Au rythme de mon ruban Vol.1 : Critiques

Yûnagi ni mae, boku no ribbon

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 22 Octobre 2025

Toujours désireuses d'explorer les questions de diversité et d'acceptation de ce qui sort des normes de la société, les éditions Akata nous ont proposé de découvrir, ces derniers mois, la courte série Au Rythme de mon Ruban, dont le premier tome est sorti en France en juin dernier, tandis que le deuxième et dernier volume est arrivé en août, qui plus est dans leur trop rare collection Small qui, à l'image de titres comme Le secret de Madoka de Deme Kingyobachi et Leo de Moto Hagio, vise à toucher tous les publics dès le plus jeune âge.

De son nom original "Yûnagi ni mae, boku no ribbon" (que l'on pourrait traduire à peu près par "Danse lors du calme soir, mon ruban" ), cette oeuvre fut initialement prépubliée au Japon entre 2018 et 2020 dans le prestigieux magazine Harta d'Enterbrain/Kadokawa, magazine généralement réputé pour la patte graphique très personnelle et aboutie de ses artistes, à l'image de Kaoru Mori (Bride Stories), Aki Irie (Dans le sens du vent) ou encore Takuto kashiki (minuscule). Il s'agit là de la toute première série de la carrière de Yumi Kurokawa, mangaka qui avait auparavant signé quelques histoires courtes.

Ce manga s'ouvre sur des toutes premières pages peut-être prophétiques, où un jeune homme monte sur scène, devant un certain public étonné, pour exercer avec passion et talent la pratique qu'il adore et qui est normalement exclusivement féminine: la gymnastique rythmique. Ce garçon, il s'agit de Rintarô Haneda, et nous allons ensuite précisément suivre son histoire depuis ce jour de 1984 où, dans sa ville de Hiroshima, il a vu naître en lui cet intérêt normalement peu commun pour un garçon. Depuis la mort de sa mère, celui qui n'est encore qu'un petit garçon de primaire à ce moment-là a en quelque sorte perdu goût à la vie. A la maison, entre son deuil très difficile, ses nombreux pleurs et la façon dont son père pêcheur, lui-même devenu taciturne, le rabaisse sans cesse et le traite de femmelette, il n'a pour seul soutien que sa grande soeur Mika qui s'inquiète de le voir si terne. Et à l'école, à cause de son côté effacé et du fait qu'il n'a plus de maman, il est moqué et brimé par certains camarades de classe et ne doit son salut qu'à son amie Nodoka, qui le défend toujours. C'est dans ce contexte que, en cherchant un endroit où se planquer pour être seul et en arrivant à un sanctuaire, il tombe sur une vision hypnotique: celle de sa jeune enseignante, madame Samejima, en train de danser avec un ruban, à la faveur de la Lune. Marqué par cette vision, il fuit puis, le lendemain, voit la jeune femme donner un cours de gymnastique rythmique à Nodoka. Se sentant à nouveau fasciné par les gestes gracieux qu'il voit, il sent alors naître en lui le désir de, lui aussi, pratiquer cette activité...

Quelque part entre le film Billy Elliot pour le parcours et l'acceptation d'un petit garçon dans un univers généralement jugé exclusivement féminin, et des mangas comme Running Girl ou Subaru pour la façon dont la passion permet au personnage principal de faire face aux épreuves, d'affronter ses démons, d'exprimer ses émotions et de trouver sa voie, Au Rythme de mon Ruban séduit d'emblée car, sauf si l'on n'a pas de coeur, voir cet enfant meurtri et mal dans sa peau trouver son épanouissement, quitte à se confronter aux obstacles dictés par les normes, a quelque chose de touchant et d'inspirant. Et même si, certe, il existe de la gymnastique masculine, de son côté c'est bel et bien dans la gym féminine qu'e Rintarô se sent bien.

Dans cette optique, bien sûr, Yumi Kurokawa s'applique à rendre le cadre de la gymnastique rythmique suffisamment immersif, au gré d'un dessin riche en belles envolées captivantes, de petits détails techniques et d'entraînements: travailler sa souplesse, son équilibre, ses mouvements, son sens de la chorégraphie, et son utilisation des accessoires propres à cet art (ballon, cerceau, massues, et surtout le ruban qui le passionne), sont autant de choses sur lesquelles le jeune garçon doit s'appliquer, pour un résultat fort puisque, alors même que madame Samejima n'hésite pas à être sévère car elle a vite conscience de son talent singulier, Rintarô ne s'arrête pas à ses leçons et travaille et s'entraîne aussi beaucoup de lui-même, bien aidé par le contexte des récents Jeux Olympiques de Los Angeles où la gymnastique rythmique était représentée pour la première fois. Simplement, on sent constamment que cet enfant a réellement trouvé ce qui lui plaît, qu'il reprend goût à la vie, qu'il déniche même dans cet art un moyen de faire le deuil de sa mère et de l'honorer... Simplement, il redevient plus joyeux et heureux pour la première fois depuis longtemps, pour la plus grande joie de Nodoka et de Mika qui, l'une dans le cadre scolaire et l'autre dans le cadre familial, veillent à leur manière sur lui face aux différentes épreuves.

Car des épreuves, forcément, il y en aura des très impactantes dans le début de parcours du jeune garçon. Au-delà des pures avancées dans sa passion, il devra se frotter à des problèmes d'ordre pratique comme l'achat d'un équipement assez cher, et plus encore au regard que l'entourage peut poser sur sa manière de sortir des normes, lui qui se retrouve à exercer en tant que garçon une pratique que beaucoup de monde considère comme féminine. Ainsi, à l'école, il lui faut composer avec le regard de ses camarades qui trouvent d'abord ça écoeurant... mais eux-mêmes savent-ils exactement pourquoi ils pensent ça ? Mais c'est surtout à la maison que le plus difficile a lieu: face à un père lui-même brisé par la mort de son épouse et qui s'est beaucoup replié sur lui-même en ne pensant plus qu'à son travail de pêcheur, il veut déjà tracer le futur de son fils dans la pêche et rien d'autre, semble avoir une vision très affirmée de ce que doit être un "vrai" homme... et la relation conflictuelle entre le père et le fils devient alors un leitmotiv central du récit. Cachant d'abord à son père qu'il fait de la gym car il se doute très bien de la réaction qu'il aurait, finissant par s'affirmer en lui avouant la vérité, restant toujours soutenu par Mika qui cherche à rester un liant entre eux, Rintarô captive dans son désir de s'émanciper et de trouver sa place, tout en souhaitant recoller les morceau avec cette figure paternelle auprès de qui il souhaite naturellement être reconnu et accepté.

C'est alors, au bout de cet épais premier tome d'environ 270 pages, une lecture saisissante, poignante et inspirante que nous offre Yumi Kurokawa, si bien qu'on en découvrira avec beaucoup d'intérêt la suite et fin dans le deuxième et déjà dernier volume, en espérant que ce total de deux opus soit suffisant pour bien tout traiter !

Enfin, du côté de l'édition française, c'est du tout bon: Clémence Aresu adapte fidèlement la jaquette japonaise d'origine tout en ayant conçu un logo-titre soigné, Aline Kukor-Pitas livre une traduction particulièrement soignée, claire et naturelle, Elsa Pecqueur propose un lettrage très propre, l'impression est de bonne qualité, et le papier allie souplesse, épaisseur et opacité.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction