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Culture Chronique roman - Le Démon de l'île solitaire, d'Edogawa Ranpo

Vendredi, 22 Mai 2015 à 10h45

Edogawa Ranpo a déjà été abondamment présenté sur Manga-News, mais prenons encore une fois la peine d'introduire brièvement le personnage. De son vrai nom Tarô Hirai, Edogawa est avant tout considéré au Japon comme le maître de la littérature policière, comme peuvent l'être Conan Doyle en Angleterre ou Simenon en France. Son empreinte dans la littérature policière est telle qu'après sa mort en 1965, l'intérêt des Japonais pour ce type de récit décroît de façon significative (sa mort n'est probablement pas la seule cause, mais nul doute qu'elle y participe). Il marque également le genre ero-guro à travers de nombreux ouvrages ou sensualité et situations malsaines se confondent (La Chenille en est sans doute le meilleur exemple).

Malgré son statut de figure culte au Japon, il reste néanmoins assez peu connu en France, et l'intérêt qui lui est porté découle souvent d'une découverte préalable des adaptations en manga de la Chenille et de L'île Panorama signés Suehiro Maruo. Après la parution d'une poignée d'ouvrage par les éditions Philippe Picquier entre 1986 et 1993, c'est le calme plat en attendant ce miraculeux mois de Mai 2015, où Wombat reprend le flambeau en publiant Le démon de l'île solitaire.



Le récit commence par un avertissement du personnage principal, sur un ton très lovecraftien. Il se nomme Minoura, et il a été le témoin d'actes innommables, indicibles, d'une horreur sans nom. Il se résout aujourd'hui à coucher son passé sur le papier, en partant du début, et en allant jusqu'à la fin, jusqu'à ce jour maudit où une peur extrême a provoqué un blanchissement brutal de ses cheveux.

Nous retrouvons donc notre narrateur dans son jeune âge, célibataire menant une vie des plus banales, jusqu'à sa rencontre avec la belle Hatsuyo Kizaki. Le récit passe très rapidement sur la rencontre des deux personnages et leur début d'idylle avant de rentrer dans le vif du sujet avec le meurtre d'Hatsuyo, tuée dans sa chambre, pourtant apparemment complètement close...

S’ensuivront plusieurs autres meurtres avant que notre héros ne commence à entrevoir un début de piste. Accompagné de Michio Moroto, ancien ami nourrissant des sentiments amoureux envers lui, Minoura finira par se rendre sur une île isolée du monde, lieu maudit théâtre d'expériences eugéniques déviantes.

On retrouve dans Le démon de l'île solitaire de nombreuses thématiques chères à Edogawa. Les déformations corporelles extrêmes (« monstres » humains), un nain (bien évidemment), une scène se déroulant dans un cirque, les enquêtes « scientifiques » à la Sherlock (dont le personnage de Miyamagi est un ersatz), les énigmes apparemment insolubles et les relations amoureuses tout en nuances. Bref, tout ce qui fait le sel d'un bon roman made in Edogawa.

De toutes les relations amoureuses de l'ouvrage, deux sont particulièrement dignes d'intérêt. L'une sera tue ici pour éviter de révéler des faits ne survenant que très loin dans l'histoire ; l'autre, c'est celle que Moroto entretient envers Minoura. Une relation décrite comme étant malsaine, car elle est homosexuelle, tendance encore difficilement acceptée dans le Japon moderne. Edogawa créer une relation très ambiguë, partagée entre son côté interdit et malsain (pour l'époque), et le fait que ce soit la romance la plus passionnelle est humaine du roman. De plus, Minoura lui-même rejette cet amour tout en étant quelque part attiré par Moroto, allant jusqu'à éprouver de la fierté à l'idée d'être l'objet d'un amour aussi ardent. Ainsi, difficile de parler d'homophobie au sens strict, il est ici davantage question de fascination pour une forme d'amour socialement rejetée.

Dans son ensemble, le roman remplit parfaitement son office. On est véritablement happé par une intrigue aboutie et haletante, pleine de rebondissements astucieux, le côté roman à énigme et à la fois intelligent et ludique, et le côté malsain propre à l'auteur dérange et fascine à la fois. Seule ombre au tableau, un antagoniste un brin lisse comparé à ce dont nous a habitués Edogawa. Le méchant de l'histoire ne fait que très peu d'apparitions, et ne bénéficie d'un back-ground que très parcellaire.

Au niveau du style, on retrouve la patte très descriptive de l'auteur, et son écriture efficace allant à l'essentiel. Miyako Slocombe, que l'on connaît déjà comme étant la traductrice du Lézard Noir et notamment des œuvres de Maruo (à qui l'on doit la couverture de l'ouvrage), traduit ici son second roman avec brio.

Original et unique en dépit des quatre-vingt-cinq ans qui séparent cette parution française de l'originale, Le démon de l'île solitaire fait une nouvelle fois la démonstration du talent d'Edogawa, et de sa capacité à mêler récit policier et ambiance dérangeante à souhait. Reste à attendre une future publication de l'auteur dans nos contrées, dans vingt ans ?
  
L'avis du chroniqueur
Luciole21

Vendredi, 22 Mai 2015
17 20

commentaires

Bobmorlet

De Bobmorlet [5629 Pts], le 23 Mai 2015 à 00h50

A vir. Un petit roman me ferait pas de mal.

Daigo

De Daigo [922 Pts], le 22 Mai 2015 à 12h02

Merci pour cette chronique! Je n'ai pas encore découvert l'auteur, mais il m'intéresse...

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