Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 09 Avril 2024
Toujours très éclectique, le catalogue des éditions naBan profite du printemps pour s'enrichir d'une romance dramatique princière avec la série "Anna et le Prince d'Albion" de la mangaka An Ogura, une œuvre qui était déjà disponible chez nous au format numérique via la plateforme Piccoma. Quelque temps après "L'aigle écarlate et le yéti", c'est donc la deuxième fois qu'une série de l'éditeur de lecture en ligne passe au format relié via naBan, permettant aux œuvres de s'accaparer d'un nouveau public et aux fans de les avoir chez soi, définitivement.
C'est en 2022 que la série voit le jour, sous le titre original "Urareta Henkyô Haku Reijô wa Ringoku no Ôtaishi ni Dekiaisareru", sur le site Monster Comics des éditions nippones Futabasha. En parallèle, elle est aussi publiée au format numérique sur des plateformes telles que Cycomi ou Cmoa. À ce jour, 6 tomes ont été publiés. Et concernant son autrice, il s'agit là de sa toute première série professionnellement publiée, An Ogura ayant déjà eu des expériences sur des anthologies en 2019 et 2021.
Anna est la deuxième fille de la famille Halmich, une lignée de nobles particulièrement importante dans la région. Son père, le compte Isaak, est sans aucun doute le militaire le plus important du pays. Loin de rêver d'une vie de parfaite épouse d'un bon parti, Anna aspire plutôt à rejoindre son père sur le champ de bataille. Mais en tant que femme, ses espoirs sont bien vains, et la jeune femme est vue comme une marginale par rapport à ses deux sœurs qui répondent aux standards de la société.
Mais le cours de son destin change suite à une bataille dramatique entre le Margraviat Halmich et le royaume d'Albion, le pays voisin. Pour sauver le pays, Anna doit être envoyée en tant qu'épouse, seul moyen de calmer les hostilités. Mais si cette dernière approuve totalement le plan, ce n'est pas par désir d'aller jouer la parfaite épouse avec le prince d'un pays ennemi. Anna aspire à la vengeance, et compte exploiter sa fougue pour infiltrer le royaume d'Albion et ôter la vie à ceux qui ont mené à cette situation.
Les romances et drames princiers aux influences européennes et historiques représentent un véritable genre qui n'a peut-être jamais aussi bien marché qu'aujourd'hui. L'œuvre d'An Ogura est de cette veine, et la mangaka parvient à nous offrir un premier volume qui sort du lot par une succession d'atouts qui n'ont aucun mal à capter notre intérêt.
C'est d'abord son héroïne, Anna, qui a toute notre sympathie. Si la figure de la princesse vaillante est un véritable archétype, le personnage principal de la série est une vraie guerrière dans l'âme, justifiant ses entreprises et créant un vrai sentiment d'empathie pour elle, ainsi qu'un vrai désir de la voir réussir dans la mise en échec do royaume d'Albion. Autour d'elle, c'est un début d'intrigue ponctué de drames et de différents retournements de situation qui viennent nous tenir en haleine. Une réussite autant due au bon équilibre de la gestion de l'arrivée de ces éléments scénaristiques que par les rebondissements eux-mêmes, tant certains viennent parfois redéfinir les enjeux. C'est avec le prince Kenneth, qui ne pointe pourtant le bout de son nez qu'à la moitié de l'ouvrage, que le périple d'Anna gagne en densité, en ampleur et par conséquent en intérêt.
Pourtant, là aussi, le schéma est particulièrement classique. L'intrigue cible deux personnages nettement opposés, mais voués à devenir fiancés. D'un côté, une héritière de noble au tempérament d'une guerrière, et de l'autre le prince héritier sournois de la nation ennemie, dont il semble difficile d'entrevoir les réelles motivations. Pourtant, An Ogura n'hésite pas à glisser des petits indices ainsi que différentes subtilités qui aident au duo à ne pas tomber dans la caricature. Certaines séries populaires récentes (citons par exemple "Nina du Royaume aux Étoiles") ont joué sur un façonnement scénaristique similaire, mais la présente œuvre aborde le duo central avec plus de décalage et moins de sentiments, du moins pour le moment. Ce qui ne l'empêche pas d'aborder son début d'aventure avec une certaine dose d'humour parfaitement marquée par les différences entre Anna et Kenneth dont les rapports fonctionnent particulièrement bien. Sur fond d'un contexte politique qui promet certaines surprises et quelques éventuelles complexités, les deux personnages centraux donnent l'envie d'être suivi dans leur relation ou dans leur périple dont on ne connaît pas encore la forme véritable. Pour ça, l'amorce du titre est particulièrement bonne, et naBan a eu raison de proposer les deux premiers tomes en simultané, tant on a l'envie d'en savoir plus.
Il est aussi à noter toute l'aise d'An Ogura pour représenter visuellement son œuvre. Si la mangaka propose ici sa toute première série, son style plein de finesse a de quoi séduire, de même pour ses personnages expressifs et sa narration qui se révèle ponctuellement très dynamique. Une narration toujours bien dosée pour faire passer ces premiers moments d'un registre à l'autre, du drame à l'humour notamment. On reprochera peut-être quelques mines de personnages très caricaturales sur la première moitié, mais la forme de l'intrigue l'exigeait aussi pour être convaincante.
Du côté de l'édition, naBan offre un travail soigné, ce qui est une coutume chez l'éditeur. Là est l'avantage d'un indépendant qui ne répond pas aux impératifs d'un grand groupe : avoir la mainmise sur toute la fabrication, pouvant établir elle-même l'équilibre entre la conception et le budget. Nous avons donc affaire à un ouvrage au papier bien solide, une maquette de couverture qu'on pourrait juger de plus réussie que l'originale grâce à son côté moins chargé et au logo de Raphaele Fontvieille, à une traduction d'Elea Herbin particulièrement à l'aise, et un lettrage bien calibré travaillé par Florent Faguet et Loric Bozzoli.