TOPHER - Christophe COINTAULT - Actualité manga

TOPHER - Christophe COINTAULT

Interview de l'auteur

Publiée le Samedi, 28 Juillet 2018

Conférence publique Japan Expo 2018
  
Alors que les mangas français sont de plus en plus nombreux, nous avons eu l’occasion d’assister à une conférence sur le sujet, lors de la Japan Expo 2018.


Christophe Cointault, Vinhnyu, Antoine Dole et VanRah, des auteurs publiés chez Glénat, sont ainsi venus nous parler de leur expérience de mangaka.




VanRah : Bonjour à tous, je suis VanRah, certains me connaissent déjà sur certains titres à savoir Stray Dog et Ayakashi. Je reviens cette année avec Mortician et je suis très heureuse de vous retrouver, de pouvoir rencontrer certains d’entre vous pour la première fois.


Vinhnyu : Bonjour, je suis maitre Vinhnyu, célèbre youtubeur aux 8 abonnés, peut être le neuvième parmi vous et apparemment je suis mangaka. Il parait.


Antoine Dole : Je m’appelle Antoine Dole, je suis auteur de roman et de bande-dessinée jeunesse. 4life est mon premier manga avec Vinhnyu, j’ai la chance de partager cette aventure avec un super mangaka.


Christophe Cointault : Bonjour à tous et à toutes, je suis Christophe Cointault et je suis l’auteur du manga Tinta Run fraichement sorti chez Glénat.




Avant d’être mangaka, faisiez-vous un autre métier ?


Antoine Dole : Ça fait 10 ans que je publie des romans et que je fais essentiellement cette activité d’écriture. Pour le manga, ça fait à peu près 2 ans et demi qu’on travaille avec les éditions Glénat. C’est mon activité principale.


Christophe Cointault : Moi dans une autre vie, c’est un peu surprenant, mais j’ai été agent des impôts. J’ai connu le métro-boulot-dodo.


Comme mon rêve de vivre de la BD et du manga s’éloignait de plus en plus, un jour j’ai eu un coup de folie et j’ai arrêté tout ça. Ma femme m’a soutenu, d’abord pour me lancer dans l’auto édition, et puis je me suis mis un coup de boost car je voulais vraiment être édité chez Glénat pour le coup. C’était l’auteur qui me faisait rêver, de part Dragon Ball, One Piece, tout ce qui me parle vraiment. Donc, j’ai fait un dossier éditorial à Glénat et je suis devenu mangaka, pour faire simple.


VanRah : A la base mon vrai métier est ostéopathe pédiatre, pas grand-chose à voir avec un métier artistique. J’ai fait des études scientifiques, avec thèse de fin d’étude etc. J’exerce toujours à l’heure actuelle, je me suis spécialisée dans la petite enfance. A la base, je dessinais pour mes petits patients, pour expliquer des choses plus facilement. Je suis une spécialiste qui travaille sur les liaisons du squelette chez les bébés et les très jeunes enfants. Après j’ai gardé cette possibilité d’expression. C’est un moyen d’expression que j’ai développé en autodidacte.


J’ai commencé à apprendre les bases auprès d’auteurs de comics. Avant de faire mangaka, j’ai été médecin, puis médecin et auteur de comics, puis médecin, auteur de comics et mangaka. Ce qui fait pas mal et à l’heure actuelle j’exerce toujours mon métier de personnel médical à temps partiel, car certains ont pu le remarquer dessiner me prend de plus en plus de temps.


Vinhnyu : Je me suis mis à dessiner parce que je n'avais rien d’autre à faire de ma vie. Je suis venu dans une librairie une fois, j'ai vu les BDs sur des étagères. Certaines étaient de qualité assez médiocre, alors je me suis dit « vas-y même moi je peux faire mieux ». Et voilà, je me suis lancé.



Comment avez-vous appris ? VanRah tu étais en autodidacte et tu apprenais avec les comics ?


VanRah : J’ai progressé toute seule, j’ai appris toute seule. Par contre, à un moment donné, il m’est arrivé de lire certains comics, d’auteurs qui poussait le dessin vraiment très loin.


C’était avant Facebook, c’était beaucoup plus simple et beaucoup plus sympa.


Du coup les auteurs américains avaient tendance à mettre leur MSN à la fin des volumes, pour les contacter. A un moment j’ai tellement aimé un auteur qui s’appelle Ivan Reis que je lui ai envoyé un message en disant que j’adorais la manière dont il encrait, la manière de dessiner et que j’avais du mal à faire telle ou telle partie du dessin et je lui ai donc demandé s’il n’avait pas de conseils à me donner. J’étais persuadée qu’il ne me répondrait pas. Comme j’ai l’habitude de faire des gardes de nuit, j’écris la nuit. Et comme il bossait la nuit, il m’a répondu tout de suite en me demandant si j’avais une webcam. Je lui ai répondu que oui, donc il m’a montré. C’est parti comme ça. Je me suis ensuite débrouillée toute seule et, au final, j’ai eu la chance que certains auteurs qui me montrent et me réexpliquent les bases façon étudiant-élève.


Christophe Cointault : Je pense qu’on dessine tous depuis toujours, il n'y a pas vraiment de mystère. Après, si on est fait pour ça, on continue, on est prêt à passer notre temps et notre vie à être penché sur une feuille, à dessiner des petites cases qui nous font rire ou qui nous font déjà rêver nous-mêmes et potentiellement d’autres gens.


Il n’y a pas de diplômes accrochés aux murs. Ce n'est pas ça qui intéresse les éditeurs mais ce que vous serez capable de produire vous-mêmes. Pour apprendre ça, je sais qu’il existe des écoles mais j’en n’ai pas fait. J’ai fait un passage aux beaux-arts d’Angoulême il y a une dizaine d’année, mais ça ne m’a pas servi à grand-chose. Juste sortir chez moi et rencontrer des jeunes de mon âge qui avaient un super niveau, donc ça met un bon coup de pied aux fesses. Pour le reste, c'est vraiment du travail personnel et aussi ce qui rassure car peu importe d’où l’on vient, peu importe de notre pedigree notre cursus, au final l’éditeur va juste regarder votre projet et puis je ne suis pas sûr qu’il y en ait ici qui soit diplômé en fait, il n’y a pas de diplôme de manga et pourtant on est bien là.


Antoine Dole : Je crois qu’il y avait surtout une envie de raconter des histoires. Moi j’ai eu la chance d’être repéré il y a dix ans par un éditeur sur mon blog sur lequel je racontais des choses et qui était une sorte de journal intime pas du tout intime. Et il y a un éditeur qui m’a contacté pour savoir si ça m’intéressait de travailler sur un premier roman et puis la BD est venue par la suite avec l’envie de toucher les gens différemment.


Le roman c’est une écriture qui est lente, qui met du temps à toucher les gens et je trouvais qu’avec le dessin on arrivait à un effet peut-être un peu plus fulgurant, plus immédiat, qui m’a donné envie de travailler sur de la bande dessinée. Je savais pas du tout qu’on pouvait devenir mangaka en étant un jeune auteur français y’a très longtemps de ça et j’ai d’abord travaillé sur de la BD franco-belge avec une série qui s’appelle Mortelle Adèle qui est la série dont j’ai l’écriture aujourd’hui.


Il y a 3 ans je me suis dit quand même que j’avais un rêve qui était de faire du manga, que c’est comme ça que j’ai découvert la bande dessinée quand j’étais ado et tout simplement voilà je vais y aller au culot et proposer à un éditeur quelque chose. J’ai rencontré Vin, on a contacté les éditions Glénat et c’est comme ça que tout a commencé.


Vinhnyu : Je fais comme tout le monde : je copie. Internet, c’est fabuleux. On trouve tellement de dessins qui peuvent te plaire et tu as envie de les reproduire.


Du coup tu as reproduit, reproduit jusqu’à trouver ton propre style ?


Vinhnyu : Tous les dessins que j’aimais bien je les reproduisais. Je ne sais pas si j’ai un style.


Antoine Dole : Non mais il faut savoir que Vin' est très modeste.


Vinhnyu : C’est pas vrai, je me la pète tout le temps en fait. (rires)


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Comment vous avez proposé votre manga aux éditeurs et comment vous l’avez fait ?


Antoine Dole : En fait, j’avais une idée de scénario de départ et c’est vrai que je ne voulais pas arriver chez un éditeur sans illustrateur. Je trouve que c’est intéressant de se présenter en tant que binôme et avec un projet qui est assumé et construit. C’est une connaissance commune qui nous a mis en contact avec Vin'. On a donc envoyé notre projet et quelques planches par la Poste aux éditions Glénat qui nous ont répondu 15 jours plus tard en nous donnant notre chance.


Christophe Cointault : Comme je l’explique en bonus à la fin de Tinta Run, il s’est avéré qu’après mon expérience en auto-édition, je suis allé en atelier à Blois, à la Maison de la BD, mais ça n’allait pas vraiment. Du coup, je suis revenu travailler à domicile. De là, je me suis dit qu’il valait mieux me perfectionner à l'écriture et au dessin, en comprenant mieux les codes du manga tout en y apportant mes touches françaises et européennes. Cela m’a demandé quelques mois d’écriture.


Je pense qu'il faut vraiment être enfermé chez soi, c’est une étape fondamentale pour construire quelque chose de nouveau.


J’avais donc déjà dans l’idée de porter le projet Tinta Run jusqu’au bout, et j’avais en tête l'idée d'aller chez Glénat, car ça correspondait à mon état d’esprit. Au bout de 4 mois, après avoir construit un dossier éditorial, je l’ai envoyé en PDF par mail. Beaucoup de dossiers se font maintenant par mail, et on ne s’embête plus vraiment avec le papier. J’avais scanné toutes mes pages et j’avais mis ça en ordre pour que ce soit intéressant.

Et justement, que mets-tu dans le dossier que tu présentes ?


Christophe Cointault : Un dossier éditorial, c’est ce qui présente votre projet. Il y a les premières planches, le synopsis, la structure, c’est-à-dire le nombre de tomes qu’on veut faire, le public qu’on souhaite atteindre, expliquer nos thématiques et notre univers plus la présentation des personnages principaux avec un beau dessin couleur.


Ça doit être assez concis, ça ne doit pas être lourd. C’est dur à faire mais c’est vraiment l’étape entre le projet balbutiant et le contact avec l’éditeur. J’avais une adresse mail de Glénat qui trainait dans ma boite mail depuis des années et je lui ai envoyé. On l'a ensuite transmis à un éditeur jeunesse de Glénat qui m’a contacté le lendemain par mail. On s’est téléphoné et mon contact a vu que j'étais plus orienté manga, donc il m’a réorienté vers Glénat Manga. C'est là que j’ai eu des échanges avec la directrice éditoriale.


VanRah : Pour moi, ça a été complètement différent puisque j’ai été l’une des premières à percer dans le manga français. Et je dirai que si je n’avais pas été là si ça n’avait pas marché, vous ne seriez pas là chez Glénat.


A la base, j'avais envoyé mon projet à pleins d’éditeurs. Ayant déjà publié mes œuvres en ligne, j'avais déjà un lectorat étranger qui m’avait dit de passer en édition physique parce qu’à l’époque, le format numérique de se lisait pas très bien. Du moins, il est moins pratique.


Je me suis ensuite prise au jeu et j’ai commencé à démarcher les éditeurs en 2008. Au début, je n'ai eu que des réponses négatives car ça ne plaisait pas, et le manga avec un auteur d’origine française ça n’existait pas. Il n’y avait pas de ligne éditoriale prévue pour ça. Pour eux le manga n'était que japonais, et que si on est français on ne fait pas de manga. Ils ne doivent faire que du franco-belge et encore…


Beaucoup d'éditeurs, dont Glénat, ont dit que mon travail était nul.  On me disait que je devrais arrêter le dessin car c’était inintéressant, et que je ne percerai jamais là-dedans et que ce n’était pas la peine de perdre du temps. J'avais mis dans mon CV que j’étais autodidacte et que je n’avais pas fait d’école, ils m’ont répondu que je devais apprendre les bases puis les recontacter plus tard car ils n’avaient pas de temps à perdre avec des gens qui font ça dans leur garage.


Certains m'ont aussi découragé en ne me disant pas pourquoi ils m’avaient refusé, à part le fait que ça ne rentrait pas dans une ligne éditoriale. J’ai proposé à un éditeur aux USA avec les auteurs duquel je travaille en tant qu’encreuse parce qu’ils proposaient des sortes de tremplins Ki-oon qui existent depuis longtemps ailleurs. Le but n’étant pas de gagner quelque chose mais d’avoir de la visibilité auprès du public car les lecteurs peuvent nous commenter directement et comme c’est sur internet il n’y a pas de filtre donc ils peuvent nous dire si ça marche ou pas et surtout qu’est-ce qui n’est pas bon et c’était ça qui m’intéressait. 


A la base je travaillais sur les premières pages de Stray dog et en 1 mois ça a fait un carton avec 1 million de vues par jour à peu prés. Et du coup je me suis dit que je devrais peut-être proposé une nouvelle fois cette série, à présent j’avais un bagage avec un panel test de lecteurs internationaux. Malgré tout, ça ne s’est toujours pas fait.

Lors d’une convention, j'ai rencontré Izu qui cherchait un dessinateur pour une série qui est devenu Ayakashi. Il a vraiment flashé sur mon dessin donc il m’a fait rencontrer l’ancien directeur éditorial de Glénat Stéphane Ferrand. Quand il a vu aussi mon dessin il m’a dit qu’il ne voulait une copie d'un style existant mais de l’original... En fait il lisait déjà Stray Dogs en ligne. Pour cette série, je n'avais pas de contact chez Glénat, alors les dossiers ne sont jamais passés. Au final ils ont racheté une série qu’ils auraient pu avoir à la base.

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A l’époque, l’éditorial n’était pas aussi poussé qu’aujourd’hui !


VanRah : J’ai envie de dire que mes titres se basent sur des mythes et légendes dans lesquels le folklore est très présent mais maintenant ça devient commun avec toutes les séries TV qu’on a. Mais il y a plus de 10 ans ça ne se faisait pas. Il y avait une idée préconçue sur l’idée selon laquelle seuls les japonais pouvaient faire du manga qui sortait des sentiers battus et le Seinen était réservé à deux trois titres.


Heureusement que ça a évolué et ça a évolué dans le bon sens.


VanRah : On été 5 dans une même fournée et finalement on a eu tous les 5 de bons retours. Ils se sont rendu compte qu’il y avait des choses qui pouvaient fonctionner et le marché a pu s'ouvrir.


Racontez-nous le jour où on vous a dit oui pour votre projet, comment travaillez-vous avec les éditeurs ? Vous font-ils des retours ? Est-ce que c’est de concert ? 


Vinhnyu : Antoine m’envoie le script qui est validé avec l’éditeur, je commence le storyboard et je l’envoi à l’éditeur et à Antoine pour qu’il valide et s'il y a des corrections à faire on les fera. D’habitude on essaie d’avoir rendez-vous sur Paris pour clarifier un peu le storyboard. Quand celui-ci est validé je commence à encrer et à finaliser et puis j’envoie chapitre par chapitre finalisé à Antoine et l’éditeur. Quand le volume est fini on essaie de faire une petite correction s’il manque des choses.


Antoine Dole : La conception d’un livre c’est avant tout une aventure collective c’est vrai qu’on a la chance de travailler avec un éditeur très présent, qui est vraiment à nos côtés à chaque instant du scénario, du storyboard, de la finalisation des planches et c’est plutôt confortable d’être dans l’échange. 
C’est vrai qu’on a pris beaucoup de temps pour se mettre autour d’une table, discuter, voir comment orienter les choses pour que ce soit l’objet le plus cohérent possible par rapport aux envies de Vin, les miennes et celui de l’éditeur et de faire un livre qui nous ressemble, qu’on est fier de défendre et de porter devant le public de la Japan Expo par exemple. Donc c’est vraiment un travail de ping-pong, d’échanges et de discussions, qui nourrit la création et les idées.


VanRah : Pour ma part, je ne travaille pas du tout pareil, je sais que pour beaucoup d’éditeurs, il y a ce travail d’échange qui est fait. Je précise que ce n’est pas la même chose pour chaque auteur et j’ai la grande chance d’avoir carte blanche sur quasiment tous mes tomes. Je présente le synopsis, si ça plait c’est pris et après ils ne me revoient que lorsque je rends le tome en main. Je suis libre sur tout ce que je fais mais ça c’est parce qu’à la base au fur et à mesure des tomes, mes personnages et moi avons pu montrer qu’on était capable d’évoluer tout seul.


Antoine Dole : En fait, je ne suis pas certain que ce soit une volonté de prouver qu’on peut évoluer tout seul, je pense que c’est une question de désir tout simplement. Y’a des projets auxquels j’ai envie d’être seul au monde et décider de A à Z ce que je veux retrouver dans mon livre et il y a des projets auxquels c’est intéressant aussi d’avoir un point d’éclairage différent. Je crois ça dépend vraiment du projet et que c’est du cas par cas.


VanRah : Ça dépend de la façon dont les gens aiment travailler. Je suis très autonome donc ça me dérange pas, au contraire ça me dérangerait limite d’avoir quelqu’un derrière mon épaule qui vient donner son avis. Ça ne m’empêche pas, lorsque j’ai des soucis ou des questions, de demander un avis externe comme  ce sont des univers très complexes. Avoir quelqu’un d’objectif, qui ne connait pas et qui finalement fait le meilleur beta lecteur qui puisse exister à ce moment, c’est très pratique. C'est quelque chose que l'on a pas quand on s’autopublie. On n’a pas forcément le même suivi, la formation et le même recul par rapport à ses histoires.


Et toi Christophe, as-tu le même suivi ?



Christophe Cointault : J’ai tout découvert au fur et à mesure après le dossier éditorial, la conséquence a été de rencontrer physiquement mon éditeur et au final c’est avant tout une relation humaine donc soit ça se fait soit ça ne se fait pas. Chaque parcours est différent c’est ça qui est intéressant.


Moi j’ai eu la chance de tomber sur quelqu’un qui rentrait dans mon délire, dans mon petit monde et tout. Et donc j’aime bien ce dialogue qui me permet de développer Tinta Run correctement parce que sinon j’aurai tendance quand même à m’éloigner, comme c’est un univers foisonnant de termes inventés et beaucoup de jeux de pistes lancés dès le début.


L’éditeur est quand même là pour me recadrer pour me rendre plus réaliste et faire l’objet le plus cohérent possible à vous mettre entre les mains et on fait des réunions quand je fini mes planches, c’est lui qui réceptionne tout pour scanner, on discute de la suite et puis une fois le storyboard du tome suivant est fait je l’envoi par mail. On discute beaucoup si ce n’est tous les jours par Facebook des fois pour rien du tout. Ça me fait marrer, on est tous les deux dans notre délire et c’est très bien comme ça.


Antoine Dole : En fait ce qui est intéressant c’est que c’est toujours du domaine de l’échange et de la discussion c’est-à-dire que l’éditeur ne va pas venir en vous imposant et en vous disant quoi faire.


Christophe Cointault : C’est ça, il n’y a pas de formule même l’éditeur apprend en même temps, on avance en même temps. J’ai toujours eu une espèce d’image, je ne sais pas pourquoi il y a une image négative des éditeurs avec le stéréotype du costard et du cigare dans la bouche.


VanRah : Sache qu’il en existe, j’en ai côtoyé certain franchement qui impose des trucs. Ça dépend du vécu de l’auteur ça dépend aussi de l’éditeur où on tombe il y en a qui restent plus sur leurs positions que d’autres.


L’intérêt d’avoir choisi Glénat c’est qu’ils ont envie de comprendre l’univers ils ne sont pas en train de se dire « Est-ce que ça va se vendre ou pas ». Ils ont vraiment à cœur de défendre les personnages comme nous on les aime et puis surtout de s’adapter au cas par cas.


Antoine Dole : Ce qu’on est en train de dire sur les éditeurs est aussi valable sur les auteurs, il y en a qui n’ont pas envie qu’on leur fasse de réflexions, qui sont fermés à l’échange voilà après c’est un couple il y a des éditeurs pas sympas et des auteurs sympas, des auteurs pas sympas et des éditeurs sympas. Le meilleur match c’est quand c’est au service de la création.

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Vu qu’on parle de la création, quelles sont vos méthodes de travail ? Par exemple pour l’écriture du scénario est-ce que tu peux nous dire comment tu fais, tu écris du début à la fin ou chapitre par chapitre ?


Antoine Dole : J’étais très effrayé quand j’ai commencé à travailler sur le manga parce c'est un volume de pages qui est quand même très significatif. Sur 4life on est à peu prés à 220 pages. Ma première crainte, quand j’ai réalisé que l’éditeur avait dit oui sur une partie du scénario, c'était ces 200 pages. Mais l’éditeur a été très rassurant.  Pour mes projets, j'ai décidé de tronçonner par chapitre pour les travailler par petits morceaux. Ecrire 20-25 pages, c’est beaucoup moins impressionnant que de se lancer dans un scénario de 200 pages les yeux fermés. J’ai la sensation que ça balise aussi le travail. Après pour la méthodologie je travaille sur papier et sur ordinateur. Je trouve avec le papier la lenteur du geste de l’écriture amène peut-être des scènes plus intérieures, plus lentes là où au clavier je suis plus à l’aise sur les scènes d’action.


C’est un petit truc très personnel et qui ne se justifieront pas d’une personne à l’autre mais je crois que le but du jeu est de trouver le meilleur média et vecteur pour donner de la meilleure façon.


Vinhnyu : Sur 4life, le storyboard est fait sur un petit carnet traditionnel que je scanne et que je reprends à l’ordinateur. Quand je reçois le script, vu que c’est scindé en chapitre c’est plus facile que de dessiner directement 200 pages d’une traite. Il y a un checkpoint à chaque étape. Parfois la mise en scène Antoine a une préférence et le met dans le script et j’essaie de le réaliser. Si je trouve que ça ne marche pas vraiment j’essaie de changer un petit peu.


VanRah : Moi quand je commence une série j’ai le scénario qui est bouclé de A à Z dans ma tête. Donc si je venais à disparaître du jour au lendemain vous n’auriez jamais la fin des séries. (rires)


Après je vois les séries comme un film que je déroule dans ma tête au niveau duquel chaque séquence correspond à un plan ou un screenshot finalement. Donc après, quand je réalise la partie dessin je travaille aussi sur un support papier traditionnel et ça me permet de mettre en page les éléments. Je passe peu de temps sur un brouillon, je ne dois donc surtout pas oublier la façon dont je veux tourner les scènes. Je travaille sur tablette numérique où je dessine directement dessus et ça me permet de numériser directement mon dessin. Je ne travaille pas que sur une seule série, j’en ai 5 à mon actif et du coup ça fait gagner beaucoup de temps par rapport à l’encrage. L’encrage sur papier, on le fait puis il faut gommer mais quand on gomme on a la brasure qui enlève une pellicule d’encrage. Une fois scanné, tous les traits au niveau de l’encrage vont apparaître, résultat il va falloir repasser de l’encrage. Avec le numérique, une fois faite, la partie de l’encrage ne bouge. Économiquement parlant c’est intéressant puisque les stylos destinés à l’encrage sont très chers car ils sont utilisés pour le comics américain et les mangas japonais. C’est 5 euros le stylo et pour une planche il m’en faut 2 du coup quand on fait des bouquins de 200-300 pages ça fait beaucoup. 

L’intérêt principal est de pouvoir gagner du temps.

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Contrairement à toi Christophe toi c’est le papier !


Christophe Cointault : Oui voilà moi c’est zéro ordi. Je suis incapable d’utiliser l’ordinateur, ça me saoule car je n’ai pas le même geste, je le perds. Je suis penché sur le papier j’adore ça et comme j’adore autant écrire que dessiner… J’écris beaucoup et il y a deux niveaux d’écritures dans une histoire y’a le niveau général c’est-à-dire celui où on sait où on va car c’est la raison d’être de l’histoire. Mon storyboard est assez détaillé on voit les cases faites à la règle, il y a déjà la taille des cases, le placement des bulles et des personnages. J’aime bien me prendre la tête à ce moment car j’ai peur d’oublier quand je serai sur ma planche un mois plus tard avec l’idée que j’avais sur le coup alors qu’avec le storyboard on est déjà dans l’élan puis ensuite je prends ma grande feuille D4 et crayonnage, encrage à la plume G essentiellement et plusieurs petites plumes voire parfois quelques feutres pour les traits dans le décor.


Après je gomme et je passe à la planche suivante. J’essaie d’en faire deux par jour donc 10 par semaine minimum ce qui me permet d’avoir en 18 semaines de boucler mes 180 pages.


Du coup, tu as des retours tu les refais sur ta planche ?


Christophe Cointault : En général vu que le storyboard est très précis et validé par l’éditeur normalement y’aura toujours des petits trucs après mais c’est pour ça qu’au moment de rendre les planches on fait une assez grosse réunion où mon éditeur regarde toutes les pages définitives car il y a encore une différence entre le storyboard et la page grand format, bien dessinée et détaillée. Donc c’est là qu’il me redit s’il y a des petits trucs à faire ou pas mais normalement ça reste minime. On essaie de minimiser le risque en amont. Je peux produire 2 livres par an donc ça roule comme ça.


S'en est suivi un échange avec le public qui a pu poser ses questions aux quatre mangaka...


Alors j’ai une question pour vous tous, pourquoi avez-vous décider d’être mangaka en France et pas de le faire publier au Japon ?


Antoine Dole : A choisir, je trouve que la création française est plus intéressante. Au Japon la publication d’un manga se fait d’abord publier par la presse, les auteurs doivent donc se plier à une charte dans en termes de cible et de lectorat, l’âge de ton lectorat, le genre dans lequel tu destines ton histoire et du coup c’est vrai qu’en termes de création française on a une liberté, un terrain d’exploration et un champ de créativité qui est assez illimité. On peut mélanger les genres et 4life c’est un peu ça on mélange le fantastique avec le récit de l’intime, des magical girls qui s’entre-tuent et c’est plutôt intéressant de pouvoir mélanger les genres et je pense que c’est une liberté qui a contrario pour un mangaka japonais peut nous envier car on est totalement libre de proposer des histoires, des objets tels qu’on les a imaginé et pas tel que le cadre autour de nous nous impose de les faire.


VanRah : Personnellement, j'ai testé la publication américaine et japonaise car j’ai un de mes titres qui est chez Shonen Jump +. Le seul truc qui m’a poussé à rester sur les publications avec un éditeurs français c’est vraiment de pouvoir rencontrer ses lecteurs pour de vrai, parce que on va dire qu’ailleurs c’est loin et il faut y aller, vous n’allez pas forcément pouvoir rencontrer les gens directement. Bien sûr internet c’est super vous avez des gens qui peuvent vous faire des retours le jour et la nuit mais le fait de pas pouvoir rencontrer vraiment les lecteurs qui lisent, pour moi c’est eux qui font vivre les personnages. Quand ils m’en parlent comme s’ils parlaient d’amis, pour moi qui considère mes personnages comme mes enfants ça me fait plaisir. C’est un contact qu’on a très peu en passant ailleurs, surtout quand on n’est pas dans son propre pays. J’ai eu la chance d’avoir eu une séance de dédicaces aux Etats-Unis, les gens sont adorables mais on y est venu une année mais qu’on ne sait pas quand est-ce qu’on va revenir car c’est loin. Je ne sais pas si je pourrai faire ça souvent et ça a un coût. Là il est possible de se déplacer assez facilement et on a un échange qui n’est pas le même parce que justement on a vraiment un public qui parle notre langue et qui ont la possibilité de lire la version originale. Il y a des différences dans les traductions avec des personnages plus incisifs en version américaine.


Je voulais savoir comment vous envisagez votre futur, est-ce que vous vivez sereinement avec cette précarité qui plane chez les auteurs ?


VanRah : Personnellement, j’ai la chance de vivre de mes séries de façon intégrale après là on revient sur la question de l'éditeur. On a des éditeurs qui respectent la création de manière générale et qui sont prêts à payer correctement les auteurs. A l'inverse, il y en a qui considèrent que 6 mois de travail ne valent que 5000 à 6000 euros. Donc tout dépend de cette manière de travailler, même si tous les auteurs ne partent pas avec des chances égales. Il faut aussi savoir ce qu'on est prêt à accepter pour devenir professionnel. C’est vrai qu’il y a beaucoup de compétitions c’est quelque chose de très sélectif. Maintenant, je pense que celui qui reste tenace réussi alors que celui qui se décourage ne réussit plus.


La question financière bien sûr qu’elle se pose, moi personnellement j’ai encore mes deux professions mais je peux vivre confortablement de mes revenus d’auteur. Tout dépend de la maison d’édition où vous êtes et du respect qu’à l’éditeur envers ses auteurs.


Antoine Dole : Je voulais remercier celui qui a posé cette question, car les auteurs ont besoin de sentir que les lecteurs sont concernés par ces questions-là.


On est à l’aube de quelque chose qui est effrayant pour beaucoup d’auteurs. On est quelques-uns à avoir la chance de vivre de notre métier ou du moins suffisamment pour voir les choses arriver sereinement mais il y a toute une génération d’auteurs qui a peur et qui a l’impression d’être sacrifié et c’est important dans ce combat là qu’on retrouve sur internet sur les réseaux sociaux avec les #Auteurencolère ou #Payetonauteur qui font sentir que les lecteurs sont aussi conscients que s’il n’y a pas d’auteurs il n’y a pas de livres.



Conférence retranscrite par Zebuline. Remerciement à Flavien Appavou de Mangas.tv qui a animé l'événement.

Crédits photo : Compte Twitter de Glénat.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Mercredi, 06 Février 2019

Le très cosy festival Lire en Poche, dédié à la littérature poche et basé à Gradignan près de Bordeaux, a accueilli cette années deux auteurs de manga. Parmi-eux, Christophe Cointault, à qui nous devons le trépidant Tinta Run, édité aux éditions Glénat.


Avec toute sa bonne humeur, Christophe a accepté de se livrer au jeu de l'interview.



(Note : Les propos de l'auteur ayant été recueillis à l'automne dernier, il est possible que certains éléments concernant les prochains tomes aient changé en cours de route.)




En fin de chaque tome de Tinta Run, tu parles de ta rencontre avec Glénat et de la naissance du projet. Mais peux-tu nous parler de ta carrière en général ? Comment es-tu devenu dessinateur ?


Christophe Cointault : Il faut remonter à très loin, car j'adore dessiner depuis que je suis gamin. J'ai toujours voulu être dessinateur, c'était mon but ultime. Je n'ai pas de diplôme spécifique. J'ai fait une année à l’École d'Arts d'Angoulême, à la sortie du lycée, mais ça ne m'a pas servi à grand chose. Je ne suis pas quelqu'un de scolaire et je ne convenais pas à l'école. Mais ça m'a été utile puisque ça m'a permis de sortir de chez moi. Par la suite, j'ai travaillé aux impôts, à Paris, ce qui signifiait métro, boulot, dodo. J'ai tout plaqué parce que ce n'était pas ce que je voulais, ça me pourrissait la vie. Je voulais dessiner et raconter des histoires. Je me suis mis en auto-édition avec Central Universe, en trois tomes, puis j'en suis venu à faire Tinta Run. C'est un parcours de travail personnel, mais comme beaucoup de monde dans ce milieu.




Néanmoins, il y a aussi des écoles de manga, maintenant, en France. As-tu un avis dessus ?


Christophe Cointault : Je n'ai pas vraiment d'avis là-dessus. Certaines personnes y trouvent leur compte, mais je ne trouve pas ça très utile. Mais bon, certaines écoles peuvent sympa, je pense à celle de Toulouse qui aide beaucoup les jeunes, visiblement, et la directrice est assez cool. On peut se demander s'il faut une école pour apprendre à faire du manga, mais que veut dire "faire du manga", si ce n'est raconter une histoire sous un certain format ? En plus, tu as deux courants de pensée dans le "manga à la française". Tu as ceux qui ont une vision traditionnelle et qui veulent faire exactement comme les japonais, et ceux qui sont un peu foufous et qui prennent des risques en mélangeant les codes, quitte à ne pas plaire aux puristes. Je suis plutôt de cette deuxième catégorie. Dans dans l'idée de faire du manga, tellement de variables entrent en compte que je pense qu'une école ne peut pas t'apprendre ça. Tu prends des feuilles et tu les remplies en y mettant ta culture et tes sensibilités... Il n'y a pas qu'une façon de faire. C'est la même chose pour l'utilisation de la plume, c'est en pratiquant qu'on apprend, ce n'est pas un professeur qui va t'enseigner la manière de la tenir. Comment mettre en page les choses, placer les éléments pour que ce soit lisible, s'étaler sur 200 pages... Ce sont des choses qui s'apprennent toutes seules, il faut simplement la sensibilité pour ça.


Tinta Run est une série sacrément endiablée, épique et loufoque. Le rythme est effréné... est-ce que ça te pose soucis ?



Christophe Cointault : Non parce que je me prends à mon propre jeu, et plus j'en fait plus j'ai envie d'en faire. La seule inconnue reste la réception du public, qui permettra ou non d'aller aussi loin que je le voudrais. A part ça, quand je suis tout seul dans mon atelier, je m'éclate tous les jours et de plus en plus.


La question est assez classique, mais as-tu déjà la fin de Tinta Run en tête ? Ou bien les différents axes de la série...


Christophe Cointault : Oui, j'ai établi la fin depuis le début, je sais comment sera la scène finale et pourquoi je dessine cette histoire... Mon éditeur connait aussi la conclusion, on en a discuté, et il est à fond avec moi pour qu'on y parvienne. Maintenant, la question est "quand y arriverai-je ?". On peut toujours rajouter de grands arcs dans un récit, au fur et à mesure. Encore une fois, pour moi, une histoire n'est pas gravée dans le marbre, elle doit évoluer au fil du temps et au fil de ta vie, et selon la réception du public. Je me laisse aussi cette partie improvisation, car j'aime me laisser surprendre. Mais je connais la fin, et je sais où je vais.




De même pour les concepts de la série : tu en présentes pas mal dans les deux premiers tomes. Sais-tu comment déjà comment tu vas les traiter ?


Christophe Cointault : Bien-sûr. Que ce soit la tinta, les tinters, la structure du monde et ce qui en découle, les dangers potentiels, la destinée de chaque personnage... Tout ceci est déjà établi dans mes carnets de croquis. Le côté improvisation, c'est ce qui se passe exactement dans chaque tome. Pour chaque volume, tu as une écriture précise, mais j'aime me laisser surprendre et, par exemple, rajouter une scène explosive non prévue. Mais chacune de ces scènes doit avoir une utilité et ne doit pas entacher l'évolution générale de la série. En ça, mon éditeur est très utile car il me permet de trier les idées, de manière à aller à l'essentiel, avec pour objectif de faire avancer le scénario à chaque volume. Car il n'y a "que" deux tomes par an, donc il faut qu'ils en vaillent la peine.


Ton dessin présente des personnages très variés. On y trouve des humains "normaux" comme Arty, mais aussi des animaux anthropomorphes. Quelles sont tes influences graphiques ?


Christophe Cointault : Elles sont multiples, Tinta Run étant un manga cartoonesque métissé. Toriyama est mon maître pour Dragon Ball, forcément, bien qu'Eiichirô Oda soit aussi devenu une référence à mes yeux. Je suis désolé, je ne suis vraiment pas original. (rires)


Globalement, je pense à tous les grands classiques du shônen par leur folie et leur grandeur, mais aussi par les histoires extraordinaires de leurs personnages qui ont des trajectoires de dingue. Montrer ce genre de choses, c'est ce qui me motive.

J'ai aussi un côté Disney, car j'ai énormément grandi avec Picsou, Donald et tous les petits animaux anthropomorphes. J'ai aussi grandi avec certains classiques du jeu-vidéo comme Mario et Zelda. Ce dernier a une grande importance pour moi, Tinta Run ayant un petit côté Zelda, par exemple avec l'épée de lumière, les objets, la boutique en début de série... (rires)

J'ai aussi évolué avec plein d'autres choses comme les Tortues Ninjas ou le cinéma, comme les gros muscles à la Schwarzenegger et Stallone, mais aussi les gros monstres et les robots... Ça m'a énormément forgé.


Enfin, une grande partie de mes influences graphiques, mais aussi de mes structures d'histoire, vient de l'humanité, tout simplement. Dans Tinta Run, les tinters sont des scribes, et on trouve aussi de vieilles pierres et des civilisations anciennes. Je puise dans l’Égypte ancienne, bon nombre de symboles viennent de là. La construction du monde est calquée sur l'Union Européenne avec ses lois, ses frontières, son passé tumultueux et ses défis à relever... Il y a beaucoup de choses comme ça que j'aimerais pouvoir expliquer par la suite. Mais d'une manière générale, c'est l'ensemble de l'humanité qui m'intéresse. L'Histoire et la Géographie m'ont toujours intéressées.


Mes influences résultent d'un melting-pot de tout ça, ce qui me permet de revenir sur ce que je disais précédemment. Je ne fais pas du manga pour faire exactement comme les japonais. Je ne trouve pas ça irrespectueux de tirer le format vers autre chose, au contraire même. Je prends les codes du manga comme des cadeaux et je me demande si on ne peut pas en faire autre chose plutôt que de rester dans ce qui a été préétabli. C'est une prise de risque, mais c'est mon parti-pris.




Dans les deux premiers tomes de Tinta Run, tu parles énormément du destin, notamment un destin imposé aux personnages et qui entrent en contradiction avec leurs rêves. C'est le cas d'Arty, mais aussi de Dumond. Peux-tu nous parler de ce thème et de son importance dans la série ?


Christophe Cointault : Oui, c'est vrai que Dumond correspond aussi à cette idée. Il rêve de retrouver sa famille et a un passé lourd, ce qui ne l'empêche pas d'être ultra positif. Il est très sage au début mais va un peu laisser cette sagesse de côté, sous l'influence d'Arty, dès le tome trois d'ailleurs. En vérité, les deux personnages s'influencent réciproquement. Dumond, c'est le papa protecteur que tout le monde aimerait avoir, c'est The Rock. (rires)


Concernant l'idée du destin, je vais encore répondre par de gros poncifs. Dans Tinta Run, j'ai envie de montrer qu'on ne subit pas le destin contrairement à ce que beaucoup de gens pensent. J'ai connu le métro, boulot, dodo, et on peut ne pas le subir. C'est un thème universel de tout envoyer valser et de partir à l'aventure pour réaliser ses rêves. Le destin, il est ce que l'on en fait. C'est une idée très shônen, donc ça se prête bien à mon histoire. On n'a qu'une vie, aussi j'ai envie que chacun prenne son futur en main et en fasse ce qu'il en veut, tant que c'est positif bien entendu. Au départ, Arty n'est pas très optimiste. Il est tête à claque et plus destructeur qu'autre chose, mais c'est aussi le défi de la série de montrer une évolution positive du personnage, dans cette aventure où il apprendra à trouver sa place dans ce monde afin d'être heureux et de faire le bien autour de lui. Il ne faut pas que l'aventure d'Arty soit du surplace. Pour ça, il fallait le faire partir de loin et de bas. C'est un peu bête à dire mais j'ai l'impression que c'est une prise de risque, car ça n'a pas forcément plu à tous que le protagoniste soit un petit con qui n'a pas directement le tempérament d'un héros.


On peut retrouver une dimension similaire dans certains titres comme dans les débuts de Naruto, mais ce côté "petit con" est contrebalancé par le background tragique du personnage...


Christophe Cointault : Oui, sachant qu'il est aussi intégré à l'académie des ninjas d'entrée de jeu. Il se trouve déjà dans une optique d'avoir son maître pour poursuivre son apprentissage. A l'opposé, Arty est totalement paumé, et ce type d'apprentissage viendra plus tard. Dans Tinta Run, l'arc de départ est celui de la "cavale". C'est une partie autour de l'émancipation. Par la suite, j'espère pouvoir développer un arc plus structuré dans lequel Arty trouvera sa place dans le monde des tinters. Il part donc de bas, et justement parce qu'on le met sur des rails qu'il refuse de suivre, comme des millions de gens dans le monde. On entend souvent nos proches dire "si je le pouvais, je plaquerai tout". C'est exactement ce point de départ pour Arty.


C'est la lutte contre un destin imposé. Et vu que Tinta Run est un shônen, Arty a forcément ce quelque chose en lui qui l'empêche de suivre la voie qu'on lui dicte. Il refuse de se soumettre aux lois car il a quelque chose d'ancré en lui... Mais ça, je l'expliquerai plus tard. Tout est structuré, j'ai les scènes précises dans ma tête.

Pour faire un bon héros, il faut qu'il ait des difficultés à surmonter. Il lui faut un mal en lui et des frustrations. C'est les blessures intérieures qui font un bon protagoniste.




Dans les sketchs de fin de tome, tu parles des débuts de ta collaboration avec les éditions Glénat. Peux-tu nous parler plus en détails de tes interactions avec ton éditeur, et notamment de la liberté dont tu disposes sur Tinta Run ?


Christophe Cointault : Je suis très libre, mais tout ce que je fais est soumis à mon éditeur, sachant qu'on a désormais trouvé un bon équilibre. J'ai besoin de son soutien, et j'adore ça. Ça me permet de mieux structurer les choses. J'en reviens alors au fait que l'écriture de l'histoire est une matière vivante, il y a un véritable échange, un ping-pong, entre mon éditeur et moi. On organise une réunion avant l'écriture du tome, et j'arrive avec mes idées sur lesquelles on débriefe. En rentrant chez moi, je fais mon storyboard et mon écriture, ce qui me prend à peu près un mois. Je soumets ensuite le storyboard à mon éditeur qui me donne ses impressions. J'imprime ses remarques, et je fais mes planches en en tenant compte. Je vais où je veux, mais l'éditeur me redirige légèrement quand je déborde. Ça m'aide à rebondir pour faire quelque chose de mailleur.


C'est très intéressant car durant la conférence des auteurs français Glénat à Japan Expo, il a été dit que chacun a sa propre méthode de travail avec l'éditeur. Dans ton cas, comment Glénat te recadre ?


Christophe Cointault :Ils me recadrent dans le sens où il faut trier les idées, car j'en ai beaucoup. L'important est de faire en sorte que l'histoire avance. J'aime ces échanges et ça m'aide car ça me permet de synthétiser au mieux afin d'être plus efficace. C'est parfois dur à encaisser, mais c'est un mal pour un bien, car c'est pour l'efficacité de tous, tant du bouquin que du public qui aura un tome plus percutant à lire.


As-tu un exemple de changement fait suite aux conseils de ton éditeur ?


Christophe Cointault : J'en ai plein. Mais par exemple, il aurait dû se passer beaucoup plus de choses dans le premier tome. Je vais peut-être spoiler un peu mais la scène marquante du tome deux aurait dû avoir lieu dans le premier opus. Tout était énormément condensé, mon éditeur m'a donc appris à m'étaler davantage. Le volume comporte aussi beaucoup de scènes d'action non prévues, c'est notamment le cas dans le tome trois, ce qui me permet de développer les personnages et les pouvoirs. Le volume quatre est très rempli en moments forts, il est beaucoup plus intense que le deuxième tome. Sachant que ça constituera aussi une fin d'arc, il sera beaucoup plus épais, c'est à dire 230 et quelques pages contre 192. Les lecteurs en auront pour leur argent. (rires)


Tu vois, c'est typiquement le genre de choses qu'un auteur ne peut pas prévoir à l'avance. J'aurais énormément d'anecdotes sur les scènes prévues et non prévues, sur les personnages aussi... Tiens, par exemple, concernant Oto, le scientifique qui a la tête des Bogdanov, il était prévu qu'il suive Arty par la suite, afin de former un trio avec Dumond. Mon éditeur le voyait plutôt comme un simple personnage rigolo dont l'utilité est de donner à Arty la carte, mais pas de le suivre dans l'aventure. Ça m'a fait changer tout le storyboard, il y a donc eu beaucoup de modifications de l'histoire derrière. Ce qui est sûr, c'est que Prune doit vraiment intégrer l'équipe, mais les lecteurs découvriront ça dans le tome trois. Je suis content que Glénat ne m'ait pas demandé de le changer car c'était prévu dès le début de l'histoire. C'est le trio classique de shônen : deux garçons et une fille.




Combien de temps travailles-tu par jour ?


Christophe Cointault : C'est une question qu'on me pose souvent, et à laquelle il est difficile de répondre. Je ne travaille pas un nombre d'heure par jour mais par nombre de pages. Je termine ma journée uniquement quand j'ai terminé mes pages.


Pour revenir sur la conférence à laquelle tu as participé à Japan Expo, sur le manga de création française, on remarque que c'est un axe éditorial de plus en plus présent chez Glénat. Personnellement, ressens-tu cet engouement pour le manga d'origine française ?


Christophe Cointault : Oui oui, je le ressens bien. Après, je reste la plupart du temps chez moi à dessiner et je suis tout nouveau. Je vois aussi des festivals où le public vit véritablement cet engouement, et moins sur d'autres événements, donc ça dépend un peu. C'est assez balbutiant, mais certains succès font avancer tout ça. Je suis un éternel optimiste, et recevoir tant de message au quotidien me motive beaucoup. Je ne sais pas comment ça se répercute en terme de ventes, je ne suis pas encore dans la confidence des chiffres. Mais j'ose espérer que nos petits délires plaisent de plus en plus.


J'avais une certaine file d'attente à Japan Expo, mais tout va dépendre du festival finalement. Il faut se trouver au bon endroit, donc ça reste un ciblage très spécifique. Dans mon cas, Tinta Run a pour thème le dépassement des frontières. Conformément à ça, je veux que ce soit un manga pour tout le monde, vraiment. J'essaie d'apporter un côté familial passe-partout, afin qu'on puisse transmettre le titre à nos enfants. C'est mon grand rêve de dessiner une telle œuvre.




Tu réalises tes illustrations couleur à la peinture. Globalement, quels outils utilises-tu pour le travail ?


Christophe Cointault : Pour les illustrations couleur, c'est effectivement à la peinture que je les travaille, et ça sera toujours le cas. Mes planches, elles, sont faites classiquement sur papier. Vient ensuite le crayonné, puis l'encrage à la plume G et à l'encre de Chine. J'utilise aussi quelques plumes plus fines, ainsi que des feutres pour certaines lignes dans les décors. Par contre, je réalise mes speedline à la plume aussi, c'est très important pour l'effet. Je dois avoir une dizaine de plumes et de feutres de tailles différentes.


Pour les peintures, j'utilise des encres pigmentées type Colorex ou Sennelier. Daler Rowney est aussi une très bonne marque. J'aime utiliser beaucoup de matériel différent. Pour le reste, c'est Glénat qui se charge de numériser et de mettre en page, de rajouter les trames et les textes.


Tinta Run est un manga en sens de lecture français. Quelle est la réflexion derrière ce choix ?


Christophe Cointault : D'aller au plus simple pour moi. Il fallait que j'aille au plus naturel pour dessiner quelque chose qui me ressemble. J'écris de gauche à droite et je pense de gauche à droite. Glénat a accepté tout de suite, il n'y a donc pas eu plus de réflexion que ça.. J'en reviens au métissage de Tinta Run. C'est un bien grand mot, mais je voudrais lutter contre cette idée du manga qui doit impérativement être de de droite à gauche. Pour moi, c'est n'importe quoi, mais chacun pense ce qu'il veut. A mes yeux, le manga c'est un format et des thématiques, le sens de lecture est un détail. Tant que tu portes des thématiques, que tu es dans le format et que tu utilises le noir et blanc... Je pourrais dire "tant que tu utilises la plume" mais finalement non car il y a la démocratisation des tablettes numériques. C'est très compliqué, il y a énormément de manières de faire du manga.


Quelque chose d'incroyable, c'est l'une des premières phrases qui revient en dédicace, quand les plus jeunes sont en présence des parents. "Tiens, ça se lit dans le bon sens". J'explique toujours qu'il n'existe pas de bon sens, il s'agit juste du sens occidental. Les gens sont souvent agréablement surpris tandis que sur internet, certains puristes cracheront sur le choix de sens de lecture. Dans les deux cas, je ne comprends pas pourquoi le sens de lecture est si important, ça ne change rien à l'histoire du manga. Ce ne sont que des détails.




Tinta Run n'en n'est qu'à ses débuts. A l'avenir, y a-t-il d'autres sujets que tu aimerais aborder dans d'autres mangas ? Plus simplement, as-tu déjà de futures œuvres en tête ?



Christophe Cointault :
Si j'ai d'autres sujets à aborder, je le ferai dans Tinta Run. J'ai créé un monde qui me permet d'explorer tout ce que je veux. C'est un monde cours de récré dans lequel je peux mettre mes humeurs et tout ce dont j'ai envie. Ça prend tellement d'énergie de créer un univers que c'est difficile d'en recréer un completèment. C'est un peu comme Akira Toriyama avec The World, il en revient toujours au même univers. Je sais que je ne peux rien faire d'autre que de l'action-aventure en mode baston positive. Si les gens adhèrent à Tinta Run, je pourrai aller encore plus loin dans la série et mettre tout ce que j'aime, et développer toutes les thématiques qui me tiennent à cœur dans ce monde-là. Donc, pour l'instant, il n'y a pas d'autre titre de prévu.



Interview réalisée par Takato. Remerciements à Christophe Cointault pour sa sympathie et sa disponibilité.