Amants sacrifiés (les) Vol.1 - Actualité manga
Amants sacrifiés (les) Vol.1 - Manga

Amants sacrifiés (les) Vol.1 : Critiques

Supai no Tsuma

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 06 Octobre 2022

Masasumi Kakizaki est un auteur épatant par son trait, que nous prenons plaisir à suivre depuis Rainbow en France, et qui nous a régalé ces dernière années avec Bestiarius, fresque épique certes classiques mais ô combien dépeinte visuellement avec efficacité. Le retrouver est donc un petit bonheur à chaque fois, aussi l'annonce de l'un de ses derniers travaux en date, Les Amants Sacrifiés, ne fait pas exception.

A l'origine du projet, il y a un film, Spy no Tsuma de Kiyoshi Kurosawa, qui valu au réalisateur un prix à Venise en 2020. L'œuvre a eu droit à une sortie en salle en décembre 2021, suivi d'une parution DVD et Blu-ray chez arte Editions en avril dernier. L'adaptation manga de Kakizaki en 2020 dans la revue Sunday GX des éditions Shôgakukan, et s'achèvera l'année suivante avec son deuxième opus. Chez nous, c'est Ki-oon qui récupère les droits de la courte œuvre, pour nous la proposer dans un ravissant grand format dont le premier opus est paru en ce début d'octobre 2022. Il faut dire que l'éditeur est loin d'être un novice avec l'artiste, puisque c'est bien chez Ki-oon que nous avons pu retrouver Hideout, puis Green Blood.

L'histoire débute en 1940. Tandis que la Seconde Guerre Mondiale fait rage, le Japon est sur le point d'entrer lui aussi dans le conflit. C'est dans ce contexte que Yusaku Fukuhara gère son entreprise de commerce international, à une heure où les contacts avec l'occident sont de moins en moins bien vus. En dehors de ça, Yusaku a tout pour être heureux : Une bonne situation, et surtout Satoko, sa femme aimante et attentionnée.
Pour les affaires, Yusaku doit s'absenter plusieurs mois, et son retour signera le début des inquiétudes pour Satoko. Dès lors, son mari paraît étrange et semble cacher un secret lié à la mort récente d'une jeune femme... Mais qu'en est-il ? Et que ferait la jeune femme si ce que trame son mari avait un lien avec l'issue de la guerre ?

Avec Les Amants Sacrifiés, c'est dans le drame historique que nous retrouvons avec joie Masasumi Kakizaki. Il faut dire que Raibow, manga scénarisé George Abe, avait laissé un souvenir fort tant ce récit d'une bande de jeunes laissés pour compte dans le cadre de l'après guerre avait de quoi marquer. Le mangaka s'attaque cette fois à l'adaptation du film de Kiyoshi Kurosawa sur une œuvre courte, aussi ce premier tome condense toute une moitié de récit. C'est ainsi que l'ouvrage ne perd jamais son temps et sait planter son intrigue avec efficacité, contextualisant le conflit comme la situation du couple Fukuhara vouée à se dégrader au fil des pages. Et si le mangaka semble aller assez vite sur de nombreux points, la narration ne laissant guère le temps de souffler, c'est aussi pour traiter un scénario à suspense avec habilité. De l'image du foyer modèle aux soupçons de Satoko envers son mari, la descente aux enfers se fait sur un rythme excellent. Par cette cadence, difficile de trouver le moment pour s'interroger en profondeur, le lecteur devant alors suivre le récit du point de vue d'une Satoko dont l'image de femme radieuse est souriante est peu à peu brisée par ses découvertes.

Au-delà du récit à suspense, de ses révélations et du véritable jeu de dilemme dépeints, tant on ne sait jamais vraiment vers qui l'héroïne s'apprête à se tourner lors de ses trouvailles, Les Amants Sacrifiés est un titre qui questionne déjà sur de nombreux points. En premier lieu, l'importance ou non du patriotisme de guerre, amenant une ambiguïté pertinente du côté des enjeux. Un patriotisme qui se teinte d'un nationalisme quasi fascisant, rendant le quotidien du couple pesant à chaque fois que son intégrité est remise en question. La guerre est ainsi traitée par le prisme de la politique et des populations, l'intrigue initiale écrite par Ryûsuke Hamaguchi traitent le repliement sur soi dans un contexte cruel, voire fatal. A l'heure où de nouvelles guerres se déroulent non loin de nous, ces sujets apparaissent comme particulièrement pertinents, aussi il y a de quoi éprouver la hâte de découvrir comment le récit apportera une résolution.

Bien entendu, le récit se dévore aussi pour le style de Masasumi Kakizaki, dont la patte fouillée et dense est toujours un régal. Toujours très expressif, parfois viscéral dans sa narration quand il s'agit de montrer les tourments de ses personnages, l'auteur se montre une nouvelle fois convaincant. En guise de nouveauté, il fait le choix d'intégrer de véritables morceaux de photographie pour illustrer le contexte d'époque, sans que cela ne créé de rupture visuelle. Une initiative pertinente qui contribue à la gravité de ton de ce premier tome, et qui n'a donc rien d'une quelconque simplicité artistique.

Alors, cette première moitié s'impose comme une réussite, de par son suspense, cette histoire dramatique au sein d'un couple qui nous paraissait parfait, le tout en traitant en filigrane de la guerre, de la propagande et du patriotisme avec efficacité. Attendre le second tome, et donc la fin de l'histoire, sera éprouvant, aussi il n'y aurait rien d'absurde à se jeter sur le film de Kiyoshi Kurosawa, ne serait-ce pour découvrir l'oeuvre d'origine et l'histoire sous un jour cinématographique.

Côté édition, Ki-oon livre une belle copie avec un grand format et un papier épais d'un bel effet. La traduction de Sylvain Chollet amène un admirable rendu de la tension et des enjeux dramatiques, le tout appuyé par l'adaptation graphique claire et bien calibrée du Studio Charon.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction