HACHIN - Actualité manga

Interview de l'auteur

L'édition de l'année 2022 du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême fut particulière. Déplacée à l'aube du printemps et crise sanitaire oblige, les artistes japonais y étaient quasiment absents. Néanmoins, les mangaka français et européens ont répondu à l'appel, dont Hachin. Artiste aux horizons multiples, qui est à l'origine du manga en trois tomes Skilled Fast, paru aux éditions H2T, l'auteur nous a fait le plaisir d'une entrevue pour revenir sur sa série, et plus globalement sur son travail.




Commençons par une question assez classique : Comment en êtes-vous venu au dessin ? On sait que vous êtes diplômé en génie civil. Vous êtes-vous formé e autodidacte ?


Hachin : Oui, je suis plutôt autodidacte. Le génie civil, c’était surtout pour rassurer mes parents, comme une sorte de plan B. Mais à côté j’ai toujours dessiné, et je pense que j'ai toujours inconsciemment su que je voulais en faire mon activité professionnelle. Alors, j'ai continué à dessiner, dessiner encore, en autodidacte, et apprendre à faire de la BD. J’ai commencé à l’âge de dix ans. Mais il me fallait une option de secours en parallèle, d'où mes études.


Concernant vos influences, nous savons que vous êtes fans de Reborn! d'Akira Amano. Vous vous inspirez aussi de Tite Kubo, Keitaro Miura et de l'auteur coréen Kim Jung Gi (ndt : L'auteur nous ayant malheureusement quitté au mois d'octobre, bien après cette entrevue). Pour certains artistes, comme Akira Amano, c’est le genre d’influence qu’on ne retrouve pas forcément souvent chez les auteurs de manga. De quelle manière tous ces artistes ont pu vous influencer ?


Hachin : Ah ? En ce qui concerne Akira Amano, c’est un style que moi j’aime beaucoup, car elle a une approche semi-réaliste. Pour Tite Kubo, c’est un peu la même chose, et ce sont vraiment des styles qui sont assez proches à mes yeux. Même si je trouve qu'Akira Amano a un trait qui se rapproche beaucoup plus du manga traditionnel. Comme c’est une femme qui dessine, il y a un côté plus élégant dans ses dessins, ce que j’aime beaucoup. Et concernant Kim Jung Gi, c’est un monstre du dessin en termes de perspective, d’anatomie et de design, il est capable de créer n'importe quelle scène sans crayonné. C'est hallucinant. Je travaille sans cesse pour atteindre ce niveau, en espérant qu’un jour je puisse dessiner aussi rapidement et avoir cette approche-là, sans passer par le crayonnage. C’est un challenge !




On remarque que votre travail sur les environnements est intensif, vos décors étant particulièrement complets. Nous sommes loin de planches épurées. Avez-vous certaines inspirations concernant cette dimension graphique ?


Hachin : Pour les arrière-plans, c’est plus une question de goût et de style de narration. J’accorde énormément d’importance aux environnements car les personnages sont influencés par ce qui les entourent, ce qui se passe autour d'eux. J’ai envie que ces personnages puissent bouger, qu'ils savent où ils peuvent bouger. C'est d'autant plus le cas dans Skilled Fast, au niveau de la mise en scène des crimes. Dans la ville où se déroule le rcit, j’aime montrer le côté pauvre et underground du centre ville ainsi que, pour ne pas trop spoiler, la planque des No Skill. Bref, j’essaie de faire en sorte qu’on voit à quoi ressemble cette ville dans son ensemble, au maximum.


Pour aborder Skilled Fast, pouvez-vous nous dire comment est née la série ? Quelles sont les origines de votre collaboration avec les éditions H2T ?


Hachin : Notre rencontre a eu lieu quand j'étais en plein DUT. Je n'avais pas terminé mes études quand le directeur éditorial m’a contacté via Facebook. Je lui ai alors signalé que je n'avais pas fini mes études. (rire) C'est après que je l’ai recontacté, puis on a travaillé plusieurs gros projets avec différentes propositions. Au fur et à mesure des échanges, de travail de scénario, de re-travail de scénario, et de choix entre plusieurs intrigues différentes, le projet Skilled Fast est né.


