Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 17 Mai 2022

Chronique 2 :

Le catalogue des éditions Mangetsu s'étant ouvert avec l'excellent Ao Ashi de Yûgo Kobayashi, il est presque logique de voir que le manga de sport de fraie une place de choix parmi les titres de l'éditeur. Plusieurs manga de sport, ou présentant une discipline sportive, ont ainsi garni l'offre de la jeune maison, dont Ping Kong, tandis que le basketball sera représenté avec Deep 3.

En octobre 2021, Mangetsu annonce un titre prometteur : All Free!. Seconde œuvre du mangaka Terubo Aono (qui a fait ses débuts avec la courte série Delivery Ojisan dans le Shônen Jump+), le titre a pour particularité de se diviser actuellement en deux parties, la seconde saison étant en cours de prépublication depuis l'année dernière sur la plateforme Web Action de l'éditeur Futabasha. Mais l'aventure commença en 2020, sur ce même site de prépublication, avec une première série achevée en deux tomes. Ainsi, c'est au mois d'avril que l'éditeur français proposa ces deux volumes, en simultanée, de quoi laisser le temps à la parution japonaise de la deuxième série de progresser en attendant que celle-ci soit proposée dans nos contrées.

Collégienne, Jun Mifune a l'amour du judo dans le sang. Et pour cause, elle est une descendance de Kyûzo Mifune, un maître de la discipline que l'on disait capable de mettre au tapis n'importe quel adversaire, quand bien même depuis le gabari de celui-ci, comparé au « dieu » qui figurait parmi les poids légers. Si Jun veut plus que tout suivre la voie de son grand-père, ce n'est plus le cas de son oncle, Hayaki Mifune, champion s'étant retiré du monde du judo après s'être blessé quand, lui aussi, suivait le chemin de Kyûzo Mifune. Alors, l'adolescente va tout mettre en œuvre pour redonner à son oncle l'amour du judo, afin que celui-ci la prenne sous son aile.

Partant d'une figure qui a réellement existé, celle de Kyûzo Mifune, Terubo Aono nous propose un démarrage particulièrement fort, parce que son héroïne est forte. Jun ne laisse pas indifférent le lecteur, et ce dès les premières pages : Vaillantes, dotée d'un talent inouï, sa passion transcende le récit, si bien que celui-ci ne met pas tant de temps que ça à atteindre son premier objectif. Etant donné le découpage de la saga, le mangaka semble nous proposer une origin story, le premier volet d'une aventure initiatique à travers laquelle Jun devra s'affirmer sur la voie du judo, et ce contre les a priori et règles qui façonnent le milieu.

Car au-delà du sport, il y a tout un discours presque sociétal qui se glisse dans All Free, dès les premières pages. Parce que Jun est une femme, alors le judo qu'elle doit pratiqué est soumis à des normes. Alors, l'attachement de l'héroïne envers son ancêtre est davantage un moyen pour le mangaka de briser les barrières, plus que pour créer une véritable mythologie du judo. Ce premier tome est alors l'occasion de savourer l'ascension de Jun, d'apprécier son talent et sa capacité à se relever, comme celle de se frotter aux règles strictes de la discipline qui, comme bien d'autres, ne laisse guère la genre féminine se confronter aux hommes. Et si l'exercice est, pour l'heure, réussi, c'est aussi par la capacité de Terubo Aono a nuancer sans cesse le milieu, à travers différents sportifs qui permettront à l'héroïne d'adopter un regard plus vaste, sans pour autant renier ses convictions.

