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Dir En Grey - Uroboros : Critiques

Critique:

Publiée le Vendredi, 08 Mars 2013

D'entrée de jeu, la musique industrielle côtoie les bruitages lugubres, tisse un mur sonore compact, étouffant et glacé. La voix de Kyô vient se glisser dans ce déluge tortueux. Très épurée, sombre mais en même temps très belle, elle scotche l'attention de l'auditeur instantanément. Les timbres de voix du parolier nippon résonnent également en notre fort intérieur inlassablement, telle une rafale de vent s'abattant sans relâche sur notre coeur sans défense. Vous venez d'entamer l'écoute d'"Uroboros", et autant vous prévenir, vous n'en ressortirez pas indemnes.

"Uroboros" est le neuvième album du groupe mystique Dir En Grey, quintet phare de la musique japonaise depuis maintenant seize ans. À titre comparatif, nous pourrions rapprocher Dir En Grey à un papillon : ce petit être fragile et splendide, majestueux et éphémère. Avant de pouvoir voler de ses propres ailes, la papillon était une larve, fascinante, embryonnaire, tout comme Dir En grey à ses débuts, de 1997 à 2002. Leurs premiers albums intitulés "Missa", Gauze", "Macabre" et "Kai" sortants respectivement 1997, 1999, 2000 et 2001 sont imparfaits mais ne manque pas de qualités : les performances vocales de Tooru Nishimura frôlant la perfection. Les compositions sont lancinantes, inquiétantes et caressent l'indescence.

Le cinquième album du groupe ayant pour titre "Kisou", quant à lui, voit le jour en 2002 et marque un premier tournant dans la carrière du groupe japonais. Par le biais de cet album, Dir En Grey expérimente de nouvelles composantes et ne s'impose plus de limites, l'ensemble de l'album est très homogène et quelques perles comme "Bottom of the death valley", "Embryo" ou encore "Jessica" voient le jour.

La larve se mue alors en une chrysalide froide et dure...

2003 marque une nouvelle sinuosité pour Kyo et sa bande, leur sixième album prénommé "Vulgar" sortant à la rentrée. C'est sans aucun doute l'album le plus sombre de leur discographie jusqu'à présent, Dir En Grey détruisant tout ce qu'il avait crée auparavant et redéfinissant complètement son univers, Les textes tortueux, malsains et sans concessions s'allient aux perfomances artistiques du quintet japonais. Cette ambiance malsaine se ressent également dans les clips du quintet japonais, difficilement soutenables et complètement barrés (Obscure, Child Prey...) Vulgar vogue entre alors entre la brutalité (Child Prey, Obscure, New Age Culture...) et la douceur (Kasumi, Sajou No Uta...).

S'en suivront alors deux albums en 2005 et 2007 : "Withering to Death" & "The Marrow of a Bone" qui iront s'inscrire dans la même veine que Vulgar mais possédant une rusticité plus atténuée, la suavité prenant l'avantage sur la férocité. Il subsiste dans ces deux albums beaucoup de classiques dans la discographie de Dir En Grey comme "Agitated Screams of Maggots", "Merciless Cut", "The Final" ou encore "Saku".

Le papillon sort alors de son cocon...

Uroboros sort en 2008, un an après "The Marrow of a Bone" et était attendu par tout un groupe de fans acharnés, prêts à "disséquer" de fond en comble ce nouvel album. Comme à son habitude, un enregistrement de Dir En Grey ne se limite jamais à décrire un seul et unique paysage, mais joue au contraire sur la juxtaposition d'atmosphères souvent contradictoires et ambivalentes. Ainsi, on retrouve après l'introduction "Sa Bir" détaillée en début de chronique une petite perle "Vinsuhka" avoisinnant neuf minutes qui assène la première claque (première d'une longue série) à l'auditeur.

Durant les neuf minutes de Vinushka qui en paraissent quatre celles de l'auditeur, ce dernier pourra tout de suite discerner cette ambiance pesante et très lourde, présente sur toutes les autres oeuvres du groupe. Si le début de la chanson est plutôt calme, la seconde moitié va complètement à contre-courant de la précédente, Kyô laissant ses plus sombres désirs surgir du plus profond de ses entrailles, les instruments suivent la cadence et les trente dernières secondes de Vinushka sont, tout simplement, ahurissantes.

On pourra remarquer quelques changements au niveau des performances vocales de Kyô, des grunts sourds et des borborygmes haineux faisant leur apparition. Kyô repousse, avec Uroboros, ses propres extrêmes et laisse libre court à son imagination la plus folle, sa voix donne vie aux chansons qui composent cet album fantastique qu'est Uroboros. Tooru Nishimura ne chante pas, il est le personnage central de ses propres compositions et utilise sa voix d'une façon intelligente pour donner du rythme à ses histoires.

La concordance des instruments reste inchangée : les guitares de Die et Kaoru s'allient parfaitement à la basse de Toshiya, à la batterie de Shinya ainsi qu'aux performances vocales de Kyô. L'ensemble de ces composantes forment au final une seule et unique entité que nous pourrions comparer à un château de cartes. En effet, la moindre erreur, maladresse pourrait faire chuter le tout.

Depuis le départ, les thèmes abordés par le quintet japonais ne sont guère réjouissants (dépression, aliénation mentale, perversion, abnégation...), Uroboros se permet d'approfondir encore plus ces sujets, le groupe se reposant sans cesse les mêmes questions existentielles mais sous une toute autre forme. De ce fait, le résultat obtenu n'est plus le même et nous amène, une fois de plus, à réfléchir sur notre condition actuelle.

Vous l’aurez compris, la facilité d’accès n’est en aucun cas la marque de fabrique de la musique de Dir En Grey. Chaque composition demande d’être écoutée à de multiples reprises pour en saisir la complexité et l’apprécier à sa juste valeur. Sous des apparences minimalistes se cache une réalité bien plus dense et complexe, qu’il serait insolent de prétendre comprendre.

Pendant les cinquante-six minutes de cet Uroboros, la tension sera palpable du début à la fin de l'écoute. Cela commencera avec l'introduction "Sa Bir" concise mais d'une efficacité redoutable pour terminer sur un "Inconvenient Ideal" mystique, à l'image du groupe nippon. Les treize morceaux qui forment cet album sont tous magnifiques, aucune piste n'est à jeter, la tension montera crescendo avec des morceaux d'une violence inouïe comme "Vinushka", "Stuck Man" ou "Bugaboo". Cependant, des morceaux plus calmes adouciront l'éréthisme omniprésent dans Uroboros, on pourra souligner le magnifique "Glass Skin", l'émouvant "Dozing Green" ou le touchant "Ware, Yami Tote".

Uroboros est donc la pièce maitresse de la discographie de Dir En Grey : l'Album avec un grand A. Le groupe a toujours eu la réputation d'être difficile d'accès, ce qui est loin d'être un euphémisme car Uroboros est très déconcertant lors de la première perception. Mais suite à des écoutes répétées de la part de l'auditeur, ce dernier sera bien obligé de se rendre à l'évidence : cet album est une oeuvre d'art finement ciselée, dans laquelle rien n'est laissé au hasard et où chaque élément trouve sa place dans un foisonnement parfois incroyable mais toujours cohérent. Une véritable mine d'or, tout simplement. Ce n'est même plus un album à ce stade, c'est une expérience auditive hors du commun et unique en son genre. Dir En Grey est Uroboros et Uroboros est Dir En Grey.

Que dire de cette oeuvre magistrale, si ce n'est que les mots me manquent pour exprimer toute la puissance et l'extraordinaire sincérité que véhicule et dégage ce voyage ondoyant ? Tout est à l'image de la pochette, on en reste bouche bée, les yeux grand ouverts mais vidés de leur âme.

Explorer des contrées musicales nouvelles. Faire entrevoir la lumière à travers une musique sombre et minimaliste. Repousser encore et encore les limites pour voir toujours plus loin, viser toujours plus haut. Assumer sa différence, son génie hors du commun. Ne jamais cesser de surprendre, d’impressionner. Être visionnaire. Avoir une longueur d’avance sur son temps... Et notre temps… Il n’est aujourd’hui qu’une poignée d’artistes capables de telles prouesses musicales : Dir En Grey fait parti intégrante de cette petite troupe et compte bien rester au sein de cette dernière pendant un petit bout de temps.

Le papillon peut voler de ses propres ailes à présent...


Kimi