Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 02 Mai 2025
En début d'année 2024, les éditions IMHO nous faisaient découvrir tout le talent de la mangaka Machiko Kyô avec le bouleversant Cocon, et c'est donc avec beaucoup d'intérêt qu'on la retrouve en ce printemps chez l'éditeur avec Le Journal de Hanako, une série en deux tomes qui provient elle aussi du magazine japonais Elegance Eve des éditions Akita Shoten, dans lequel elle fut initialement prépubliée entre 2011 et 2013.
De son nom original "Anone,", cette oeuvre est le deuxième volet (après Cocon) du triptyque "Girl x War x Fantasy" de la mangaka, et est librement inspirée de l'histoire d'Anne Frank pour nous conter l'histoire de Hanako, une adolescente qui, pendant la guerre, est obligée de se cacher dans les pièces secrètes d'une maison avec sa famille pour tenter d'éviter le pire. C'est ainsi que l'on va suivre le quotidien de la jeune fille avec les siens dans ces quelques pièces dont ils ne peuvent plus sortir en cette période de guerre, avec tout ce que cette cohabitation va pouvoir impliquer: la découverte de ses rêves de devenir actrice (d'autant que tout le monde l'a toujours complimentée pour sa manière naturelle de capter l'attention) et écrivaine, les premières règles inévitables à son âge, son éveil à un premier amour avec un garçon lui aussi réfugié là, ou encore les petites rixes avec sa grande soeur, sont autant de signe que Hanako, même dans cette situation critique, reste avant tout une jeune fille parmi d'autres, avec son lot de petits moments durs ou doux du quotidiens, des rêves pleins la tête et, normalement, toute la vie devant elle. Mais comme nous le rappelle toujours le Journal d'Anne Frank, il en sera malheureusement tout autre, et cela dès une dernière partie de tome qui change de ton d'une façon marquante et terrible, inévitablement.
Néanmoins, étant librement inspiré du Journal d'Anne Frank, Le Journal de Hanako n'en est évidemment pas une adaptation stricte, loin de là, l'écho aux célèbre écrits de la jeune fille juive semblant surtout être un moyen pour Machiko Kyô de rendre sa propre oeuvre plus percutante en la rattachant à notre réalité. Les différences sont donc nombreuses, surtout à travers une idée: pas de Juifs persécutés par les Nazis d'Hitler ici, mais des Orientaux persécutés par L'Empire de l'Ordre Nouveau dirigés par un mystérieux Guide Suprême. Mais c'est encore une autre idée qui vient intriguer, à savoir les rencontres en "rêve", dans une boîte, de notre héroïne avec Tarô, un étrange jeune garçon qui, peu à peu, se révélera avoir un lien avec un certaine "Führer"... A partir de là, chaque fois que la mangaka va s'intéresse un peu plus à ce Tarô et révéler différents aspects de son enfance, de son passé, il sera difficile de ne pas y voir une certaine référence à Hitler et à ce qui l'a potentiellement conditionné à devenir le très triste personnage historique que l'on connaît. Un aspect intéressant, dont on attendra de voir l'évolution dans le deuxième et dernier tome.
A part ça, soulignons aussi, tout comme dans Cocon, l'incroyable talent de cette dessinatrice pour jouer sur des visuels en contrastes, tant la douceur, la naïveté, la blancheur de son style est en totale opposition avec les atrocités qui se jouent. Ajoutons à cela l'éternelle joie de Hanako qui reste aussi insouciante que possible tant qu'elle le peut, et on obtient quelque chose de déchirant dès que c'est l'horreur qui prend le dessus.
Alors, après le bouleversant et indispensable Cocon, ce premier volume du Journal de Hanako commence puissamment, via une réinterprétation très libre du Journal d'Anne Frank où l'autrice nous immisce déjà avec force dans les pires atrocités de la Deuxième Guerre mondiale, en jouant très bien sur le contraste entre le drame et l'horreur de la situation et la part de naïveté de son style graphique.
Et côté édition française, la copie est satisfaisante: la couverture est bien dans le ton de l'oeuvre, le grand format est appréciable pour ce genre de titre, le papier est souple et assez épais, l'impression est convaincante, le lettrage est sobre et propre, et la traduction d'Aurélien Estager sonne toujours juste.