SANAZAKI Harumo - Actualité manga

SANAZAKI Harumo 真崎春望

Interview de l'auteur

Publiée le Lundi, 25 Juillet 2016

Conférence publique à Japan Expo 2016


    Yôko Hanabusa et Harumo Sanazaki commencent à devenir des habituées des salons français ! A l'occasion de Japan Expo, les mangakas de Gwendoline et Bishin furent une nouvelle fois présentes durant Japan Expo, où elles donnèrent une conférence publique dont voici le compte-rendu.

Depuis les années 70, les deux artistes exercent la profession de mangaka, mais depuis elles ont également exercé dans d'autres domaines, notamment en tant que professeurs de manga et représentantes du manga à travers le monde en donnant régulièrement des masterclass.




Yôko Hanabusa : Bonjour, je suis Yôko Hanabusa, je viens du Japon, je suis la mangaka de Gwendoline qui a été créée il y a 29 ans et qui sort actuellement en France chez Isan Manga. Cela fait déjà plusieurs fois que je suis invitée en France pour parler manga et animation, et suis enchantée de vous rencontrer.

Harumo Sanazaki : Bonjour, je m'appelle Harumo Sanazaki, je suis mangaka depuis 35 ans. Au Japon, mes mangas comptent plus de 300 livres. Plus récemment je suis devenue productrice de films et de dramas audio.



Animatrice : Quelles sont les influences qui vous ont donné envie de devenir mangaka ?

YH : J'ai commencé à dessiner à 7-8 ans car c'était l'époque où je commençais à lire du shôjo.

HS : Dès mon enfance j'adorais les films, spectacles, comédies musicales, et j'ai toujours eu envie de dessiner des œuvres dans cette optique.



Yôko Hanabusa, qu'est-ce que ça vous fait d'être célèbre en France en tant que mangaka de Gwendoline ?

YH : Ce manga est à l'origine quelque chose de typiquement japonais, et j'ai du mal à croire qu'il est devenu aussi populaire à l'étranger. Cela fait de nombreuses année que je viens régulièrement en France, et à chaque fois je trouve assez étonnant que la série y reste si populaire.



Harumo Sanazaki, vous dessinez des mangas inspirés de la littérature, comme le Fantôme de l'Opéra ou les pièces de Shakespeare. Pourquoi ?

HS : C'est tout simplement parce que ces œuvres m'émeuvent beaucoup depuis longtemps, et que je dessine ce que j'aime.


Après une dizaine de minutes, ce fut au tour du public de pouvoir poser ses questions aux deux artistes.



Comment avez-vous débuté en tant que mangaka ? Est-ce mieux aujourd'hui ?

HS : Quand j'étais petite j'avais une maladie très handicapante, qui me forçait à rester chez moi. Mais avec le temps la santé s'est améliorée, j'ai pu avoir des histoires à l'extérieur, et c'est en me basant sur ces histoires que j'ai pu commencer à dessiner.

YH : Il y a 20-30 ans, il y avait 3 choix pour devenir mangaka au Japon : amener le manga à un éditeur, proposer le manga dans un journal local, ou gagner un prix de manga. Dans mon cas, j'ai choisi d'amener mon manga à un éditeur et de demander une publication.
Depuis une dizaine d'années, il y a une 4ème façon : proposer son manga en auto-édition, dans des festivals comme le Comiket, et espérer se faire repérer.

HS : Ma carrière dure depuis 35 ans, j'ai vu plusieurs modes à travers les âges, et je trouve que les mangas récents sont de très bonne qualité au niveau technique, qu'ils se sont beaucoup améliorés, mais que les éditeurs d'aujourd'hui sont peu expérimentés et que de ce fait les œuvres d'aujourd'hui proposent moins de contenu au niveau des histoires.
Depuis une dizaine d'années, l'outil digital est très répandu. Mais moi je continue toujours de dessiner avec le stylo. Forcément, c'est plus difficile, notamment pour revenir en arrière, mais pour moi, à travers cela il y a aussi une différence de gratitude. Il ne faudrait pas que les auteurs d'aujourd'hui, à force de se faciliter la vie avec le digital, perdent le sens de l'effort ainsi que leur talent artistique.

YH : Personnellement je ne sépare pas ce qui est dépassé de ce qui se fait aujourd'hui, mais j'aime bien l'idée d'achever une œuvre après avoir donné beaucoup de travail et de soi. L'outil numérique est tellement facile qu'il ne permet pas vraiment cette idée d'achèvement.
Ensuite, je suis d'accord avec Mme Sanazaki concernant le manque de profondeur des histoires d'aujourd'hui.

