Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 20 Juillet 2022

Trois ans après son premier essai dans le registre du manga avec le sympathique Mary Kimpride, l'artiste français Djiguito, qu'on ne présente plus au vu de sa notoriété désormais bien établie, est revenu en ce mois de juillet 2022 avec un deuxième projet dans le genre, sorti tout juste pour Japan Expo sur son stand, toujours en auto-édition, après avoir connu un financement participatif auréolé de succès il y a quelques mois sur Ulule (193% de l'objectif atteints !), et avant son arrivée prochaine sur le site www.sanouss.com (la boutique de l'auteur).


Akimbo, c'est le nom d'un indien natif américain qui est présenté comme la star montante du hip-hop, ce qui fait débat au sein-même de sa communauté: certains, à l'image de sa grand-mère la cheffe de la tribu, le soutiennent fortement, tandis que d'autres, comme le chef de l'opposition Mikizi (un pygargue à tête blanche, ce qui aura son importance symbolique), le considèrent comme un traître reniant les traditions. Bref, le jeune homme, derrière son physique élancé et son côté stoïque, ne fait pas l'unanimité parmi les siens.

C'est dans ce contexte qu'il s'apprête à accueillir à ses côtés, pour une durée initiale de 24 heures, Nancy, une petite fille qui a gagné dans un concours le droit de passer ce laps de temps avec sa star préférée. La fillette est évidemment ivre de joie de rencontrer ainsi son idole, et le plaisir est réciproque. Mais Akimbo ne se doute alors pas des terribles douleurs que la petite Nancy cache au fond d'elle, ni de la manière drastique dont elle va bouleverser son existence...


Projet né en 2015, imaginé en deux parties qui se font écho et se suivent, Akimbo nous permet de retrouver la patte assez unique de Djiguito, dans un univers qui s'avère être le même que Mary Kimpride, tant nombre de petits éléments sont communs aux deux récits. Dans ce deuxième volet de ce qui se présente petit à petit comme une sorte de "Djiguito Western Universe", l'auteur continue de jouer avec entrain sur différents petits clichés du western: Une nouvelle fois, avec ce cadre de western américano-mexicain, on sent que tu peux te faire plaisir en reprenant à ta sauce des éléments de cet univers : le mariachi racontant l'histoire, les indiens, le chasseur de primes avec son bandana sur la bouche, le buffle... Mais dans cet univers très typé d'il y a plusieurs décennies, Djiguito a l'idée assez géniale et loufoque d'incorporer des éléments beaucoup plus modernes, surtout autour des nouvelles technologies : Akimbo est une star montante de rap et de hip hop, les personnages utilisent des smartphones, la grand-mère de notre héros est accro aux jeux vidéo et fait même des live streams, et bien sûr il y a le langage très moderne des personnages. De quoi accentuer la part farfelu "made in Djiguito", plus encore quand on y ajoute les tenues vestimentaires entremêlant les époques (il suffit de voir le look d'Akimbo) ainsi que les différentes bonnes bouilles d'une Nancy parfois digne d'une Arale de Dr. Slump et les assez nombreux petits clins d'oeil cachés (ça va des Spice Girls à Hugh Jackman en passant par Stranger Things).


Le délire, communicatif et peine de bonnes petites idées, est donc bien là... mais justement s'agit-il d'un simple délire ? Si l'on pose ainsi la question, vous pouvez bien vous douter que la réponse est non. Clairement non. Cela, l'auteur a la bonne idée de nous le faire comprendre assez tôt dans l'ouvrage, avec une mort brutale et soudaine, que l'on ne voit pas forcément venir tant elle jure avec l'ambiance joyeuse installée. Et à partir de là, l'histoire va prendre une tout autre proportion. Sans spoiler, il sera question d'enfant battue, de l'opposition d'une frange de la population aux avancées modernes face aux traditions alors que les deux ne sont pas incompatibles, de racisme, de la stigmatisation des peuples, des fake news pouvant renforcer cette stigmatisation alors que la réalité du terrain est tout autre... Djiguito se fait alors fin et alerte observateur de certaines tares de notre société qui n'ont peut-être jamais été aussi présentes dans notre monde que durant ces dernières années.


Face à tout ça, deux belles idées se dégagent également du récit. D'un côté, le fait qu'Akimbo, pris entre ses obligations envers son peuple et le buzz montant sur son statut de nouvelle star, souhaite avant tout une chose : être tranquille et faire ce qu'il aime, ce qui est le plus important à l'heure où il doit se frotter à nombre de problématiques et de pressions exercées par ce que la société attend de lui. Et de l'autre côté, le fait que le rap avec ses paroles souvent engagées, et par extension la musique et l'Art de manière générale, peuvent avoir bien des vertus, comme être des échappatoires et même sauver des vies, chose que l'on ressent très bien en voyant à quel point Akimbo est l'unique bouffée de bonheur et de liberté de l'attachante petite Nancy.


Au-delà du délire inventif permis par l'univers, Akimbo a donc un paquet de choses à raconter, et il est assez impressionnant de constater tout ce que Diguito est parvenu à condenser et à transmettre en seulement 150 pages, en parvenant à analyser avec une certaine force certaines tares de nos sociétés actuelles. il s'agit d'une excellente surpris,e plus profonde qu'on aurait pu le croire avant lecture, et qui plus est servie dans une excellente qualité d'édition. on retrouve effectivement le même format B5, le même papier glacé et la même qualité d'impression que pour Mary Kimpride. Et les suppléments sont foisonnants, entre différents croquis et présentations des personnages, et surtout une vaste et belle galerie d'illustrations bonus (en couleurs ou en noir & blanc) faites par beaucoup de guests dont certains très jolis noms du manga français, tout ceci faisant dépasser les 200 pages au bouquin.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs