SLEEPY-C 슬리피-C

Interview de l'auteur

Publiée le Vendredi, 12 Juillet 2024


Bonjour, Sleepy-C, et merci de nous accorder cette interview. Vous vouliez au départ devenir illustratrice de jeux vidéos, puis vous êtes dirigée vers le webtoon. Un choix que vous avez fait suite à un déclic, car vous vous êtes rendue compte que la bande dessinée vous correspondait mieux. Pouvez-vous nous parler de ce déclic ? Quelles réflexions ont émergé en vous ?


Sleepy-C : J’ai toujours aimé les manhwa, depuis que je suis petite, mais je n’ai pas tout de suite eu l’envie de devenir artiste de webtoon. Une amie m’a présentée au studio 3B2S, là où je travaille actuellement. C’est un studio très connu pour son implication dans l’animation, et c’est ce département que j’ai intégré au départ. Puis, j’ai été dirigée vers l’équipe webtoon. C’était une transition difficile pour moi au départ, car, en Corée du Sud, on a cette idée qu’un artiste doit s’occuper d’une œuvre de A à Z, seul. Mais je n’avais aucune confiance en moi pour réaliser un travail entier de moi-même.


La lecture de manhwa durant votre enfance qui vous a guidé vers le dessin en tant que profession ?


Sleepy-C : Oui, mais j’ai aussi suivi des cours de dessins de l’imaginaire, ce qui m’a aussi permis de me diriger professionnellement vers l’illustration.


 
© Sleepy-C(3B2S STUDIO), UMI(REDICE STUDIO), singNsong 2020 / REDICE STUDIO



Avant de vous lancer dans la réalisation d’Omniscient Reader’s Viewpoint, avez-vous eu l’occasion de lire le roman d’origine ? Quelles furent vos impressions à sa lecture ?


Sleepy-C : Oui, j’ai pu lire le roman avant de dessiner la version webtoon. D’une manière générale, dans tous les contes et dans toutes les histoires, on trouve un héros qui va se démener pour mener l’aventure à son terme. C’est le cas dans ce récit, car Dok-Ja est très malin, il fait preuve de beaucoup de ruse pour réussir tous les scénarios qui lui sont proposés.


Concernant mon impression sur le roman, j’ai été plongée dans les descriptions de caractères irréels, mais qu’on peut facilement s’imaginer. Aussi, j’ai trouvé les émotions des personnages très bien décrites.


On vous sait fan de jeux vidéos, notamment de la série Dark Souls. Justement, Omniscient Reader’s Viewpoint est une histoire qui implante des mécaniques vidéoludiques dans sa narration. Pensez-vous que votre expérience de joueuse vous a permis de mieux appréhender l’univers du roman original ?


Sleepy-C : C’est vrai que le récit présente des interfaces et un système de level-up qui rappellent le jeu vidéo. Néanmoins, à mes yeux, ce n’est pas le caractère principal de l’œuvre puisque celle-ci s’appuie notamment sur un système d’histoires. On trouve donc des références à des légendes et des contes transmis oralement. Je pense que tout ce que j’ai lu ou pu regarder autour de ces légendes jusqu’à présent m’ont aidé dans la réalisation de la version manhwa. Je pense aussi aux discussions que nous avons avec les membres de mon équipe, car elles m’ont été d’une grande aide, aussi bien pour réaliser les personnages, qu'implanter leurs caractères et retranscrire leurs émotions.



© Sleepy-C(3B2S STUDIO), UMI(REDICE STUDIO), singNsong 2020 / REDICE STUDIO



Effectivement, vous n’êtes pas seule sur la conception du webtoon Omniscient Reader’s Viewpoint. Vous travaillez au sein d’un studio et en collaboration avec le scénariste, Umi. Pouvez-vous nous parler des étapes de la conception d’un chapitre ? Quelle est votre organisation pour réaliser un épisode de la série ?


Sleepy-C : Dans un premier temps, on reçoit le storyboard réalisé par Umi. Puis, mon équipe et moi nous réunissons pour parler des couleurs qu’on utilisera, du ton qu’on développera sur cet épisode, ainsi que d’autres points précis comme les effets de lumière. Comme notre équipe comporte de nombreux membres, nous devons tout détailler minutieusement afin qu’il y ait le moins d’erreurs possible.

On commence par le dessin, puis le fichier est envoyé au directeur artistique qui doit valider ou demander certains changements. Les arrière-plans, les couleurs et les effets sont ajoutés à ce moment-là.

Le résultat est envoyé à l’équipe en charge des corrections. Par exemple, elle travaille certains détails afin de les mettre en valeur, de manière à ce que l’épisode gagne en fluidité du côté des actions des personnages.