Ce qui nous permet d'entrer dans le vif du sujet. Comment a germé le concept de la série dans votre esprit ? Avez-vous d’abord pensé à la technologie du Skilled Fast, ou plutôt à l’optique thriller de la série ?


Hachin : Plutôt la technologie. C'est un domaine qui me parlait énormément, aussi parmi les histoires que j'ai initialement proposé, on ne trouvait que de la science-fiction, et plus particulièrement le concept de Skill, lié aux compétences. Ces compétences, j’en entendais parler depuis mon entrée en école supérieure. Alors, j'ai trouvé intéressant de pousser cette idée le plus loin possible, de créer un univers dans lequel tout repose sur cette notion, afin que l’histoire de cette compétence soir hégémonique et prenne le dessus sur tout. C'est là qu'est né le Skilled Fast, cette technologie qui permet d’échanger des compétences entre individus.


  

C'est ensuite que vous avez greffé l'aspect thriller à ce concept ?


Hachin : Comme je le disais, il y a eu plusieurs idées de scénarios de base. Deux d'entre eux se basaient sur cette technologie, mais c'est l'intrigue thriller qui me plaisait le plus.


Quelle était cette seconde intrigue, discutée avec votre éditeur ?


Hachin : L'histoire faisait beaucoup plus Policier. Noskill n'existait simplement pas. C’était une construction très classique, loin du thriller, et sans série de meurtres. Maintenant que j'y repense, ce n'était pas terrible, en tout cas moins intéressant.


Noskill fait penser à Jigsaw, l'antagoniste de la saga cinématographique Saw. Il concocte des jeux presque macabres avec ses victimes, mais agit selon une certaine morale. Avez-vous, dès le départ, cherché à travailler cette ambiguïté chez ce criminel ?


Hachin : Je voulais faire en sorte que le personnage soit le plus démonstratif possible, qu’il soit là pour prouver une "morale", entre guillemets. Il fallait rendre explicite le fait que même s'il commet des actions répréhensibles, Noskill ne tue personne lui-même. Ce que nous suivons, c'est sa quête pour montrer l'impact nocif de la technologie du Skilled Fast. Il fallait le rendre le moins immoral possible, faire en sorte que ses jeux soient son seul moyen pour véhiculer ses idées.



Derrière le thriller, Skilled Fast est aussi un manga qui condense de nombreux messages. On peut y voir un discours sur les nouvelles technologies, le transhumanisme, le monopole des grandes sociétés dirigées par des directeurs véreux, ou encore la dangerosité des idéologies extrêmes, avec en opposition l'importance de la communication entre individus. Le plus étonnant, c'est que tous ces discours trouvent une résonance chez chaque personnage. Est-ce que cette écriture a été instinctive, ou avez-vous cherché à minutieusement équilibrer chaque aspect du scénario ?


Hachin : C’est un peu des deux. Pour moi, même si certains personnages n'apparaissent que sur deux pages, il fallait qu’il y ait une histoire derrière. Vous parliez de personnages assez extrêmes, d'anciennes victimes devenus bourreaux. Ils sont là pour montrer que rien n'est tout blanc ou tout noir, qu’on peut passer d’un bord à l'autre suite à un changement de point de vue. Tout dépend de la personne porte un regard. L'idée est la suivante : “Toi qui te sens moralement supérieur, si on te place dans cette position-là, changeras de perspective." J'aime cette sorte de jeu de points de vue, et je ne suis pas certain qu’il y ait de bien ou de mal. Je m’amuse avec cet ensemble, afin de montrer que le monde est plus complexe que cette dichotomie.


Pour en revenir à l'idée de l'importance de la communication et du débat, il y a un personnage fascinant dans Skilled Fast : Sam Harlot. On peut le penser complotiste et rancunier au départ, mais c'est par la discussion que Roman découvrira en lui un personnage différent de ce que lui et nous pensions. Cette fausse idée, qu'on pouvait se faire du personnage dans le premier tome, était-elle volontaire ?