HS : Il ne faut pas oublier que je suis aussi professeur d'université sur le manga, et j'ai toujours dit aux élèves de ne jamais dessiner du manga uniquement en lisant du manga. Il faut aussi lire d'autres choses. C'est pareil pour l'animation : il ne faut pas travailler là-dedans uniquement en regardant des animes, mais aussi en regardant d'autres choses comme des films live et des spectacles de théâtre.


Après cette question dotée d'une longue réponse, les deux artistes furent invitées à offrir chacune un dessin en live, Mme Hanabusa exerçant ses talents sur feuille pour offrir une jolie Gwendoline, pendant que Mme Sanazaki croqua le Fantôme de l'Opéra debout sur tableau.
  

Mise en ligne le 25/07/2016.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Samedi, 23 Septembre 2017

Interview 1



Essentiellement connue en France pour le manga Bishin et pour sa collaboration avec Yôko Hanabusa sur Gwendoline, Harumo Sanazaki est pourtant une artiste à la carrière aussi longue que prolifique. C'est à l'occasion de Japan Expo, où elle était invitée, que nous sommes allés l'interviewer.



Harumo Sanazaki, merci d'avoir accepté cette entrevue. Pour commencer, qu'est-ce qui, à l'origine, vous a donné envie de devenir mangaka ? Y a-t-il des artistes ou des oeuvres qui ont motivé ce choix ?

Harumo Sanazaki : C'est moi qui suis honorée.

Sans conteste, c'est vraiment Shôtarô Ishinomori qui est mon auteur préféré. Depuis toujours, je le lis et le relis sans me lasser.

Depuis que je suis très jeune je suis fascinée par les arts du spectacle, par tout ce qui implique une scénographie et une expression corporelle, et je retrouve ça en faisant du manga, où je peux retrouver une expressivité équivalente.



En France on vous connaît surtout pour le manga Bishin. Comment est né ce manga ?

Je ne vais pas vous apprendre grande chose, mais je suis une très grande fan de Yoshiki. C'est par admiration et par respect pour lui que j'ai fait ce manga, avec le souhait de faire ressortir la beauté qu'il dégage.

J'ai été particulièrement inspirée par la fois où, l'année de commémoration de Mozart, il a joué au piano son Requiem.


Un titre qui nous interpelle dans votre bibliographie est Opera Za no Kaijin, qui est adapté du Fantôme de l'Opéra de Gaston Leroux. Qu'est-ce qui vous a plus dans l'oeuvre d'origine au point de vouloir l'adapter en manga ? Avez-vous souhaité y ajouter des choses ?

Je pense que ça ne va pas dans un seul sens quand on écrit une adaptation : ça enrichit l'oeuvre originale, et moi aussi j'en retire quelque chose. Là, pour le coup, c'est une exception, car ce 'nest pas l'opéra qui m'a marquée mais bien le roman original. J'avais vraiment envie de dessiner le personnage pour retranscrire son humanité et sa tristesse profonde.


Au fil de votre carrière vous vous êtes essayée à de nombreux styles : aventure, romance, mystère, historique... Qu'est-ce qui vous pousse à vouloir vous diversifier ainsi ? Y a-t-il un style où vous vous sentez plus à l'aise ?

Travailler dans la diversité est parfois un désavantage parce que les fans finissent par se diviser, par faire des choix dans ce qu'ils aiment chez nous et ce qu'ils aiment moins, et commercialement ce n'est peut-être pas aussi efficace que si on restait sur un seul créneau. Mais d'un autre côté, je trouve que c'est important pour la liberté d'expression d'un artiste. Moi, ça me permet de choisir les histoires qui m'ont vraiment plu et que je souhaite transmettre à mes lecteurs.


D'un point de vue artistique ça doit également être plus intéressant pour vous. Quand vous changez ainsi de style, est-ce que ça change aussi votre façon de dessiner ?

Comme j'ai une expérience assez conséquente, je peux affirmer qu'après 25 ans de travail on peut se permettre de dessiner n'importe quelle oeuvre, n'importe quel type d'histoire sans remettre en question sa personnalité.



A travers plusieurs de vos séries, on vous sent assez attirée par la culture occidentale...

Je ne fais pas forcément de distinction. Par exemple, prenez la Route de la Soie : c'est un grand tout, où des mondes très différents sont connectés entre eux et où chacun a son interprétation, mais où on reste plus ou moins connecté par cette idée générale de la culture qui nous pousse à créer de nouvelles choses. C'est ça qui me plaît dans l'Histoire avec un grand H : nous avons une richesse qui nous pousse toujours à explorer, et c'est là que je puise mon inspiration.


Au fil de votre carrière vous avez surtout officié dans le shôjo/josei. Quel bilan feriez-vous de ce genre que vous avez vu évoluer durant ces dernières décennies ?

Pour ce qui est des genres, l'évolution est bien là : maintenant les filles lisent des mangas pour garçons, et vice versa, il y a moins de honte qu'avant à lire les autres genres, si bien qu'il n'y a plus tant de barrières que ça. Mais quand on compare les mangas pour filles d'il y a 30 ans comme La Rose de Versailles et ceux de maintenant, j'ai l'impression que la richesse des thématiques s'est un peu appauvrie.

Avant, dans un même magazine on pouvait avoir des histoires très différentes, alors que maintenant c'est beaucoup plus ciblé, les magazines choisissent de quoi ils vont parler et personnellement je reste parfois sur ma faim.

Je me dis que ce serait bien aussi de laisser la place à des auteurs qui aimeraient parler de femmes aventureuses, ou de garçons romantiques... ce genre de choses. Car là je trouve que la diversité est mal représentée et qu'on enferme trop les récits dans des critères qui nuisent à l'imagination.

Par exemple, en travaillant sur Gwendoline avec Yôko Hanabusa, le message que je voulais aussi faire passer, c'était qu'on peut dessiner pour les très petits enfants des histoires habituellement adressées à un autre public. Je ne sais pas jusqu'où j'aurai été efficace.


Depuis 1997, vous vous impliquez beaucoup dans les échanges internationaux, en proposant des masterclass à travers le monde. Qu'y enseignez-vous ?

Il y a deux intérêts particuliers que j'y vois.

D'une part, maintenant que le numérique permet de tout faire rapidement, il y a de moins en moins d'auteurs qui dessinent à la main. Sur le plan artistique je trouve que ça reste une perte et que cela nuit à la diversité des traits, et j'aimerais donc transmettre cette technique plus artisanale et cet esprit de travail.

D'autre part, je trouve qu'il est important de transmettre tout ça aux enfants. Les enfants en bas âge doivent apprendre très tôt à se servir de leurs mains, c'est très bon pour leur motricité et j'y vois un fort intérêt pédagogique.



Vous participez également à la Société Shakespeare. Pouvez-vous nous en parler un peu ?

C'est une association constituée de professeurs de littérature qui s'intéressent à Shakespeare. L'attractivité consiste à faire des mangas adaptant les oeuvres de Shakespeare. C'est une forme de vulgarisation visant à ce qu'un public plus grand connaisse cet auteur.


Depuis 2011 vous travaillez également sur la production de films. Pourquoi ce choix ? Est-ce une façon pour vous d'explorer sous un nouvel angle cet univers du spectacle que vous aimez tant ?

C'est effectivement pour me rapprocher encore des arts du spectacle, et également pour explorer de nouvelles possibilités. Comme le monde de cinéma regorge de talents – notamment au niveau du scénario – j'ai pu échanger avec des artistes et scénariste qui ont de grandes qualités, et j'en retire un enseignement et des inspirations qui pourront me servir à l'avenir.


Interview réalisée par Koiwai. Remerciements à Harumo Sanazaki, à son interprète, et à Japan Expo pour la mise en place de cette interview.

Mise en ligne le 06/10/2016.


Interview 2



En juin dernier se sont formées les éditions Meian, qui ont rapidement lancé leur premier projet : Egregor. L'histoire du projet est particulière : d'abord écris sous forme de roman par Jay Skwar avant qu'il le repense en manga, Egregor a ensuite adapté par Harumo Sanazaki pour permettre la mise en dessin par Kaya Tachibana. Le titre eut droit à une mise en avant prestigieuse lors de Japan Expo 2017, avec présence des trois auteurs sur le salon pour de nombreuses séances de dédicaces, et une mise en vente en avant-première du premier volume et du tome zéro, ainsi que d'un coffret collector de qualité. Nous avons pu nous entretenir avec les trois artistes qui se sont livrés volontiers sur la naissance du projet, ses thématiques, ainsi que sur l'adaptation du roman en manga.


Egregor était à la base un roman. Qu'est ce qui t'a donné envie de te lancer dans cette écriture, et comment te sont venus les différents concepts ?