Puis, nous avons un retour grâce auquel nous pouvons corriger certains éléments, si besoin. Le fichier est ensuite envoyé au lettrage afin d’ajouter les onomatopées et les textes dans les bulles. Il y a encore un retour sur ce travail-là.

Ce sont ensuite les représentants qui apportent la validation finale et c’est ce résultat que les lecteurs peuvent découvrir en ligne.


Vous partez donc du storyboard réalisé par le scénariste, Umi, ce qui donne une base de mise en scène. Néanmoins, votre dessin a une vraie aisance pour rendre les scènes d’action nerveuses et dynamiques. Dessiner ces séquences vous vient-il de manière naturelle, instinctive ?


Sleepy-C : Quand je lis le roman, la scène me vient tout de suite en tête, et il en va de même pour les autres membres de mon équipe. Lors de nos discussions, quand on évoque un passage, on tombe tous d’accord sur la manière de le rendre en image, notamment dans l’ambiance à apporter.


Les scènes d’action sont en effet très visuelles, mais dépendent de nos efforts. Par exemple, sur une scène qui précède un moment important, on sera peut-être plus souples, car on devra se montrer plus précis sur le moment d’action majeur qui suivra. On fait énormément de recherches pour mettre en image ces séquences, par des photos ou des vidéos, ou sur des banques de données de visuels 3D. Si on ne trouve rien d’intéressant, on se réunit pour prendre nous-mêmes nos photos de référence.


Il y a aussi des effets visuels particuliers sur ces moments d’action, par exemple le vent et les flammes. Ce sont des éléments que l’on doit détailler, car même si on dessine bien les personnages, si l’arrière-plan ou ces effets ne suivent pas, ça sera problématique. Actuellement, je n’interviens plus autant qu’au lancement du webtoon, car mes collègues se chargent aujourd’hui très bien de ces aspects.


 
© Sleepy-C(3B2S STUDIO), UMI(REDICE STUDIO), singNsong 2020 / REDICE STUDIO



En Corée, Omniscient Reader’s Viewpoint a eu droit à une édition manhwa, autrement dit une physique. Avez-vous été impliquée dans la conception de ce format ? Avez-vous, par exemple, dû retravailler certains aspects graphiques pour la sortie en tomes reliés ?


Sleepy-C : Mon équipe et moi-même nous occupons de tout ce qui concerne les goodies, par exemple les cartes illustrées distribuées avec les manhwas, ou les couvertures. Tout ce qui concerne la mise en page du format papier est travaillé par le scénariste Umi et le studio Redice. Comme le plus gros du travail a déjà été fait dans le webtoon, nous n’avons pas grand-chose à faire. Il arrive qu’on nous demande de retravailler une scène pour adapter la mise en page pour le livre, mais ça reste très rare.


Depuis le lancement de la série en 2020, plus de 200 chapitres ont été publiés. En quatre années, pensez-vous être devenue une dessinatrice aguerrie ? Quel recul avez-vous aujourd’hui de l’expérience sur Omniscient Reader’s Viewpoint ?


Sleepy-C : Mon équipe et moi-même avons énormément évolué au fil des épisodes. Si nous en avions l’opportunité, nous aimerions pouvoir tout reprendre depuis le début. (rires)


Mais les dessins tels qu’ils sont contiennent nos souvenirs, ils nous évoquent beaucoup de choses. Je suis très fière du travail que nous avons accompli jusqu’à présent.


 
© Sleepy-C(3B2S STUDIO), UMI(REDICE STUDIO), singNsong 2020 / REDICE STUDIO


Le webtoon, médium sud-coréen à la base, a acquis une grande notoriété à travers le monde, si bien qu’il existe aujourd’hui de nombreuses œuvres françaises. En tant qu’artiste coréenne, quel regard portez-vous sur le développement du webtoon à travers le monde ?


Sleepy-C : C’est justement la même chose en Corée du Sud : le webtoon a énormément gagné en popularité lors du Covid-19 puisque les gens devaient se divertir depuis chez eux. Je trouve cette notoriété exceptionnelle, elle me touche personnellement. J’aimerais qu’on puisse parler de toutes ces œuvres du monde entier sans la barrière linguistique.


J’invite les fans de ORV (ndt : diminutif d’Omniscient Reader’s Viewpoint) à suivre la série, soit via Pika Édition pour la version papier, soit sur le site de Naver pour la version numérique. Nous, les artistes, faisons un travail épuisant, n’hésitez donc pas à nous soutenir via les versions officielles.



Interview réalisée par Julian Bocachard. Remerciements à Sleepy-C et à ses éditeurs pour avoir accepté la rencontre, à son interprète Johanna Clausse, ainsi qu'à Camille Hospital et à Clarisse Langlet des éditions Pika pour l'organisation de l'interview.