Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 03 Février 2025

Plusieurs mois après la conclusion de l'incontournable Sidooh de Tsutomu Takahashi, les éditions Panini ont décidé, en ce début de mois de février 2025, de nous plonger à nouveau dans la violente et chaotique époque de la fin du shogunat Tokugawa au Japon, avec la publication du manga historique Abura. Faite à quatre mains, cette courte série en trois volumes est scénarisée par Number 8, que l'on connaît déjà pour l'aide qu'il apporte à Shinichi Ishizuka sur l'histoire de la saga Blue Giant, et est dessinée par Sakuzo Baku dont c'est la toute première série. Le tome 1 a beau sortir en librairies le 5 février, les personnes présentes au FIBD d'Angoulême pouvaient le trouver en avant-première sur le stand de l'éditeur, d'où cette chronique arrivant un petit peu avant la parution officielle.

Le principe de cette courte oeuvre est assez simple: en trois tomes, Number 8 entend nous faire vivre au plus près et avec une grande rigueur historique un conflit qui est resté dans les mémoires pour avoir été l'un des plus sombres, les plus violents, les plus meurtriers et les plus implacables de l'époque de la fin du shogunat: l'incident d'Aburano Koji. A une période où le Shogun venait tout juste de rendre le pouvoir à l'Empire, tout commence par un meurtre: celui de Kashitaro Ito par les troupes du Shinsengumi emmenées par Isami Kondo. Ancien membre du Shinsengumi, Ito avait fait scission quelque temps auparavant pour créer le Goryo Eji, une faction qui, même si elle était elle aussi partisane de l'expulsion des étrangers, avait fait le choix de soutenir l'Empereur, là où Kondo et les siens restaient fidèles au Shogun. Face à la montée de l'influence d'Ito, les membres du Shinsengumi décidèrent alors de l'assassiner de nuit, en pleine rue, alors qu'il était ivre, après lui avoir tendu un piège. Mais le piège ne s'arrêtait pas là: en laissant le cadavre d'Ito dans le déshonneur en pleine rue, Kondo et les siens attirèrent les sept autres membres du Goryo Eji, désireux de récupérer le corps sans vie de leur maître. Pris en tenailles à un carrefour dont les quatre voies furent vite bloquées par le Shinsengumi en supériorité numérique, ces sept guerriers durent lutter et se sacrifier, à la fois pour l'honneur et pour tenter de permettre à certains d'entre eux de s'échapper.

A grand renfort d'une documentation poussée sur cet événement ayant eu lieu sur quelques heures en pleine nuit, Number 8 se veut le plus précis possible dans l'abord des différentes facettes de cet impitoyable conflit, marqué avant tout par sa violence, chose que l'on ressent parfaitement à travers le côté implacable des troupes du Shinsengumi qui n'hésitaient jamais à combattre en profitant d'une forte supériorité numérique. Non content de présenter soigneusement tout le contexte autour de ce conflit ainsi que son déroulement dans les moindres détails, le scénariste s'applique également à faire ressortir les spécificités des principaux guerriers (notamment leurs techniques de combat propres), et à interroger volontiers sur certaines notions comme l'honneur propre aux samouraïs et sa possible vanité. Surtout, le scénariste dépeint avec une certaine force certains enjeux internes supplémentaires de ce conflit, et c'est sans doute le personnage s'affichant fièrement sur la jaquette qui incarne le mieux cela: Heisuke Todo, spécialiste des assauts, que certains membres du Shinsengumi comme Shinpachi Nagakura voulaient sauver car ils le voyaient encore comme une sorte de petit frère bien qu'il les ait quittés pour rejoindre le Goryo Eji. Mais face à la possibilité de fuir et de laisser derrière lui l'honneur et ses camarades, que fera ce très droit jeune guerrier ? On vous laisse évidemment le découvrir, si tant est que vous ne connaissiez pas déjà ces événements historiques.

Sur le plan visuel, on peut dire que Sakuzo Baku impressionne assez pour une première série ! L'oeuvre ayant été prépubliée en 2022-2023 sur l'application Manga One des éditions Shogakukan (application généralement plutôt habituée à accueillir des séries comme Kengan Omega ou The Legendary Hero Is Dead! ), le dessinateur garde parfois une tonalité un peu "shônen" pas totalement réaliste dans certaines phases de combat au sabre, mais on en fait vite fi tant il démontre beaucoup de qualités de mise en scène, de hargne et de rage dans les expressions et mouvement de ses personnages. Surtout, un peu à l'image d'un Hiroaki Samura dans L'habitant de l'Infini, il impressionne dans le découpage de certaines planches semblant presque suspendre dans le temps des élans de violence qui ne sont aucunement occultés. Et un peu à l'instar d'un Tsutomu Takahashi sur Sidooh, il s'applique aussi à jouer sur un remplissage très noir et assez charbonneux, ce qui évidemment colle parfaitement au cadre nocturne de cette bataille.

A l'arrivée, on se laisse facilement happer par le premier volume de cette courte série vouée à nous immiscer au plus profond de l'un des conflits les plus célèbres et terribles de la chaotique période de la fin du Shogunat. Number 8 livre un déroulement clair et très rigoureux, les personnages et sujets sont suffisamment bien campés et intéressants, Sakuzo Baku n'a aucune difficulté à assurer l'immersion dans ses planches parfois très impressionnantes et toujours sombres... Bref, il n'y a aucune raison de bouder son plaisir si l'on aime ce genre de récit !

Côté édition, derrière une jaquette très fidèle à l'originale japonaise, on trouve un papier un petit peu rêche mais bien opaque, une qualité d'impression correcte, une traduction suffisamment claire de Noé Garrigos, des astérisques plus que bienvenues pour expliquer un peu plus certains aspects historiques, un lettrage d'Andrea Renzoni assez propre même si l'effort est toujours aussi minime chez l'éditeur pur le sous-titrage des onomatopées, et des pages bonus qui ont été conservées en revenant plus en détails sur les membres du Goryo Eji.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction