ?) à internet, le marché de l'édition a chuté. A une heure où il devient plus simple de s'autopublier et de préférer se mettre à niveau du côté dématérialisé, comment nouveaux et anciens artistes dans le domaine du divertissement peuvent-ils s'en sortir et percer ? C'est justement ce que Bienvenue chez Protect nous propose de découvrir.

Le premier constat à faire avant de parler de l'histoire est le fait que ce manga dépeigne justement l'histoire de son auteur. En effet, Miso Suzuki est sorti du système éditorial traditionnel pour devenir un auteur qui publiait ses histoires sur le net. Grosse surprise pour lui, alors qu'il pensait que son premier livre publié ne serait vendu au mieux que 1000 exemplaires, ce sont pas moins de 50 000 volets qui se sont écoulés. Alors qu'on lui proposait de faire un livre sur son expérience, c'est plutôt vers l'adaptation manga que celui-ci s'est tourné, et si celle-ci a vu le jour en version papier, elle est également parue au format numérique.

L'histoire racontée dans ce manga est donc similaire à celle de l'auteur et adapte d'une certaine manière son récit. Nous suivons ici Nanami Konomi, lycéenne qui a trouvé un stage chez la société Protect, une boîte de consulting en médias numériques dirigée par Jingorô Yamada, considéré comme un véritable génie. Véritable visionnaire et accro à l'évolution des médias, il va directement proposer à Nanami de le suivre  pour sa première mission qui est de relancer un mangaka dont la carrière bat de l'aile. Mais à une époque où il est difficile de faire carrière et encore plus de se relancer de la sorte, le monde numérique semble être la clé vers un nouveau départ; cependant, il faut repartir sur de bonnes bases et savoir sur quelle mer on s'apprête à naviguer.

Bienvenue chez Protect se veut être un manga assez particulier. Plus que l'histoire, c'est surtout une grande flopée de renseignements qui nous attend ici. Si vous vous attendez à lire un titre à la Bakuman (qui reste cependant le manga qui doit lui ressembler le plus à ce jour), vous serez peut être déçu, car le titre est loin de proposer la même chose : ici, les personnages ne cherchent pas à créer un manga ou autre à la manière effrénée d'un shonen, mais plutôt de nous expliquer clairement ce qu'est devenu le marché du livre depuis internet, et comment un auteur peut et doit se lancer dans le monde du numérique. D'ailleurs on ne va pas se mentir, les personnages ne sont pas vraiment remarquables, servant plus d'interprètes aux idées et conseils qui veulent être transmis.

Mais le but premier de ce titre est clairement atteint : en un seul volume, nous en apprenons beaucoup sur le monde du livre et bien qu'il faille se concentrer pendant la lecture, cela reste clair et reste en mémoire. Le plus intéressant dans cette série est aussi le fait que chaque tome abordera un thème sur les nouvelles technologies, dont le second se penchera par exemple sur le monde du jeu vidéo depuis l'arrivée des smartphones. Pour ce premier volet, la petite histoire prend fin vers les dernières pages, ce qui nous permet de voir l'évolution du mangaka qui a relancé sa carrière par le numérique.

Il reste à noter qu'il faut être un peu préparé mentalement avant la lecture, car qu'on se le dise le manga nous apprend plein de choses, mais ce n'est pas non plus une lecture particulièrement fun : si le thème ne vous intéresse pas, vous avez de fortes chances de vous ennuyer, a contrario d'un Bakuman en exemple encore une fois qui lui est un shonen pur qui peut plaire même si l'on se fout du monde de l'édition japonaise. Le dessin est soigné, mais le style s'avère un peu pauvre, chose qui se justifie par le fait que l'auteur ne soit pas particulièrement un mangaka à la base (bien que du coup ça reste impressionnant d'arriver à un tel résultat en tant qu'écrivain), mais la narration elle est plutôt bonne.
Le travail de l'éditeur quant à lui est impeccable, le livre n'a pas de défaut notable et c'est agréable d'avoir présenté le titre en sachant ce qu'il nous attend dans les volets à venir.


Critique 2

Lorsque Nanami, lycéenne sérieuse en plein apprentissage, vient frapper à la porte de la société Protect, elle ne s'attend pas à tomber nez à nez avec un drôle d'énergumène, affalé par terre et se promenant dévêtu, ce qui est loin de la déstabiliser puisqu'elle balance sans broncher un verre d'eau à la figure du bonhomme. Cela dit, après cette expérience, pourra-t-elle vraiment faire confiance à ce Jingorô Yamada, directeur de cette boîte de consulting en médias numériques ? Après tout, aux côtés de sa secrétaire, Jingorô, malgré ses comportement parfois excentriques, est réputé pour être un génie visionnaire dans son domaine, et il pourrait bien le prouver dès la première mission à laquelle Nanami va participer : remettre sur les rails un auteur de manga dont la carrière est sur le déclin, en le convaincant et en l'aidant à se lancer dans cette voie en plein développement qu'est le numérique...