Jay Skwar : Quand je suis sorti de ma Terminale Littéraire en 2010, je me suis passionné par la philosophie, c'est à ce moment-là que j'ai commencé à écrire Egregor. J'ai lu pas mal de mangas durant mon adolescence, tout ce qui est Naruto, One Piece, Hunter X Hunter, FullMetal Alchemist... J'avais déjà écrit différentes histoires, mais je voulais me lancer dans un vrai roman pour le concrétiser plus tard. J'ai commencé à l'écrire et à travailler l'univers mais il s'est avéré que quand j'ai découvert Berserk, l’œuvre m'a tellement marqué que j'ai décide de faire de mon roman un manga, ou au moins une bande-dessinée. J'ai commencé à examiner des collaborations avec des auteurs français mais, malheureusement, ça n'a pas abouti.
Puis, il y a un peu plus d'un an, j'ai eu le plaisir de rencontres mesdames Sanazaki et Tachibana par le biais de monsieur Onishi. Je leur ai présenté le script ainsi que l'univers, et toutes deux y ont adhéré. C'est là qu'elles se sont montrées partantes pour ce projet.

Egregor est ainsi devenu un manga. J'ai d'abord adapté mon roman en un script, puis madame Sanazaki l'a réadapté de manière à respecter les codes du manga, du shônen en l’occurrence. C'est à partir du rendu final que madame Tachibana a commencé à travailler, et a dessiné Egregor.



Mesdames Sanazaki et Tachibana, qu'est-ce ce qui vous a impressionnées dans Egregor, et vous a données l'envie de vous lancer dans ce projet ?


Harumo Sanazaki : Un ami m'a fait lire le roman, et j'ai vite été très touchée. Je ne m'attendais pas à participer un jour à ce type de projet, aussi j'ai été ravie d'apprendre qu'on avait besoin de moi. C'était inespéré.

Kaya Tachibana : Jay Skwar a beaucoup aimé mes dessins, et on m'a demandé si j'étais d'accord pour illustrer le manga adapté du roman. J'ai aussi été très emballée, rapidement. J'avais quelques inquiétudes parce que je ne parle pas français, et Jay ne parle pas japonais. Il y avait des différences de langage mais aussi culturelles. Mais c'est sur ce plan que l'aventure s'est montrée enrichissante. Je me demandais si l'alliance franco-japonaise allait fonctionner mais j'étais aussi heureuse car il s'agissait d'un véritable challenge, je devais me donner à fond.


Jay, tu nous as dit avoir été marqué par Berserk, on sait aussi que des œuvres de fantasy comme Le Seigneur des Anneaux et Game of Thrones t'ont influencé. Quels éléments particuliers t'ont marqué dans ces sagas ?

Jay Swar : Dans ces séries d'heroic-fantasy, on trouve une sorte de souffle qui n'est présent dans aucun autre style selon moi, le souffle de l'épopée. C'est une dimension un peu RPG, The Legend of Zelda étant aussi l'une de mes inspirations, qui m'a donné envie d'écrire Egregor dans l'idée qu'un jeune garçon, au fil de ses rencontres et de ses découvertes, va évoluer dans un univers qu'il ne connait pas vraiment, comprendre les codes et les secrets de ce monde, et parvenir à découvrir ses origines. L'idée du parcours initiatique était en phase avec le style heroic-fantasy. Et vu que j'étais influencé par ce style, grâce au Seigneur des Anneaux et Game of Thrones entre autres, je me suis dit que c'était le bon contexte pour raconter cette histoire.

Aussi, j'aime ce qu'on retrouve dans l'heroic-fantasy : ses créatures mythologiques, ses châteaux... Je voulais vraiment créer un univers dans ce style-là.



Pourquoi avoir choisi le format manga pour l'adaptation ? Egregor aurait pu être une bande-dessinée, format franco-belge par exemple...


Jay Skwar : Tout à fait. A la base, je préfère le manga à la bande-dessinée, mais je voulais faire Egregor au format BD au départ. Cependant, les collaborations potentielles n'ont pas été très productives, et je me suis rendu compte que le format bande-dessinée n'était pas vraiment ce que je voulais. C'est le manga que je recherchais, l'esprit shônen notamment, en travaillant aux côtés de mangaka. Et ça s'est réalisé.


Madame Sanazaki, qu'est-ce qui a été difficile dans l'adaptation de l’œuvre originale en manga ?