Hachin : Non ! J’avais déjà en tête toute son histoire. D’un autre point de vue, c'est vrai que le lecteur ne le connaît pas au départ. C’est comme dans la vie de tous les jours : On a tendance à vite juger et se faire une impression d'autrui. Mais finalement, si on creuse un peu plus, on peut découvrir les raisons du comportement d'un tel individu. J'essaie de faire en sorte que cette réflexion concerne tous les personnages, et que la réciproque soit aussi valable. C'est à dire qu'on pense un personnage "gentil", mais qu'on découvre plus de nuances dans son comportement. En découvrant les personnages, on peut les juger toujours plus différemment.



Est-ce que condenser un scénario aussi dense en seulement trois tomes fut un exercice complexe ?


Hachin : Oui. Si le trame principale s'apparente à une enquête classique, on peut aussi prendre l'histoire comme telle : Noskill contre Roman et Eva, avec l'intervention d'autres personnages au milieu de ça. Au-delà de cette structure, il y a toutes les thématiques qui interviennent. Bien qu'on ne voit que certaines bribes de réflexions, j'essaie de faire en sorte qu'on puisse sentir l'immensité de l'univers de Skilled Fast derrière ça, qu'on voit la société qui fonctionne autour de cette technologie. Bien qu'on puisse voir cette densité, le fait que l'intrigue reste une enquête classique permet, selon moi, de rendre la lecture accessible.


Sans spoiler, la conclusion de Skilled Fast peut bousculer nos attentes. Vous évitez le climax opposant frontalement et de manière classique les deux antagonistes, afin pour proposer une autre optique : L'entente mutuelle. On peut même dire que la fin du traitement de Noskill est presque douce. Comment vous est venue l'idée de cette conclusion, posée mais sensée ?


Hachin : Il y avait déjà les graines de cette fin dans les préfaces même des livres. J'y pose les questionnements suivants : “Pourquoi les gens sont si attachés à leur manière de penser ? Est-ce qu’on ne pourrait pas simplement se poser et discuter ?”. Je voulais montrer quelque chose de différent, là où le lecteur s'attend justement à un dénouement explosif. Noskill est un personnage avec lequel on peut débattre et discuter. Il pense justement que parce qu'il n'est pas entendu, il doit toujours assez plus loin. À la fin, chacun des personnages parvient à mettre de côté son égo, afin de s'asseoir autour de la table des discussions. Au final, l'idée du pardon est posée par deux fois dans l'histoire. C'est cet aspect que je voulais traitement, plutôt qu'un final explosif. C'est fun à dessiner, mais est-ce que ça aurait permis de construire quelque chose ? Je ne suis pas sûr.



On peut aussi s'interroger sur votre manière de dessiner vos personnages. Ils sont sans excentricité esthétique, si bien qu'on pourrait les croiser dans la vie de tous les jours. On n'a pas l'habitude de voir des barbes et des rouflaquettes dans le Manga. Avez-vous fait beaucoup de recherches de design pour aboutir à ces différents résultats ?


Hachin : Le design des personnages m'est venu instinctivement. Il y a un peu de travail et de recherche, mais je l'ai conçu à l’affect et au feeling. Si un personnage me plaît, alors je le valide. Je n'ai pas trop surcharger mes protagonistes, que ce soit sur le plan émotionnel ou dans leurs designs. Tant que ça me parle, je garde !


Maintenant que cette première série est bouclée, peut-on s'attendre à vous revoir avec une autre œuvre ?


Hachin : Bien évidemment, j’ai plein d’histoires en tête. Mais après Skilled Fast, j’aimerais aborder une thématique qui est très similaire. Ca serait l’autre face de la pièce de cette même histoire. Avec ma première série, j'ai traité l’histoire du cerveau. Dans ma prochaine oeuvre, j'aimerais plutôt parler du corps. Ca serait quelque chose de beaucoup plus viscéral, dans une optique plus émotionnelle. Mais je n’en dis pas plus pour le moment !