Bateau-Usine (le) Vol.2 : Critiques

Shinyaku Kanikôsen

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 13 Février 2024

A bord du Yôkomaru où ils sont employés pour la pêche au crabe, les ouvriers sont véritablement réduits à l'état d'esclaves et constamment brimés par la contremaîtresse Kujô et ses hommes, qui ne les voient que comme de la marchandise interchangeable. Dans ce climat inhumain et impitoyable où personne n'ose vraiment se rebeller pour diverses raisons (en tête, le besoin de travailler pour avoir de l'argent et nourrir sa famille), Luca fait un peu figure d'exception: sentant quelque chose bouillir en lui depuis que Kujô a abattu don ami d'enfance Shû, il n'hésite jamais à faire face et à voler au secours de ses camarades, le tout agaçant la contremaîtresse qui attend patiemment qu'il fasse un faux-pas...

Libre réinterprétation futuriste du célèbre roman prolétarien Le Bateau Usine de Takiji Kobayashi, qui pourrait presque être plutôt vue comme une sorte de suite spirituelle se déroulant dans un futur chaotique, le manga de Shigemitsu Harada et de Shinjirô se poursuit ici essentiellement autour de trois idées successives, à commencer par l'évocation des injustices entre classes sociales dès lors que le Yôkomaru fait escale au Port, cité tout en verticalité qui repose sur l'exploitation des opprimés, avec en-dessous des nuages les pauvres malmenés, et au-dessus des nuages les riches qui ignorent bien souvent la situation. C'est dans ce cadre que Tajima, un étudiant à l'université impériale venu d'au-dessus des nuages, s'engage pour mener secrètement un documentaire sur les conditions de travail déplorables des pauvres. Mais si son but initial semble a priori louable, qu'en est-il exactement ? Honnêtement, tout le passage sur le cas de Tajima peine à convaincre, non seulement car c'est abordé si vite que le personnage apparaît trop rushé et caricatural, mais aussi parce que les auteurs dévient sur d'autres considérations liés aux besoins sexuels sur le navire, avec ce que ça peut impliquer de viols, pour un résultat sans la moindre subtilité mais ayant au moins le mérite de rester bourrin sous le dessin de Shinjirô, si jamais vous appréciez ça. Si bien qu'à l'arrivée, on ne retient rien de spécial concernant le projet de Tajima, qui aurait sans doute pu amener certains sujets avec plus d'impact.

Le deuxième élément important du tome est à chercher, bien sûr, dans la place que Luca continue de prendre au gré des chasses aux monstres (à ce niveau-là, on ne peut plus parler de pêche au crabe, quand des tourteaux mutants, des oursins géants et des manchots bodybuildés s'en mêlent... si si), des épreuves que Kujô lui réserve et des ambitions qu'elle a à son égard, la jeune femme semblant bien décidée à le briser. C'est on ne peut plus classique mais c'est orchestré de façon suffisamment prenante et intense, en dégageant surtout les valeurs solidaires que conserve Luca, ne serait-ce que vis-à-vis des autres ouvriers.

Enfin, l'autre cas intrigant du volume vient du personnage de Yûri, tout juste sauvé par Luca à la fin du tome 1 et suscitant la méfiance de Kujô. Unique rescapé de l'Okachimaru où a éclaté une émeute sous l'impulsion des communistes (ce qui sera l'occasion d'exposer vite fait le contexte passé et présent de ce monde autour de la grande lutte entre capitalistes et communistes), cet homme, derrière certaines lubies sexuelles trop envahissantes de la part des auteurs, semble surtout ne pas être là par hasard et avoir de grands projets pour Luca, chose qui se confirme sans réelle surprise. Il restera à voir exactement ce que réservera alors ce personnage par la suite.

En attendant, ce deuxième tome a de quoi diviser, et plaira ou non selon les goûts. On peut éventuellement se laisser conquérir par le goût de révolte, se laisser avoir par le côté très nanar du machin (mention spéciale aux manchots bodybuildés) ou par sa part de divertissement bourrin, rire jaune face à certains délires... La seule chose sûre, c'est qu'on imagine facilement Takiji Kobayashi se retourner dans sa tombe s'il voyait ce que son si sérieux et important roman devient ici.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
12 20
Note de la rédaction