Harumo Sanazaki : Dans les romans, les univers semblent plus vastes puisqu'ils font appel à l'imagination du lecteur. C'est lui qui se forge son monde. Dans une adaptation manga, il faut réunir tout cet univers en une seule case ou une seule page. Il faut trouver ce qui est juste et, pour y arriver, on a fait traduire l’œuvre originale pour l'adapter le mieux possible. C'est la dimension "liberté" du roman qui était difficile à retranscrire.

Ensuite, le roman et le manga sont deux supports très différents. Quelque chose qui peut être court dans un roman peut prendre beaucoup de pages dans un manga. Il faut donc rassembler les idées et faire au mieux pour ne pas s'éterniser sur dix pages du manga pour une page du roman. C'est une des difficultés de l'adaptation. Si dans un roman il notifié une attaque de 1000 soldats, ça prendra une ligne dans le roman mais 5 pages dans le manga.



Madame Tachibana, vous avez travaillé sur des shôjo de la collection Harlequin, un registre totalement différent. Comment s'est passé le changement d'un style à l'autre ?

Kaya Tachibana : C'est vrai que j'ai été surprise quand on m'a demandé de travailler sur Egregor, car mon style est plutôt shôjo. Et je savais que l'auteur voulais un style shônen, voire seinen ! Mais il se trouve que Jay ne voyais pas dans mon dessin une aura particulièrement shôjo. En France, on fait plus la différence entre shôjo, seinen et shônen. On le fait aussi au Japon, bien sûr. Mais en tant que mangaka, je ne fais pas trop ces distinctions, je dessine surtout ce que j'ai envie de dessiner. Dans Egregor, il y avait bien-sûr les indications de Jay, mais j'ai essayé de coller le mieux possible à l'univers, afin que ça plaise aux lecteurs. Mais il était aussi important que Jay se dise "Oui, c'est ça mon univers". Je n'ai donc pas trop rencontré de difficultés, dans le sens où je ne me suis pas souciée des catégories éditoriales.

Motoharu Onishi : Si madame Tachibana s'est mise au manga, c'est grâce à Golgo 13. C'est sa base. Quand j'ai été publiée, les gens l'ont classée dans le shôjo mais intérieurement, elle est davantage shônen et seinen.


Qui dit dark-fantasy dit univers sombre et scènes très crues, il y en a notamment dans le premier tome. Malgré tout, est-ce que vous vous fixez certaines limites dans la représentation du gore ?

Jay Skwar : Concernant la violence, on ne sera jamais au niveau de Berserk, on se limitera à la frontière du shônen. Je pense que L'Attaque des Titans est un bon compromis, c'est ce qu'on avait défini avec mesdames Tachibana et Sanazaki. Il y aura du gore, mais pas question de voir des boyaux à toutes les cases. On ne va pas se gêner non plus, car la violence crue est indissociable de la dark-fantasy. Elle fera partie intégrante de l'histoire.



Vu qu'Egregor était initialement un roman, il n'y avait pas forcément d'images. Comment avez-vous conçus les designs des personnages, des monstres, et les décors ?

Jay Skwar : Avant conception des personnages et des décors, on fait un workshop sur plusieurs jours. Je transmet un maximum d'informations sur l'univers à madame Sanazaki, afin qu'elle s'en imprègne et le comprenne. En parallèle, je vais transmettre à madame Tachibana des illustrations de personnages d'autres œuvres qui m'ont plu et qui se rapprochent, selon moi, des personnages de l'histoire. Madame Tachibana peut s'en inspirer et les réinterpréter à son style, en plus des indications qu'il y a dans l'histoire. C'est un peu la même chose dans les décors, par exemple dans Berserk où certaines doubles pages m'ont vraiment marqué. C'est de cette manière que je donne des bases sur lesquelles partir pour développer les personnages et l'univers.


Madame Tachibana, comment créez-vous les personnages et les décors à partir de là ?

Kaya Tachibana : Les paysages au Japon et ceux en France sont totalement différents. En tant que japonaise, j'ai j'ai grandi en lisant des choses sur le Japon traditionnel tandis qu'en Europe, on a plus l'habitude des décors d'heroic-fantasy car ils correspondent au patrimoine historique. On se concerte, je réalise un premier jet, pendant que Jay me donne ses indications. Des rectifications ont lieu, car les points de vue entre japonais et français sont différents, du point de vue culturel.



Certains personnages sont les Egregor, c'est aussi le titre de la série. Pourquoi ce terme-là ?

