Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 15 Mai 2017
Au Japon, tout manga à succès a droit à son adaptation animée ou vidéoludique. La réciproque existe, et il est tout à fait commun qu’un anime ou un jeu vidéo bénéficie d’une adaptation manga, généralement destiné à faire office de produit promotionnel pour l’œuvre originale. Persona 4 n’a pas échappé à la règle puisqu’en 2008, l’auteur Shuji Sogabe entame le manga éponyme dans les pages du magazine Dengeki Black Maoh. L’auteur a donc les adaptations des opus 3 et 4 du jeu vidéo, ce qui n’est pas une mince affaire et amènera un rythme de parution lent. Pour l’heure, l’adaptation manga compte une dizaine de volumes et est toujours en cours (bien que proche de sa fin), une longévité remarquable quand on sait que les mangas promotionnels de cet acabit sont souvent condamnés à de courts formats. Mais il en est autrement pour Persona, Atlus prenant toujours son public au sérieux, même quand cela concerne des spin-off très secondaires.
En France, la licence manga Persona n’intéresse pas les éditeurs. Rappelons que Delcourt publié Persona : Crime et Châtiment au début des années 2000, un titre se situant dans l’univers des deux premiers opus et ayant connu un flop chez nous. Un échec évident puisque la France n’avait pas encore découvert la saga à cette époque, aussi le succès serait peut-être différent aujourd’hui. Néanmoins, ceux habitués à la langue de Shakespeare ont l’opportunité de découvrir le manga par l’éditeur canadien Udon qui, depuis quelques années, propose différents ouvrages en anglais, les mangas Persona 3 et Persona 4 étant dans leur ligne éditoriale.
Soji Seta est un lycéen en apparence, mais il n’a pourtant pas une scolarité facile. A cause du travail de ses parents, il va de déménagement en déménagement, et chaque lieu où il s’installe ne lui permet pas de nouer de réelles attaches. Alors, quand il doit aller vivre chez son oncle Ryôtarô Dôjima dans la bourgade rurale d’Inaba, ça n’est qu’une destination parmi tant d’autres qui attend Soji… qui ne sait pas encore qu’une aventure fantastique l’attend.
Dès son arrivée, des événements macabres frappent la petite ville : des corps sans vie sont retrouvés suspendus aux antennes télévisées du village. Au même moment se répand la rumeur de la « Midnight Channel », un phénomène qui consisterait à voir apparaître son âme sœur sur un écran de télévision éteint, à minuit, une nuit de pluie. Aux côtés de Yôsuke Hanamura et Chie Satonaka, Soji s’apprête à découvrir que ces différents éléments sont liés, et qu’il existe un monde derrière les écrans de télévision où un tueur assassine ses proies…
Chose surprenante quand on découvre le manga aujourd’hui : le héros change de nom. Exit Yû Narukami donc, et place à Soji Seta. Le manga est largement antérieur à l’anime de 2012 et aux spin-off, ce qui explique que Shuji Sogabe a développé sa propre vision du héros et lui a donné une identité propre à cette adaptation. C’est ce qui va d’ailleurs marquer l’introduction du récit : Soji est un héros sans attache, et qui va nouer de très forts liens sociaux au cours du manga.
La prouesse de ce premier tome est d’adapter la très longue phase d’introduction du jeu en un seul volume seulement. En quelques chapitres, Shuji Sogabe passe en revue près de deux heures de narration et parvient à bien condenser le tout, de telle manière à ce que le récit propose toutes les informations de base au compte-goutte, tout en se concentrant uniquement sur les éléments essentiels du jeu vidéo original. Il faut alors considérer ce volume comme une amorce dont la force est de marquer par ses multiples mystères, et ne pas s’attendre d’emblée à des combats extraordinaires à base de Personae. Justement, les entités n’apparaissent vraiment que dans le dernier tiers du tome, preuve que le récit cherche davantage à proposer un contenu qui respecte le jeu d’origine plus que coller au découpage classique des œuvres d’aventure qui exposeraient leurs principales mécaniques dans les deux premiers chapitres.
Ceux qui n’ont jamais touché au jeu et qui préféreraient une version manga ont donc là une porte d’entrée convaincante, fidèle au support original et dont la force est cette intrigue emplie de mystères, si riche en éléments divers qu’il paraît difficile de relier tout ça de prime abord. Il pourrait même régner un sentiment de confusion chez ces mêmes lecteurs, une intention volontaire par le réalisateur du jeu, Katsura Hashino, qui surprendra plus tard par son intrigue. Le tout, peut-être difficile à appréhender, parvient à être envoûtant par les talents d’auteur de Shuji Sogabe qui traite son manga en utilisant de nombreux codes littéraires, comme la forte présence de narrations qui permet de s’intéresser au ressenti des personnages, indéniable pour montrer la richesse du récit. Les combats sont même surprenants par leur manière de ne briller que visuellement, le texte qui les accompagne permettant aux héros de faire leur propre introspection. La formule fonctionne alors, donnant des airs bienvenus de roman graphique aux moments clefs de ce volume.
Toutefois, le fan du jeu vidéo sera peut-être gêné par la réinterprétation du mangaka sur un élément de l’intrigue : la première invocation de la Persona de Yôsuke. Pour le coup, la ficelle utilisée par l’auteur entre dans les codes du nekketsu et se désintéresse de la thématique phare du jeu, consistant à trouver une force dans l’acceptation de ses propres facettes négatives. Aussi, le manga ne se substitue pas totalement du jeu, il en est une autre version et peut coexister avec l’œuvre originale.
Visuellement, Shuji Sogabe propose un style fidèle au character-design de Shigenori Soejima dans le trait, tout en rendant les personnages expressifs. Sa narration est très simpliste lors des moments communs, mais lors des passages d’action, son récit comme son trait prend plus de puissance. Les combats eux-mêmes sont très vifs, et il ressort un certain relief dans la conception des différentes entités par l’utilisation très marquée des outils informatiques de dessin.
Du côté de l’édition, l’éditeur Udon propose la série dans un semi-grand format, mettant davantage à l’honneur le trait de Shuji Sogabe par rapport à une version poche classique. La présence de pages couleurs est bienvenue, mais reste que l’absence de jaquette et le papier de qualité moyenne gênera peut-être certains lecteurs. Aussi, la traduction de Kirie Hayashi souffre de quelques erreurs qui apportent des contresens à l’intrigue.
En termes d’adaptation de jeu vidéo, et donc de produit promotionnel, le premier tome du manga Persona 4 est de très bonne facture. La série est vouée à prendre son temps et propose ses propres interprétations de l’histoire, permettant au récit d’avoir sa propre identité, une âme soulevée par les talents graphiques et de narrateur de Shuji Sogabe. On est alors confiants pour la suite du récit.