Fort dans son propos, ce premier volume l'est tout autant dans son atmosphère. Si l'idée du « sang bouillonnant » imprègne bien souvent le manga de sport, notamment parce qu'il est régulièrement question du surpassement de soi, All Free le fait avec une identité certaine, due aux talents de dessinateur et de narrateur de Teruno Aono dont l'expérience sur Delivery Ojisan a dû marquer le lectorat nippon. Outre la densité et la précision de son trait, l'auteur nous sert une narration particulièrement vive dont la force est de nous montrer des enchainements effrénés de prises sans jamais nous perdre, que ce soit dans le découpage ou les explications. Assez pointu (dans le sens où le lecteur n'est pas guidé à travers un didacticiel du judo), le récit se montre pourtant compréhensible pour le plus grand nombre. Pour preuve, votre serviteur totalement néophyte en la matière s'y est plongé comme il se doit.
Condensé d'éléments forts du manga sportif, par son côté nerveux ou son héroïne guidée par des ambitions et une morale, appuyé par la patte si stylisée de son auteur, All Free démarre d'excellente manière et se dévore avec un premier gros opus de plus de 230 pages qui se dévore sans mal. Mieux que ça : On en redemande, et on a hâte de voir de quelle manière le second volume achèvera la première partie de l'histoire de Jun. Fort heureusement pour nous, Mangetsu a eu la bonne idée de publier les deux volets en même temps.

Saluons aussi le joli travail éditorial, que ce soit le papier fin mais qualitatif qui permet la bonne tenue d'un tome « simple » finalement bien épais, le lettrage d'excellente facture de Cindy Bertet, la traduction limpide de François Boulanger qui retranscrit avec clarté un univers sportif si riche, et une maquette de couverture signée Haikel « Luchisco » B qui signe une belle jaquette garnie d'un logo inspiré et en phase avec son sujet !


Chronique 1 :

Après l'excellent Ao Ashi il y a bientôt un an puis, dans un registre beaucoup plus décalé, le plutôt décevant Ping Kong début mars, le catalogue des éditions Mangetsu accueille, en ce début de mois d'avril, un troisième manga sportif, et cette fois-ci c'est le judo qui est à l'honneur avec All Free!. Signée Terubô Aono, un mangaka dont c'est la première oeuvre longue et qui a commencé sa carrière en 2019 en dessinant le court manga Delivery Ojisan sur un scénario de Yû Oka, cette série est prépubliée au Japon depuis 2020 en numérique sur le Web Comic Action des éditions Futabasha, et il s'agit d'ailleurs de la première collaboration de Mangetsu avec cet éditeur légendaire. Mais pour être plus précis, il faut noter que, dans son pays d'origine, l'oeuvre se divise en deux saisons: la première saison, nommée au Japon All Free! - Zettai! Musabetsukyû Chôsen Joshiden, est d'ores et déjà achevée en deux volumes, tandis que la saison 2, All Free! - Musabetsukyû Chôsen Joshi Honden, a démarré l'année dernière et ne compte à ce jour qu'un seul tome. Fort logiquement, après avoir sorti simultanément les deux tomes de la saison 1 ce mois-ci, Mangetsu proposera plus tard la saison 2.

All Free! démarre sur une scène assez forte où dans un tournoi de judo masculin, une jeune fille d'à peine 15 ans balance dans les airs un homme trentenaire a priori bien plus robuste qu'elle. Le nom de cette adolescente ? Jun Mifune. La raison pour laquelle elle ne se bat pas chez les femmes et préfère se confronter aux hommes ? Eh bien, c'est parce qu'elle veut prouver à quelqu'un en particulier que le judo c'est génial, et que la liberté que ce sport offre est sans égal. Et cette personne, il s'agit de son oncle Hayaki, l'homme qui lui a fait aimer ce sport, qui prenait d'assaut toutes les catégories autrefois malgré son poids de moins de 60kg, qui a remporter de nombreux titres y compris sur le plan mondial en entrant dans la légende, et qui a pourtant dû prendre sa retraite dix ans auparavant après une blessure face au champion français David Ours. Ayant visiblement sombré après sa blessure au point d'être quasiment dégoûté du judo, Hayaki a même décidé, il y a quelques mois, d'arrêter de présider le comité d'organisation du tournoi Kyûzô Mifune en disant, de façon choquante pour Jun, qu'il en a marre et que le judo est un sport ennuyeux. Alors depuis, la jeune fille compte bien le réveiller en lui démontrant les vertus du judo sur le ring. Il en va aussi de leur fierté de descendants de Kyûzô Mifune, un judoka ayant bel et bien existé (1883-1965) et étant considéré comme l'un des plus grands techniciens de l'histoire de ce sport !