Jay Skwar : Je vais essayer de ne pas trop spoiler. (rires)
C'est un peu le mot clef de toute l'histoire, un peu comme Berserk qui définit l'état du héros. Mais là, Egregor est un réel concept qui signifie que lorsque plusieurs individus unissent leurs forces dans un même projet, ils créent une sorte de conscience collective, une identité indépendante, un Egregor. Je me suis réapproprié ce concept pour élaborer une caste de personnages, c'est un peu les élus de cet univers. Ces Egregor sont capables de se lier à l'énergie universelle et ne faire qu'un avec elle, afin d'accéder à une nouvelle source de pouvoir qui serait la source originelle de toutes les forces et de toutes les magies qu'on découvrira durant l'histoire. C'est un petit peu le pouvoir ultime de l'intrigue, une petite dizaine de personnages pourra y avoir accès, dont le héros, ça je peux le dire. Ce concept sera la résolution d'un grand nombre de mystères qui seront lancés tout le long de l'histoire.


Pourquoi avoir fait du protagoniste un apprenti forgeron ?

Jay Skwar : Foa est fasciné depuis très jeune par le travail artisanal de son maître, Darbin. Il était impressionné par toutes ces étincelles et pouvait le regarder pratiquer pendant des heures. C'est aussi lié à ce concept d'énergie développé dans l'histoire, parce que l'énergie est quelque chose d'instable, en fluctuation constante, un peu comme dans Star Wars avec la Force, où l'énergie n'est jamais stable et toujours mobile. Aussi, j'ai pensé que lui attribuer une activité simple et modeste était en phase avec le fait qu'il n'avait de grande ambition, contrairement à pas mal de shônen, par exemple One Piece où le héros veut devenir le roi des pirates. Pourtant, la mère de Foa est une grande héroïne, et lui ne veut pas suivre ses traces mais juste faire comme son maître. C'était lié au caractère que je voulais lui donner.



Justement, par rapport au fait que Foa ne cherche pas à suivre la même voie que sa mère, certains événements vont le pousser dans cette direction. Dans le premier tome, il y a souvent cette idée du destin que l'on peut changer ou non, et aussi le côté changeant des ambitions que peuvent avoir les êtres humains, Pourquoi ces thématiques te tiennent à cœur ?

Jay Skwar : C'est assez lié à la philosophie qui m'a passionné en dernière année de lycée. J'ai pensé que le Destin et le Libre arbitre sont des concepts intéressants à exploiter, parce qu'on se demande toujours si on est maîtres de ses choix ou si on dépend d'une fatalité. C'était passionnant de montrer que la frontière entre ces deux notions est très ténue, mais aussi très floue, qu'il est difficile de savoir si on peut contrôler le Destin ou pas. Au départ, Foa est soumis à cette fatalité, il ne peut rien faire d'autre qu'être confronté aux événements tragiques du premier tome, mais prendra petit à petit le contrôle de son existence, peut être maître de son destin et peut changer le cours des événements grâce au pouvoir qui dort en lui. C'est ce que je voulais montrer : le Destin n'est pas si impossible à contrôler.


Sais-tu déjà combien de tomes comportera Egregor ?


Jay Skwar : Si on conserve mon idée de base on partira sur deux saisons de 13 tomes chacune. Elles seront assez distinctes sur le plan chronologique, même s'il ne se sera pas écoulé tant de temps entre les deux arcs. Je pense qu'on s'en tiendra à 26 volumes pour ne pas trop se disperser, et rester concentrés sur le parcours initiatique du héros. Je ne reproche rien aux shônen comme Naruto ou One Piece qui comportent plus de 70 volumes, mais on se focalisera sur le héros pour ne pas trop s'étendre. Ça restera sous les 30 volumes, c'est certain.



D'où vient ton pseudo ?

Jay Skwar : Quand j'étais jeune, j'allais souvent sur les forums. J'avais un pseudo, Skull Warrior, qui veut dire crâne de guerrier. (rires)
Un jour, il y a quelques années, j'ai contracté ce pseudo pour donné Skwar, et j'ai mis Jay au début car j'ai pensé que ce serait un bon nom d'auteur si un projet venait à se concrétiser.


Interview réalisée par Takato et Koiwai. Remerciements à Jay Skwar, Kaya Tachibana et Harumo Sanazaki pour cette rencontre et leurs réponses, ainsi qu'à leur interprète et agent, Motoharu Onishi.

Mise en ligne le 23/09/2017.