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir à quel point, ces dernières années, l'arrivée d'internet et des technologies du numérique a bouleversé en finalement peu de temps l'ensemble de l'univers culturel et des médias : manga, animation (avec les simulcasts, par exemple), jeux vidéo, magazine (la presse papier devant désormais prendre en compte la presse du net), systèmes de visionnage de programmes, manières d'acheter (avec l'expansion des sites de vente en ligne)... la liste est très, très longue, et les problèmes qui sont liés à tout ça sont tout aussi nombreux. Que ce soit du côté des artistes ou des consommateurs, tous doivent vivre cette transition, et la tâche est d'autant plus délicate que cette transition est en plein cours et remet en question nombre de facettes du système économique, et qu'il n'est pas forcément évident de s'y retrouver.

L'auteur Miso Suzuki, lui, a franchi le cap depuis quelques années. Sorti du système éditorial traditionnel, il a choisi de débroussailler une partie de cette vaste révolution qu'est le numérique en partageant partiellement diverses facette de sa propre expérience. Ainsi, dans chacun des trois tomes de Bienvenue chez Protect, il nous proposera tour à tour de jeter un oeil sur la transition du manga papier au manga numérique, sur la révolution vidéoludique créée par le succès des jeux sur smartphones, et enfin sur l'avenir de l'édition dans tout cela.

Autant le dire tout de suite : Bienvenue chez Protect ne se présente aucunement comme un "divertissement". La série est avant tout un manga documentaire, et il ne faut donc pas attendre de scénario à proprement parler, ni de réel travail sur les personnages. Malgré tout, Mis Suzuki s'applique à poser dès les premières pages des personnages au caractère plutôt bien trempé, entre le petit génie extravagant qu'est Jingorô, la lycéenne sérieuse qu'est Nanami, et la peu expressive secrétaire. Ils arrivent efficacement à porter l'aspect documentaire de l'oeuvre, d'autant qu'un certain encrage dans la réalité est effectué via le fait que Suzuki se mette lui-même partiellement en scène à travers le personnage du mangaka raté (qui porte son nom). Et malgré l'absence de réel scénario, on appréciera l'évolution de la jeune stagiaire Nanami dans la société, de ses premiers pas où elle a de quoi douter des compétences de Jingorô, jusqu'à la fin où elle passe un cap, a elle même beaucoup appris et a pu cerner les compétences du patron de Protect.

Le premier tome s'attaque donc au milieu du manga, via la transition du mangaka Suzuki d'une carrière en magazine qui est en déclin, vers une nouvelle carrière en numérique, à son compte, promise à un nouveau succès. Mais avant d'en arriver là, aidé par les analyses et le côté visionnaire de Jingorô, Suzuki devra passer par nombre d'étapes : se laisser convaincre que le numérique pourrait changer bien des choses pour lui l'artiste au point mort, comprendre comment il pourrait en vivre en se lançant dans un business-model finalement encore balbutiant, évoquer ses droits d'auteur avec son éditeur, apprendre à maîtriser suffisamment le numérique pour la création d'archives de son travail et l'entretien de son site... A travers le parcours de son personnage en partie alter-ego, le mangaka parvient à aborder un très grand nombre de choses, allant des relations auteur-éditeur-maison d'édition à la création numérique et à son équilibre économique, en passant même par l'impact de tout cela sur les maisons d'édition ou sur les libraires, et le danger que cela peut représenter pour nombre d'employés. En cela, la lecture demande forcément d'être très attentif. Et pourtant, on ne s'y perd jamais : avec une narration qui reste très claire et suit une grande logique, le recours si besoin est à de petits schémas très fluides, et un aspect rigoureusement documenté en plus d'être basé sur une expérience personnelle, Suzuki parvient sans grande difficulté à nous intéresser, et à nous éclaircir sur nombre de choses qu'il n'est pas toujours évident pour tout le monde de comprendre. On appréciera également le fait que, même si Suzuki se montre très clairement en faveur du numérique en tant que modèle d'avenir, il a bien conscience que nous sommes encore dans une grande période de transition (un très vaste chantier, même), et qu'il ne s'agit pas d'effacer les anciens systèmes mais plutôt de trouver un équilibre avec.

Côté visuel, le trait de Suzuki vise surtout à servir son propos : il ne faut pas s'attendre à des prouesses, hormis sur quelques plans détaillés et quelques angles de vues très sympathiques. Il y a quelques problèmes de proportion par moments et le design reste plutôt simple, mais l'ensemble a le mérite de rester clair, et on appréciera une bonne utilisation des trames.

Quant à l'édition d'Akata, elle est impeccable, portée par une traduction de Ryoko Sekiguchi qui parvient à rester parfaitement claire au milieu de termes parfois techniques (qui, rassurez-vous, sont bien expliqués).

Que l'on ait déjà les deux pieds dans les nouvelles technologies numériques, un seul, ou pas du tout, voire qu'on soit tout bonnement rebuté par tout ça, Bienvenue chez Protect est une lecture qui a beaucoup à nous apprendre, que ce soit parce qu'elle explique avec clarté et simplicité l'impact très large de cette révolution, ou parce qu'elle évoque avec intérêt de nouvelles perspectives, de nouveaux business-models et une nouvelle économie.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

16 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Kiraa7
14.5 20
Note de la rédaction