Le judo a beau être un sport particulièrement reconnu au Japon (d'autant que le pays est le berceau de cet art martial) et en France, les mangas qui l'abordent ne sont pas forcément monnaie courante dans notre pays: on peut notamment évoquer l'inégal mais sympathique Uchikomi!! chez Pika et, bien sûr, le manga culte Yawara! de Naoki Urasawa chez Kana, mais ça s'arrête à peu près là. On accueille donc All Free! avec beaucoup d'intérêt, et cet intérêt se confirme bien vite tant, au fil de ce premier volume, on sent que Terubô Aono maîtrise son sujet. A cela, rien d'étonnant: le mangaka est lui-même ceinture noire de judo, et il va donc de soi qu'il en connaît profondément les rouages, ce qui lui permet ici de faire quelques prouesses. Prouesses visuelles, tout d'abord, car il faut bien avouer que le dessinateur livre un dessin qui, en plus d'être toujours pêchu à souhait et intense, se veut assez précis et limpide dans les mouvements, dans les techniques mises en scène, le tout sans jamais se vouloir rébarbatif en explications. Mais aussi prouesses dans le réalisme et la connaissance de ce sport: Aono nous en fait très bien cerner les rouages, les spécificités, la mentalité du judoka (entre autres, savoir toujours se relever des échecs pour avancer), en faisant notamment bien ressortir, à travers son héroïne, que la force et la vitesse n'y font pas tout et qu'il faut aussi peaufiner, par exemple, son mental, sa stabilité, ses feintes, ses techniques, ses mouvements.

Et justement, parlons à présent de cette héroïne, un atout-charme indéniable de ce début d'oeuvre. Véritable battante dans l'âme, la jeune Jun ne se laisse aucunement intimider, est déterminée à atteindre son but premier, et a donc décidé de concourir parmi les hommes, bien qu'elle soit une fille, qui plus est de seulement 15 ans. Au fil des chapitres composant cet épais premier volume de plus de 230 pages, on verra certes qu'elle a encore des progrès à faire et qu'elle manque forcément d'expérience, mais elle n'en ressort jamais défaitiste (une vraie mentalité de judoka, pour le coup), est décidée à prouver que la carrure ne fait pas tout dans ce sport, compte bien surpasser la force masculine par d'autres choses comme la technique, et veut montrer que le genre, le gabarit, l'âge, l'ethnie n'ont aucune importance sur le tatami, car être le plus fort ou la plus forte (pas uniquement physiquement) est tout ce qui compte. A l'image du passionné Ashito Aoi d'Ao Ashi (pour rester sur un autre manga sportif de Mangetsu), on se laisse alors happer par la passion, la fougue, la volonté que dégage la jeune fille. Et il va de soi qu'au fil de ses premières péripéties (comme un "entrainement" avec le champion japonais des poids super-légers, qui compense son petit gabarit par sa musculature très développée), l'aventure de Jun ne va plus se limiter au désir de faire revenir son oncle: elle devrait réellement tracer sa propre voie, montrer son judo à un plus grand public, et ouvrir la voie à d'autres judokas.

A l'arrivée, All Free! démarre sur les chapeaux de roue, le récit étant très bien porté par son héroïne forte et passionnée, par la maîtrise visuelle de Terubô Aono, et pas ses grandes connaissances sur ce riche art martial qu'est le judo. Autant dire que l'on lira la suite avec tout autant d'intérêt !

Cette chronique ayant été réalisée à partir d'une épreuve numérique fournie par l'éditeur, pas d'avis sur l'édition.

  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

16 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction